Le voyage de Benoît XVI est un succès. Mais au-delà de son impact médiatique quelles en seront les retombées ? Il faudra sans doute plusieurs années pour le mesurer. Pour une large part, les fruits du voyage de Benoît XVI sont entre nos mains. La Fondation de Service politique se mobilise.

LA PREMIERE VISITE du pape venu de Pologne, en 1980, a donné naissance à une Génération Jean Paul II . En presque trente ans celle-ci a largement contribué à modifier le paysage de l'Église de France et de la société française. Aujourd'hui, les catholiques sont nettement plus influents dans la société qu'ils ne l'étaient à la fin du XXe siècle. Leur présence est sans doute discrète, elle n'est pas pour autant inefficace : la France debout, la France qui marche, la France généreuse, la France qui décide est dans une large mesure composée de chrétiens fervents et actifs.

Depuis trente ans, le contexte a totalement changé. Le mur de Berlin est tombé. L'islam fanatique étend sa toile, de nouveaux acteurs économiques très puissants émergent. Le point d'équilibre du monde se déplace. Une vaste partie de la société française et de l'Europe s'enfonce dans le matérialisme le plus mercantile et dans une crise existentielle profonde. Mais un pôle fort, bien plus qu'un noyau, venu d'horizons très divers, s'est constitué en moins d'une génération autour d'un ensemble de valeurs fortes.

Nicolas Sarkozy, semble t-il, en a pris conscience, avant bien d'autres. Cela n'en fait pas un converti, certes, mais pour lui, les croyants sont l'une des forces vives de la France. À l'Élysée, le 12 septembre, Benoît a salué la belle expression de laïcité positive, employée par le Président au Latran. Pourquoi cet encouragement pontifical ?

Le chef de l'État a compris que la part spirituelle et religieuse de l'homme était partie constituante de la stabilité, de l'unité et de la prospérité d'un peuple. Il fait le pari qu'une partie des musulmans sur lesquels il s'appuie, et surtout que les chrétiens, et en particulier les catholiques, occupent désormais une place centrale pour l'avenir de la France. Le candidat, puis le chef de l'État a intégré dans sa problématique politique personnelle cette évolution profonde. Son succès aux élections présidentielles procède en partie de cette analyse et des conclusions pratiques qu'il a su en tirer.

Dans ce nouveau contexte, ses prises de position successives sur la laïcité ne procèdent nullement du hasard ou de préférences personnelles. Il en soigneusement mesuré l'impact et prévu les remous qu'elles susciteraient. Elles font partie d'une stratégie calculée. Elles procèdent d'une ferme volonté de sortir du profil bas religieux de ces prédécesseurs et sont dans la droite ligne de ses réflexions, bien antérieures à son élection, sur les rapports entre politiques et convictions religieuses développées dans son livre La République, les Religions, l'Espérance (Cerf).

Sa stratégie ne consiste pas instrumentaliser les religions à son profit contrairement aux reproches que certains lui font. Pas plus que le pape, faisons lui le crédit qu'il ne cherche pas à confondre les genres. Il sait que la confusion du religieux et du politique revient à les détruire mutuellement. Pour lui comme pour Benoît XVI, leur fécondité repose sur leur claire distinction.

En revanche il sait que l'espérance que porte le christianisme est consanguine à l'identité française au-delà de toutes les vicissitudes de notre histoire. Le sentiment religieux fait pour lui partie de la réalité française et il sait que la France en a besoin, non seulement comme rempart contre la montée des fanatismes, mais aussi parce les chrétiens diffusent une générosité et une espérance positives dans une société où les repères se délitent et où l'individualisme se répand. C'est pourquoi il est prêt à favoriser leur expression libre dans la mesure où celle-ci ne remet pas en cause les fondamentaux de la République.

Les Français plébiscitent la laïcité positive

Cela ne plaît certes pas à tout le monde. La haine du religieux existe. Libération s'en est fait à sa manière le porte parole : Ce que dans la personne de Monsieur Tout-blanc tout le monde attendait, c'était le successeur de l'autre, là, l'increvable "athlète" dont le "charisme" transportait les foules, la sainte idole des JMJ, le "tombeur du communisme", le routard showman et rocker polonais de Castel Gandolfo... À Paris, le "peuple" de "la fille aînée de l'Église" se proposait benoîtement de renifler d'un peu plus près son ratichon en chef, fort, certes, de ses états de service de Grand Inquisiteur de l'ex-Opus Dei, mais toujours confusément perçu comme un "pape de transition". Au lieu de quoi, c'est un chef de guerre qu'accueillit sur le tarmac d'Orly le chef de l'État français. D'autres, comme François Hollande ou François Bayrou, avec une rondeur plus politique, ne sont pas moins critiques. Pour le premier, la laïcité positive est une mauvaise conception de ce que doit être l'organisation de la République , et pour le second mélanger la religion et la politique, ce n'est bon ni pour la République ni pour la religion . Mais ni les uns ni les autres ne représentent une majorité.

