L'Assemblée nationale a adopté en seconde lecture le projet de révision des lois de bioéthique. Le principe du " bébé-médicament ", appelé pudiquement par certains " bébé de l'espoir " est entériné.

Les couples voulant guérir un enfant atteint d'une maladie génétique incurable pourront produire des embryons dont l'un d'entre eux pourra être utilisé pour sauver l'enfant malade. En considérant que certaines vies humaines ont moins de valeur que d'autres, les députés consacrent un tournant culturel gravissime. Au lendemain de la solennité de l'Immaculée conception, le plus petit d'entre l'homme est soumis au pouvoir démiurgique du plus fort. Cette loi constitue un germe de corruption extrêmement agressif et signe la décadence avancée de nos sociétés post-modernes.

On le savait : les embryons conçus par fécondation in vitro et qui sont au stade de blastocystes formés de quelques cellules font l'objet de toutes les convoitises. En effet, les cellules composant le jeune embryon ne sont autres que ces cellules souches embryonnaires pluripotentes, à l'origine de tous les organes et tissus d'un organisme adulte ; elles constituent un " réservoir " pour la nouvelle médecine régénérative dont on attend tous les miracles. L'abandon par les parents d'un grand nombre de ces embryons congelés ne pouvait que tenter les chercheurs. Peu importe que ces cellules souches soient incompatibles sur le plan immunologique avec un éventuel malade receveur, peu importe qu'elles présentent un risque majeur de prolifération maligne, peu importe que la découverte des cellules souches chez le sujet adulte remettent en cause la connaissance que l'on croyait acquise de la régénération tissulaire, la loi du plus fort est inscrite dans les textes et devient le prototype d'une violence purement gratuite.

Il serait vain ici d'analyser tous les présupposés idéologiques qui ont justifié le vote des parlementaires, la bioéthique contemporaine étant traversée par de multiples courants philosophiques dont les sources sont diverses mais qui convergent tous vers le développement de ce que Jean-Paul II a appelé la culture de mort. En ce qui concerne l'embryon, ces différentes forces aboutissent à une chosification massive du plus petit d'entre nous. Cette atteinte au début de la vie se révèle dans sa nature comme un système, comme une " structure de péché ".

Relevons cependant l'un des grands concepts obscurantistes de la bioéthique française : le projet parental.

Cette notion complètement indigente sur le plan philosophique s'inscrit dans le grand mouvement utilitariste qui abreuve notre bioéthique : l'embryon n'a de valeur que s'il s'inscrit dans un projet parental. Notons que la vie de l'enfant à naître dépend actuellement non seulement de l'existence ou non d'un " projet ", mais aussi de sa conformité à ce projet : d'où le dépistage massif par le diagnostic prénatal traquant la moindre anomalie qui pourrait contrecarrer le fameux " projet ", d'où l'éradication massive des enfants trisomiques 21, et ce jusqu'à l'âge gestationnel de 9 mois par " interruption médicale de grossesse ", qui n'est autre que la mise en place rigoureuse d'une politique eugénique par l'État. D'où aussi le diagnostic préimplantatoire (DPI) permettant jusqu'à présent d'éliminer in vitro les embryons " malades " porteurs d'une anomalie génétique au profit de leurs frères et sœurs sains et, depuis jeudi, autorisé pour concevoir un " bébé-médicament ", cette fois-ci, en ne concevant que des embryons sains mais en détruisant ceux qui ne seraient pas compatibles génétiquement avec un frère ou une sœur malade.

Nous voici dans la grande entreprise productiviste de la procréation où finalement ce sont les producteurs (parents, médecins,...) qui ont pouvoir de valoriser la chose produite, c'est-à-dire l'enfant à naître.

Ainsi, pour piller les cellules souches dont recèlent les tous jeunes embryons, nos députés ont décidé de faire dépendre l'existence de l'embryon d'un point de vue subjectif extérieur qui ouvre à tous les arbitraires. Il y a une très grande malhonnêteté intellectuelle à vouloir confondre la personne et le projet où en définitive le regard de l'autre ne reçoit plus le sens, mais le constitue. Derrière ce raisonnement se dissimule un relativisme intransigeant qui nie toute valeur objective de la connaissance. L'appartenance de l'embryon à notre commune nature humaine est ce qui fonde le sens ; c'est la connaissance de cette humanité objective qui précède sa reconnaissance. Bref, ce n'est pas parce que les parents accueillent cet embryon qu'il est une personne digne de respect, c'est parce qu'il est objectivement cette personne, même la plus petite et la plus cachée que nous connaissons, qu'ils se posent la question de l'accueillir. Si c'était un embryon de souris ou de kangourou, ils ne se poseraient même pas la question. C'est bien la réalité du sujet qui permet la reconnaissance et la relation interpersonnelle ; ce n'est pas la relation qui fait exister les personnes dans leur objectivité. D'ailleurs le fait même de parler de projet parental indique que nous avons affaire à des parents, et donc à des enfants.

