Les membres du Likoud viennent d'élire pour la deuxième fois Ariel Sharon (à 55, 88 % des voix) comme leur leader contre Benyamin Netanyahou (40,08 %), actuel ministre des Affaires étrangères et ancien Premier ministre de 1996 à 1999.

Ces primaires avant les élections générales du 28 janvier reflètent assez bien l'opinion générale des Israéliens sur l'actuel chef du gouvernement. Tous les sondages lui promettent une très large victoire face au candidat travailliste Amram Mitzna. Un changement de tendance paraît très peu vraisemblable et ce malgré les échecs criants de sa politique. Du point de vue sécuritaire, non seulement Sharon n'a pas réussi à éradiquer le terrorisme mais là, d'une certaine façon, renforcé. Jamais depuis la création de l'État d'Israël les attentats n'ont été aussi violents et aussi intenses. Au niveau économique, la situation n'est guère mieux : le taux de chômage est en augmentation constante, les investisseurs fuient, un enfant sur cinq est en dessous du seuil de pauvreté et les pronostics ne sont guères optimistes : une crise économique grave semble inévitable.

Et pourtant, les Israéliens veulent que leur Premier ministre reste à la tête du gouvernement. Si Sharon est dépeint par la plupart des médias occidentaux comme un homme dangereux, extrémiste, violent, un Staline juif, un boucher (je l'ai lu !) bref, le bourreau de Sabra et Chatila, la majorité des Israéliens, y compris une partie non négligeable de ses rivaux, voient en lui, au contraire, un homme pondéré, réfléchi, attentif aux autres et qui a l'expérience pour lui. Sharon a réussi en moins de vingt mois à redonner confiance aux Israéliens, confiance en leur État, en leur armée et surtout en eux-mêmes... ce qui n'est pas rien.

Lorsqu'il y a deux ans, l'Intifada d'El Aqsa a éclaté, les Israéliens furent complètement abasourdis, prostrés voire désespérés. Le sentiment d'avoir été trahi par Arafat et l'Autorité palestinienne dans ce laborieux chemin de la paix que les deux peuples avaient amorcé est extrêmement fort. Il a conduit Sharon au pouvoir et le reconduira encore une fois car le processus de reconstruction psychologique est loin d'être achevé. Les Israéliens qui vivent en permanence dans l'angoisse des attentats (et pas seulement en Israël, hélas !) sont dans l'incapacité de penser l'avenir. Ce qui est important, c'est ce qui va se passer demain matin ou même dans l'après midi. Tout programme politique à long terme est pour l'heure nul et non avenu. Les visions et les prophéties (comme un nouveau Proche Orient) ne peuvent plus être à l'ordre du jour depuis que les accords d'Oslo ont, du moins en apparence, conduit la région au bord du gouffre.

Aujourd'hui, la seule personnalité politique qui justement n'a pas de programme ni de solutions toutes faites à proposer est Sharon lui-même et par là-même, il rassure. C'est sans doute l'une des raisons de l'échec de Natanyahou qui, lui, proposait une solution simple et efficace : expulser Arafat des Territoires. Mais les Israéliens se méfient des programmes politiques trop bien ficelés et sont conscients que le réel est complexe.

Le nouveau leader travailliste Amram Mitzna, maire actuel de Haïfa, ancien général et commandant de la région centre lors de la première Intifada, est un homme droit et bon avec une réelle volonté d'arriver à la paix avec les Palestiniens ou faute de mieux à une solution viable qui permettra aux deux peuples de coexister plus ou moins pacifiquement en se séparant. Contrairement à son prédécesseur, Benyamin Ben Eliézer, il a l'avantage d'une position claire et déclarée : c'est un homme de gauche, sensible aux droits des Palestiniens et qui est prêt à négocier immédiatement avec Arafat. S'il force l'admiration de beaucoup, et là aussi parmi ses adversaires politiques, il n'en reste pas moins que dans ses propos il y a un " déjà vu " qui est loin de rassurer. Certes, Mitzna ne peut être comparé à Ehud Barak, mais son discours qui chez dans sa bouche sonne juste, rappellent un peu trop celui de l'ancien Premier ministre. Mais plus que tout, Mitzna, a le fâcheux désavantage d'avoir un programme détaillé, signe flagrant d'un manque de réalisme...

Il n'existe que deux façons de réagir au terrorisme : ou se laisser terroriser et paralyser par cette folie meurtrière, ou continuer, envers et contre tout, à vivre plus ou moins normalement. Si au début de la seconde Intifada, ce fut la première attitude qui a prédominé, depuis quelques mois c'est la seconde qui caractérise le plus la société israélienne. Mais même dans ce cas, il y a un prix à payer : enfiler une carapace, se rendre le moins vulnérable possible et s'empêcher de trop souffrir. Refuser coûte que coûte de se laisser gagner par la terreur et donc refuser de voir la réalité en face. C'est finalement un sursaut de vie, absolument indispensable, qui rend de moins en moins perméable à la souffrance d'autrui.

À titre d'exemple, il y a quelques mois encore, lorsque se produisait un attentat, le pays était paralysé pendant au moins plusieurs heures : les programmes de télévision et de radio étaient complètement bouleversés, on annulait tout événement joyeux, etc. Aujourd'hui, une heure à peine après un attentat, la vie et ses occupations reprennent le dessus. Le terrorisme n'a certes pas réussi à briser les Israéliens ni à les terroriser au premier degré mais il a réussi à entamer leur capacité de compassion et d'une certaine façon, à émousser leur sens moral. Une opération de Tsahal dans les Territoires qui se solde par des victimes innocentes palestiniennes ne soulève pratiquement plus l'indignation. Cette victoire du terrorisme sur les consciences est palpable et elle ne saurait être jugée par un tiers extérieur.

Sur fond de terrorisme, se déroule la campagne électorale en Israël. C'est justement lors des élections primaires au Likoud, jeudi dernier, que l'attaque au Kenya contre des Israéliens et puis l'attentat à Beth Shéan dans un local du Likoud (revendiqué par le Fatah de Yasser Arafat) ont eu lieu faisant huit morts et des dizaines de blessés. Peine perdue pour les terroristes, le scrutin s'est déroulé normalement et Sharon, comme l'avait prédit les sondages, a remporté la victoire. Si ces actions ne changeront pas fondamentalement le résultat des élections, chaque attentat perpétré dans cette période aura une influence psychologique sur les Israéliens et renforcera la sensation que Sharon reste l'homme de la situation.

Enfin, l'actuel Premier ministre est encore considéré comme celui qui, au moment opportun, saura entamer des négociations avec les Palestiniens. Il s'est prononcé plusieurs fois pour la création d'un État palestinien, contrairement à son rival Netanyahou et surtout, une majorité des membres du Likoud (54 % suivant un dernier sondage) se déclare également favorables à un État palestinien. Cette évolution est plus que notoire et elle est due en grande partie à Sharon lui-même. La solution militaire est une impasse, la majorité des Israéliens le reconnaît mais la solution politique est loin d'être trouvée. Alors, en attendant, Sharon reste une valeur sûre.

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