La laïcité positive est plébiscitée par les Français. Le sondage réalisé par Valeurs actuelles (18 septembre), en témoigne. 78 % d'entre eux, quatre sur cinq, reconnaissent que les religions peuvent contribuer à transmettre aux jeunes des repères et des valeurs positives : respect de l'autre, tolérance, générosité . Quels que soient leur âge ou leurs opinions politiques, ils sont majoritairement du même avis : 77 % des moins de 35 ans, 71 % des sympathisants de gauche et 90 % de sympathisants de l'UMP, 58 % des sans religion.

L'opinion publique largement majoritaire se reconnaît donc dans les propos de Nicolas Sarkozy à Saint-Jean-de-Latran, le 27 décembre, propos répétés à l'Elysée le 12 septembre : J'appelle de mes vœux l'avènement d'une laïcité positive qui, tout en veillant à la liberté de penser, à celle de croire et de ne pas croire, ne considère pas que les religions sont un danger mais plutôt un atout. L'évolution de la définition de la laïcité que donnent les Français ne manque pas non plus d'intérêt : 56 % des Français, au lieu de 50 % en 2005, la définissent comme la possibilité laissée à chaque citoyen de pratiquer sa religion , tandis que 24 %, au lieu de 30 %, la définissent comme l'interdiction de manifester son appartenance religieuse dans les services publics . Autrement dit la conception positive de la laïcité gagne du terrain.

Une opportunité historique

Beaucoup de chrétiens n'ont pas intégré ces changements profonds. L'Église de France, qui doit gérer des problèmes d'intendance difficiles et qui ne veut pas soulever de remous dans l'opinion, a accueilli les propos de Nicolas Sarkozy et du Pape avec une circonspection toute gallicane. Quant aux laïcs, confrontés à une société qu'ils estiment plus hostile qu'elle ne l'est à leur présence, et dubitatifs sur les véritables intentions du président de la République, ils demeurent, même satisfaits, plutôt prudents.

Or nous avons une opportunité historique de faire bouger les lignes.

En effet, depuis des siècles, jamais Paris et Rome n'ont tenu un discours aussi proche. Chrétien ou non, le pouvoir en France s'est pratiquement toujours opposé au Siège de Pierre, et l'épiscopat a été le plus souvent du côté du pouvoir. Aujourd'hui, dans une situation totalement nouvelle, il existe une convergence entre l'Église représentée dans son Magistère le plus élevé et le gouvernement Français représenté par son premier magistrat. L'un et l'autre sont d'accords pour :

  • Ne pas s'immiscer dans les affaires de l'autre.
    Vis-à-vis des citoyens, pour l'un comme pour l'autre, les relations entre l'Église et l'État doivent, dit Benoît XVI, s'inscrire dans le cadre institutionnel existant et dans le respect des lois de la République . L'Église ne cherche pas à revendiquer la place de l'État ni à se substituer à lui . Elle respecte l'indépendance et l'autonomie de chacune (la communauté politique et l'Église) dans son propre domaine . De son côté, l'État reconnaît aussi qu'il n'a pas de réponse sur le sens de la vie et les fins ultimes de l'homme.
  • Reconnaître que la religion est une fonction irremplaçable pour la construction de la liberté commune qui suppose un minimum de formation des consciences, un consensus éthique fondamental (toujours Benoît XVI, à l'Elysée).
  • Trouver une voie nouvelle pour interpréter et vivre au quotidien les valeurs fondamentales sur lesquelles s'est construite l'identité de la nation , afin que chacun, au sein de la société française, comprenne mieux d'où il vient et où il va (Benoît XVI aux évêques, à Lourdes).

Dans ces conditions, Nicolas Sarkozy, à la différence de François Hollande ou de François Bayrou, ne perçoit pas l'appel de Benoît XVI à une libération spirituelle de la France comme une menace pour la République.

Notre réponse et nos priorités

Dès lors la question qui se pose aujourd'hui est de savoir quelle sera notre réponse. Sera-t-elle molle ou déterminée ?

Benoît XVI nous a fixé une sorte de feuille de route . Il invite les catholiques de France à libérer les forces spirituelles du pays. Pour nous, laïcs, il s'agit d'éclairer les consciences et de mobiliser les énergies au service du bien commun, en reconstruisant un consensus éthique fondamental :

  • Réduire les injustices dont sont victimes les plus faibles.
  • Promouvoir les droits inaliénables de la personne humaine, depuis sa conception jusqu'à sa mort naturelle ainsi que ceux relatifs à son éducation libre, à sa vie familiale, à son travail, sans oublier naturellement ses droits religieux (Élysée).
  • Faire aimer la France, en revivifiant sa culture, et en mettant en évidence ses racines chrétiennes (Lourdes).
  • Agir dans un cadre français mais aussi européen. Ce qui implique notamment de corriger la Charte des droits fondamentaux [1], et de réorienter la construction européenne dans un sens respectueux des identités culturelles nationales (Élysée).

