Le système de vote dans le Conseil de l'Union européenne doit-il être strictement proportionnel à l'effectif des populations ? La réponse à cette question explique le report de toute décision concernant le projet de Constitution européenne depuis le sommet de Bruxelles des 12-13 décembre 2003.

 

D'un côté, s'expriment les partisans du projet prévoyant qu'une décision s'applique à tous si elle est votée par " la majorité des États-membres, représentant au moins les trois cinquièmes de la population de l'Union " (1). De l'autre, les pays qui considèrent que cette majorité de 60 % fait la part trop belle aux pays les plus peuplés et qu'il faut envisager soit un pourcentage plus élevé, soit une autre pondération.

Or justement, le traité de Nice de décembre 2000, qui s'applique faute de Constitution approuvée, distribue 321 voix au Conseil européen entre les gouvernements nationaux des pays membres de l'Union européenne élargie. On peut formuler deux remarques sur les effets de ce que j'appelle le "grand jeu de Nice", dont on se souvient qu'il n'a pu aboutir que dans une ambiance assez tendue.

Un rapport inégal entre les populations et le nombre de voix

Premièrement, le rapport entre les effectifs d'habitants et le nombre de voix est inversement proportionnel au poids démographique des pays. Selon le traité de Nice, il suffit de 127 000 habitants à Malte pour disposer d'une voix. Mais il en faut 2 829 000 à l'Allemagne, qui a obtenu en contrepartie une nette amélioration de sa représentation au Parlement européen. Pour les trois pays comptant plus de 58 millions d'habitants, une voix au Conseil européen représente plus de deux millions d'habitants (cf. tableau ci-dessous).

Pour les quatre pays comptant plus de 15 millions d'habitants et moins de 58 millions, une voix représente entre un et deux millions d'habitants.

Pour les treize pays comptant entre 2 et 12 millions d'habitants, une voix représente entre 600 000 et 900 000 habitants. Enfin, pour les cinq pays comptant moins de dix millions d'habitants, une voix représente moins de 500 000 habitants. La situation la plus avantageuse est celle du Luxembourg qui dispose d'une voix pour 108 000 habitants.

Les écarts sont donc importants avec une sur-représentation de la population des pays les moins peuplés et une sous-représentation des pays les plus peuplés. Néanmoins, le critère du nombre d'habitants n'est pas nécessairement le seul pertinent, car d'autres indicateurs pourraient être considérés.

Un système sans souplesse

Une seconde remarque tient à la méthode de distribution des voix au Conseil européen. La décision de Nice fixe une règle qui n'a aucune capacité d'adaptation aux évolutions, et qui est source de conflits à venir. Une même rigidité caractérise la répartition des sièges au Parlement européen.

L'Union européenne n'écartera des crises périodiques sur la question de la représentation de ses habitants et de ses États au sein des institutions de l'Union qu'à condition de fixer des normes adaptables, intégrant un système de révision périodique que ne prévoient ni le traité de Nice, ni le projet de Constitution. Sans oublier la méthode pratiquée dans nombre de démocraties pour résoudre des logiques parfois contradictoires, le bicaméralisme.

> Cet article est extrait de l'éditorial de Gérard-François Dumont du numéro 666 de la revue Population et Avenir, 9, rue du Faubourg Poissonnière, 75009 Paris, tél/fax 01 47 70 53 81. Ce numéro comprend également un dossier sur les politiques familiales en Europe, des articles sur la démographie de l'Allemagne, sur le Japon, sur les immigrants dans le Golfe.

Notes

(1) Cf. Article I-24 du projet de la Convention pour une Constitution européenne de juin 2003. Cette majorité ne concerne, bien entendu, que les domaines pour lesquels il est possible de statuer à la majorité qualifiée, à l'exclusion des domaines où les décisions imposent l'unanimité (d'où les difficultés rencontrées par la France souhaitant revoir certains montants de TVA).

(2) Dumont, Gérard-François, " Le traité de Nice et la démographie ", Population et Avenir, n° 653, mai-juin 2001

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