Il est difficile de savoir qui sera le prochain chancelier allemand, lorsqu'une majorité aura été constituée, après les élections du 22 septembre 2002. Les sondages mettent, depuis de longues semaines la CDU/CSU à plusieurs points d'avance (légèrement au-dessus de 40 % des suffrages) devant le SPD (qui aurait, si l'estimation est exacte), du mal à monter au-dessus de 36 ou 37 %.

Cela signifie-t-il que nous aurons, en la personne d'Edmund Stoiber, un chancelier bavarois ou bien le hanovrien Gerhard Schröder sera-t-il reconduit dans ses fonctions ?

Beaucoup d'incertitudes pèsent sur le résultat. Aucun des deux grands partis ne pourra gouverner seul. Et le résultat de l'élection dépendra autant des scores respectifs des écologistes d'une part, des libéraux d'autre part. Les Verts sauveront-ils les meubles malgré le reniement du pacifisme (guerre du Kosovo, guerre d'Afghanistan) par le ministre écologiste des Affaires étrangères, Joseph Fischer et malgré l'incapacité du ministre Jürgen Trittin à imposer le principe d'une sortie du nucléaire civil aux industriels du secteur énergétique ? Les sondages ne placent le parti écologiste que peu au-dessus de la barre nécessaire (5 %) pour obtenir des députés au Bundestag. Quant aux libéraux, les sondages sont prometteurs (10 à 12 %) mais on constate un léger recul cers dernières semaines. Normalement, il y a deux combinaisons envisageables : SPD/Verts et chrétiens-démocrates/libéraux. Dans ce cas, Stoiber remplacerait, au vu des chiffres, Schröder à la chancellerie.

Même si cette perspective est probable au point que Jacques Chirac a commis l'impair diplomatique d'accueillir Stoiber avec chaleur au début de l'été, il ne faut pas se faire d'illusions : le résultat ne changera rien d'essentiel à la politique allemande. Schröder n'a pas fait reculer le chômage, qui stagne à 4 millions, comme à la fin de l'ère Kohl. Et Stoiber aurait peu de chances de changer les choses : poids financier de la réunification, vieillissement démographique, récession de l'économie mondiale, tous ces facteurs continueront à peser sur l'économie allemande. Le ministre-président bavarois ne propose rien de révolutionnaire pour faire reculer le chômage. Le choix entre Schröder et Stoiber, c'est un peu comme celui entre Chirac et Jospin. Si Stoiber devenait chancelier, il est probable que, comme Schröder, il décevrait vite et sa majorité perdrait l'élection suivante. L'Allemagne entre, à mon avis, avec une quinzaine d'années de retard dans le cycle de l'alternance politique systématique. La grande question, à propos de ces élections, que personne ne pose, est, comme ailleurs en Europe, d'une éventuelle percée d'extrême-droite.

A priori, Stoiber tient la droite de l'électorat. Le " modèle bavarois " conduit à une sorte de haiderisme présentable : le conservatisme social y fait bon ménage avec l'investissement dans les nouvelles technologies, le contrôle de l'immigration, une politique de sécurité accentuée et un soutien discret au rétablissement par la voie économique de l'influence allemande dans les Sudètes. Stoiber lie l'entrée de la République tchèque dans l'Union europeéenne à l'abolition des décrets Benes de 1946, qui ont constitué la base juridique de l'expulsion des Allemands des Sudètes. D'une manière générale, l'hostilité à l'élargissement de l'Union européenne est une cause de plus en plus populaire en Allemagne et c'est sur ce thème que pourrait prospérer une extrême-droite, si le modèle bavarois ne prend pas au nord de l'Allemagne.

Car là est l'enjeu de l'élection : la Bavière a fondé sa prospérité sur les transferts financiers effectués en sa faveur, dans les années soixante et soixante-dix, dans le cadre de la péréquation financière au sein du Bund : sans eux, jamais le Land n'aurait pu subventionner son agriculture ni investir à ce point dans les nouvelles technologies. Or, ces dernières années, Edmund Stoiber n'a cessé de répéter que la Bavière, désormais créditrice du Bund, payait trop pour le Nord et l'Est de l'Allemagne. Depuis qu'il est candidat à la chancellerie, Stoiber essaie d'inverser la mauvaise impression laissée par des années de particularisme bavarois.

Qu'est-ce qui l'emportera ? Le souhait, en particulier dans l'ancienne RDA, d'avoir un homme neuf ou la méfiance vis-à-vis de l'Allemagne du Sud, arrogante et prospère ? Du résultat de Stoiber au nord et à l'est du pays dépend le résultat de l'extrême-droite. Si Stoiber obtenait une nette victoire, sa percée, inéluctable en Allemagne comme ailleurs en Europe, serait différée de quelques années.