L'année qui vient offre des perspectives d'action qui nous engagent dès maintenant :

BIOETHIQUEComme le prévoit la loi de 2004, une deuxième révision aura lieu en 2010. Elle sera précédée des États généraux de la bioéthique sous la responsabilité de Mme Roselyne Bachelot, ministre de la Santé. Celle-ci a annoncé que le débat sera ouvert et que tous les sujets seront abordés, mais en ajoutant qu'il s'agit d' assurer l'adaptation du droit aux évolutions de la science . Les enjeux sont considérables au regard du respect de la dignité humaine :

  • La recherche sur l'embryon sera-t-elle abandonnée, ou maintenue par dérogation, ou autorisée, alors que les scientifiques savent qu'aucun résultat thérapeutique n'existe ?
  • Le DPI ou DPN sont-ils compatibles avec les principes d'interdiction de l'eugénisme et d'interdiction de la sélection des personnes?
  • La pratique des mères porteuses, contraire à l'interdiction de la commercialisation du corps humain, sera-t-elle être autorisée ?
  • Envisage-t-onr une indemnisation des dons d'ovocytes ou de tout organe ?
  • Autorisera-t-on la production de cellules souches embryonnaires par clonage humain, alors que la loi interdit la constitution d'embryon pour la recherche ?

DROIT DE LA FAMILLELe droit de la famille, sous la pression du lobby gay, risque d'évoluer avec la création du statut du beau parent ou assimilé, ainsi qu'avec le projet de contrat d'union civile (Cuc) signé en mairie.
Ces deux propositions auraient pour conséquences la constitution de nouvelles filiations et de dénaturer le mariage. DIGNITE DE LA FEMME Alors que la France a ratifié la convention de Varsovie sur la lutte contre la traite des êtres humains, entrée en vigueur le 1er mai dernier, aucun programme n'a été mis en œuvre pour mettre fin à ces attaques contre la dignité de la femme (travail clandestin, prostitution...). Ce nouvel esclavage à l'échelle européenne continue de prospérer en toute impunité... CONSTRUCTION DE L'EUROPEAlors que nous sommes à la veille des élections européennes, les chrétiens ont l'occasion de dire au pouvoir politique quelle Europe ils veulent : quelle est son identité, quelles sont ses valeurs, quels moyens mettre en commun pour un avenir meilleur respectueux de la dignité de tout être humain et de ses droits ? Sur chacun de ces points Benoît XVI nous invite à libérer notre parole. À nous de sortir de l'enfouissement pour agir !

L'appel libérateur de Benoît XVI à la France nous invite à agir très pratiquement. Oui, il est trop tôt pour imaginer le détail des projets à mettre en œuvre pour amorcer notre libération spirituelle . Mais notre mobilisation doit être réelle et concrète, quel qu'en soit le prix. Pour sa part, la Fondation de Service politique compte sur vous tous, ses amis, lecteurs et associés, pour prendre l'initiative :

  • Renforcer notre cellule de veille pour suivre ces grandes questions de société à l'Assemblée nationale, au Sénat, au Parlement européen et dans le cadre des États généraux de bioéthique, afin qu'à votre tour vous puissiez rencontrer votre député et peser sur sa décision finale, c'est-à-dire sur son vote. Votre député doit tenir compte de votre avis.
  • Publier régulièrement analyses, décryptages et argumentaires, notamment en direction des parlementaires, pour éclairer les décisions de chacun, quelle que soit sa responsabilité.
  • Préparer les élections européennes de 2009, pour que la voix des chrétiens se fassent entendre, et que le discernement de tous soit justement éclairé sur les véritables priorités
  • Engager une réflexion avec vous pour renouveler les modes d'action et d'engagement politique des chrétiens de France.

La laïcité positive au sens où l'entend le Pape n'a pas seulement un contenu formel et technique. C'est aussi un élan, une espérance que nous devons partager avec tous, y compris ceux qui, sans être chrétien, ont le même désir que nous d'une société plus juste, d'un homme plus droit et d'une parole plus libre. N'hésitez pas à nous contacter et à nous apporter votre soutien. L'association pour la Fondation de Service politique est un instrument destiné à favoriser l'expression de la parole des chrétiens dans notre société. Benoît XVI ne nous demande pas autre chose : Libérons notre parole !


[1] Cf. dans cette édition, François de Lacoste Lareymondie, Décryptage, 19 septembre 2008