Accès à la parenté : ce concept nouveau, qui inspire la sympathie, est délibérément choisi car il permet de s'affranchir de la dimension biologique de la maternité et de la paternité, donc de plaider pour un élargissement des techniques de procréation médicalement assistée (PMA) aux couples homosexuels. Ce glissement subtil permet de ne pas utiliser les termes de père et de mère, mais de parents , entendu au sens social. Les promoteurs de ce concept de parenté refusent de considérer le rôle du lien biologique et de la complémentarité des sexes dans la construction identitaire de l'enfant [1].

Pourtant ce lien biologique pose tout de même une question aux défenseurs de la gestion pour autrui (GPA), de l'élargissement des techniques de PMA aux couples homosexuels et de la levée de l'anonymat du don de gamètes. Sans biologique , pas de vie...
Les besoins fondamentaux, après la survie individuelle, passent par assurer une descendance , lit-on en conclusion du rapport Accès à la parenté : PMA et adoption de la psychanalyste Geneviève Delaisi de Parseval pour la Fondation Terra Nova, dans un paragraphe consacré au droit à fonder une famille [2]. Pas de parenté , pas de descendance sans procréation.
C'est l'une des principales contradictions inhérente à cette posture : nier le poids du biologique en faisant parallèlement de ce biologique l'enjeu essentiel des revendications.
Personne ne s'étonnera que Terra Nova fasse de la famille une construction sociale (où la complémentarité des sexes est reléguée au second plan), mais souhaite de l'autre que l'État lève l'anonymat du donneur de gamètes, car pour constituer leur identité et pouvoir se figurer leur propre narratif, les enfants ont besoin d'accéder à l'identité de leurs géniteurs (id.).
Elle demande même une refonte du droit de la filiation, visant à rapprocher la filiation par AMP de la filiation adoptive, ce qui reviendrait en réalité à redonner aux donneurs de gamètes leurs statuts de géniteurs et à les inscrire de facto dans une démarche de filiation.
En reconnaissant la part essentielle de la connaissance de l'origine génétique dans la construction psychique de l'individu, Terra Nova pose la question légitime des conséquences psychologiques induites par les techniques d'insémination artificielle avec sperme du donneur (IAD) sur les enfants issus de ces techniques, et remet en fait la place du biologique au cœur du débat — ce dont précisément elle affirme vouloir s'affranchir.
Le marché procréatif
Mais cette revendication paraît totalement irréaliste. L'explosion des techniques de PMA a contribué à faire de la procréation un marché très lucratif, et la part de l'offre doit pouvoir continuer à l'alimenter : c'est d'ailleurs sur ce terreau du marché procréatif que se développent aujourd'hui des lobbies tels que celui de Terra Nova. Remettre la question de la filiation au cœur du débat sur le don de gamètes est une démarche courageuse, éthique — aucun groupe, y compris parmi les plus conservateurs n'aurait eu l'idée d'aller jusque là ! — mais elle risque de signer la mort du don de gamètes lui-même : or ce sont ces dons qui nourrissent l'essentiel des fantasmes de parentalité hors- corps, hors-sexualité, hors-conjugalité. Autant de fantasmes dont Terra Nova se fait aujourd'hui le porte-parole.
Il est un fait normalement bien connu des psychanalystes, qui accompagne la maturation psychique de l'enfant : c'est le passage du fantasme de la toute puissance à la prise de conscience de la finitude, des limites du corps et de l'identité sexuée. Ce passage est un cap décisif dans le développement individuel. C'est le cap de l'adéquation avec une réalité existentielle, avec la prise de conscience de limites dont dépend la survie même de l'enfant.
Or dans ce domaine comme dans le domaine de la science, le principe de réalité finit toujours par s'imposer sur la toute puissance du désir individuel.
Le principe de réalité, ce sont les conséquences induites par la fécondation in vitro sur les repères générationnels, de filiation et également les repères identitaires :

  • puisque l'on sait congeler l'embryon, l'engendrement peut avoir lieu désormais des années après la fécondation, après la mort du père, voire même après celle de la mère (question de la filiation post-mortem ).
  • l'enfant conçu peut aujourd'hui avoir trois mères potentielles : la mère légale, la mère génétique et la mère porteuse. Or la clinique démontre que le meilleur cadre de développement pour un enfant est celui où ces trois acteurs sont réunis en un.

 

Connaître son origine
Le principe de réalité, ce sont des milliers d'enfants issus de dons de gamètes (IAD, insémination artificielle avec donneur), aujourd'hui trentenaires, qui demandent des comptes au milieu médical sur leur filiation biologique. Sur ce point, la revendication de Terra Nova vient simplement corroborer une réalité existante, celle de la demande de ces enfants que la société, par défaut de réflexion, a floués d'un droit élémentaire : celui de connaître leurs origines. Cette réalité est une des conséquences induites par l'absence de réflexion en amont sur les effets à long terme des pratiques d'insémination artificielle avec tiers donneur.
Méconnaître le lien biologique, c'est méconnaître aussi la nature des liens gestationnels, qui constituent pourtant aujourd'hui une réalité clinique incontestable : celle du lien mère-enfant et des processus psychiques essentiels qui se mettent en place au cours de la gestation. Cet argument suffit à lui seul à discréditer la pratique de la gestation pour autrui, qui nie toute la part inaliénable d'humanité contenue dans la grossesse pour la transformer en objet de commerce.
Le principe de réalité, c'est la part de plus en plus grande que doit prendre à l'avenir la psychologie de la conception, la prise en compte du rôle essentiel des conditions liées la conception elle-même, mais aussi des événements de vie traversés in utero dans le développement de l'enfant.
L'interpellation du député Jean Léonetti prend alors tout son sens : Jusqu'à quand allons-nous manipuler le biologique pour répondre à nos désirs ? Il est étrange de constater que nous appliquons le principe de précaution à l'environnement et bien peu à l'humanité.

[1] Cf. Les éléments d'analyse du rapport de la Fondation Terra Nova publié en février 2010 sous la direction de la psychanalyste Geneviève Delaisi de Parseval Accès à la parenté, AMP et adoption , disponible sur http://www.tnova.fr/
[2] Idem.

 

 

***