Le projet parental n'est donc que le dernier avatar d'une bioéthique instaurant une fracture entre les différents êtres humains de manière à disposer du corps du plus petit d'entre nous : c'est à nouveau la légitimation de l'esclavage ou de la barbarie nazie, plus voilée mais non moins perverse.

Quant au " bébé-médicament ", il représente cette logique du projet poussée jusqu'en ses ultimes retranchements. Si les indications " classiques " du DPI sont hautement condamnables, elles étaient du moins sensées réaliser l'intérêt de l'enfant. Dans sa nouvelle indication, la légitimation de la conception d'un " enfant-médicament " ne repose que sur sa compatibilité HLA. C'est la réduction sans précédent de l'enfant à l'objet. Et qu'importe que l'on crée et détruise immédiatement des embryons n'ayant pas la chance d'être donneur potentiel ! " Être un génome compatible avec son frère ou sa sœur malade " représentera une part de son identité, de son être, de sa conscience. On imagine trop bien les conséquences si cet enfant n'est pas à la hauteur du projet inhumain et aliénant qui l'a fait naître. Derrière la souffrance d'une famille frappée par la maladie d'un enfant se cache la tyrannie du tri embryonnaire.

Devant ce déferlement de la culture de mort, alors que ces nouvelles lois de bioéthique ont été adoptées dans un silence assourdissant, il faut nous unir, nous lever et prendre la parole ainsi que le demandait le cardinal Barbarin lors du récent colloque de bioéthique organisé à Paray-le-Monial par la communauté de l'Emmanuel.

Le témoignage chrétien appelle une riche pluralité d'actions intégrées dans une vaste stratégie au service de l'édification de la civilisation de l'amour et de la vie ; cependant l'annonce en est le premier temps fondamental. Il nous faut donc se former – la pastorale de la Vie du diocèse de Fréjus-Toulon, à la demande de Mgr Dominique Rey, organisera un temps de formation en bioéthique début 2004 — et promouvoir une bioéthique personnaliste ontologiquement fondée. C'est ce que demande le Saint-Père dans sa Lettre apostolique Novo millennio inuente : " Un engagement particulier doit concerner certains aspects de la radicalité évangélique, qui sont souvent le moins compris, au point de rendre impopulaire l'intervention de l'Eglise, mais qui ne sauraient pour autant être absents des rendez-vous ecclésiaux de la charité. Je veux parler ici du devoir de s'engager pour le respect de tout être humain depuis sa conception jusqu'à sa mort naturelle. De même, le service de l'homme nous impose de crier, à temps et à contretemps, que ceux qui tirent profit des nouvelles potentialités de la science, spécialement dans le domaine des biotechnologies, ne peuvent jamais se dispenser de respecter les exigences fondamentales de l'éthique...

Pour que le témoignage chrétien soit efficace, spécialement dans ces domaines délicats et controversés, il est important de faire un gros effort pour expliquer, de manière appropriée, les motifs de position de l'Eglise, en soulignant surtout qu'il ne s'agit pas d'imposer aux non-croyants une perspective de foi, mais d'interpréter et de défendre les valeurs fondées sur la nature même de l'être humain. La charité se fera alors nécessairement service de la culture, de la politique, de l'économie, de la famille, pour que partout soient respectées les principes fondamentaux dont dépendent les destinées de l'être humain et l'avenir de la civilisation. Il est clair que tout cela devra être réalisé selon un style spécifiquement chrétien : ce sont surtout les laïcs qui seront présents dans ces tâches, afin de réaliser leur vocation propre [...]. Ce versant éthique et social constitue une dimension absolument nécessaire du témoignage chrétien. (n.52). "

Pierre-Olivier Arduin est responsable de la formation en bioéthique de la Pastorale de la Vie du diocèse de Fréjus-Toulon.

> D'accord, pas d'accord ? Envoyez votre avis à Décryptage

>