Combien de jours le repos dominical a-t-il désormais devant lui ? L'euphorie des dirigeants de l'UMP inquiète à bon droit les commentateurs les plus sûrs qui ne masquent plus leur pessimisme (cf. Le Monde du 8 août [1]). Enfin votée par un parlement rétif jusqu'au bout, la quatrième version de la proposition de loi Mallié, même considérablement allégée, n'est pas si anodine.

 

Personne ne s'y trompe, et certainement pas, laconique, l'écrivain catholique Patrice de Plunkett. Sur son blog, le journaliste conclut chaque semaine par le post Bon dimanche chômé et à lundi : il a rajouté ce 8 août ... bien que trimer aussi le dimanche soit maintenant "constitutionnel"...
L'Église instrumentalisée
C'est aussi Plunkett, grand admirateur de Benoît XVI (Benoît XVI et le plan de Dieu, Presses de la Renaissance, Paris, juin 2005), qui avait le premier trouvé étonnant que celui par qui la loi malmenant le repos dominical était enfin adoptée, le ministre du Travail Xavier Darcos, se fasse au même moment le thuriféraire de l'encyclique sociale du pape dans L'Osservatore Romano. Habileté ?... L'article du ministre publié le 4 août dans le quotidien du Saint-Siège [2], soit deux jours avant la décision favorable du Conseil constitutionnel, manquait d'honnêteté ou au moins d'élégance : les responsables de l'Osservatore romano ont été manifestement piégés.
Certes, que Xavier Darcos intervienne à propos de Caritas in veritate n'a rien d'incongru. L'ancien ministre de l'Éducation nationale, normalien, agrégé de lettres classiques, et Benoît XVI appartiennent tous deux à l'Institut de France (le cardinal a été élu membre associé étranger de l'Académie des sciences morales et politiques le 13 janvier 1992). Mais le très juste éloge de l'encyclique superposé à l'attaque gouvernementale du repos dominical a un goût amer de mélange des genres. Rien n'aura été laissé au hasard chez les promoteurs du travail dominical, qui n'ont pas craint d'affecter une pseudo-complicité avec l'Église [3], d'oser l'amalgame et de faire croire à l'aval de Rome !
Résultat, une victoire quasi totale, en dépit d'un texte très en deçà de l'objectif initial et d'un vote à l'arraché, sans enthousiasme. Et le 6 août, le Conseil constitutionnel donne son aval, censurant seulement le statut prévu pour Paris (un détail selon Richard Mallié, le rapporteur de la proposition de loi, satisfait de cette validation à 99% ). Les décrets d'application seraient même prêts pour une loi en vigueur dès septembre.
On nous assure les yeux dans les yeux que le repos dominical n'est pas en danger. Qu'on nous permette toujours d'en douter, comme la plupart des organisations sociales (syndicats, associations familiales dont les AFC, de nombreuses organisations commerciales) qui ont donné de la voix pendant ces dix mois de débat intensif, sans parler de nombreux chefs d'entreprise tout aussi dubitatifs, notamment dans la grande distribution.
Abrogation de l'obligation du repos dominical
Rappelons que la proposition de loi Mallié ne s'appuie pas sur une vieille loi datant de 1906. Depuis le 1er mars 2008, le repos hebdomadaire a changé de registre : l'intitulé du principe du repos dominical dans le code du travail a effacé le verbe devoir. L'obligation n'est plus qu'un constat. On est passé par ordonnance du repos hebdomadaire doit être donné le dimanche [4] au repos hebdomadaire est donné le dimanche [5] . S'ouvre un chemin vers une simple préférence tendant ainsi à amoindrir le principe, à le vider de sa force : c'est la base même de la proposition de loi Mallié. De ce fait, les dérogations que le député des Bouches-du-Rhône espère ont plus de latitude pour être adaptées comme le mentionne l'intitulé de la loi.
Que signifie d'ailleurs adapter les dérogations si ce n'est les élargir, les augmenter encore dans des cas précis toujours plus nombreux ? Or sous cette augmentation appelée à être toujours plus large, on veut faire croire à un assouplissement, à une simplification qui ne fera rien d'autre que d'éteindre l'exception. L'augmentation des dérogations est la brèche d'une loi plus générale : un repos hebdomadaire donné de manière moins contraignante qu'au jour fixe du dimanche et donné un autre jour de la semaine.
Déroger au repos dominical c'est suspendre le repos dominical, supprimer le repos dominical, priver de repos dominical : vouloir adapter ces dérogations, suspensions, suppressions, privations, c'est les rendre plus lâches qu'elles ne le sont déjà. Multiplier encore et encore la possibilité du repos hebdomadaire en dehors du dimanche aboutira in fine qu'il soit donné largement un autre jour, comme on le voit également par le biais des conventions collectives et la multiplication des jours de repos compensateur un autre jour que le dimanche.
Et le principe de moins en moins appliqué aura vécu : le dimanche, de jour à part deviendra jour comme les autres.
Le journal Les Échos l'a bien compris. À propos de la décision du Conseil Constitutionnel censurant l'exception parisienne, le quotidien économique écrit :

... si le camouflet est réel et ravira les socialistes, auteurs du recours, il ne doit pas faire oublier les autres dispositions que les sages ont refusé de censurer. Sur le plan des principes tout d'abord : ils ont jugé que le repos hebdomadaire est un principe fondamental, mais pas le fait qu'il soit respecté le dimanche. Surtout, ils ont validé la coexistence de régimes différents pour les salariés travaillant le dimanche dénoncée par le PS comme par les syndicats (7 août).

Que reste-t-il de nos dimanches ?
Il reste néanmoins l'opposition farouche de la CFTC qui entend contester la loi devant les juridictions européennes (cf. Le Monde, 7 août). Honneur au syndicat chrétien. Le courage de ceux qui se sont battus à mains nues et qui espèrent toujours infléchir le cours des choses relève de la fronde face au géant dans un combat bien inégal.
Il reste enfin le terrain spirituel. Peut-être fallait-il que soit enlevé aux chrétiens ce qu'ils ont de plus cher pour qu'enfin la résistance monte et que leur foi se renouvelle vraiment par une réintériorisation choisie du dimanche, par une conversion appelée par Jean-Paul II et que Benoît XVI invite sur un autre mode à faire vraiment. N'est-ce pas en hiver qu'on espère le printemps, en prison qu'on espère la liberté ? C'est en leur enlevant le dimanche que se creusera peut-être dans le cœur des chrétiens le désir de le vivre à nouveau et de vouloir ce bonheur pour tous. À chacun d'y œuvrer désormais.
Et comme premier acte de cette décision : choisissons d'ignorer toujours les magasins ouverts le dimanche. C'est maintenant que tout commence.

 

[1] Le Monde du 8 août, Les bénéfices très incertains du travail dominical .
[2] Édition en langue française du 4 août : Comme une clarté dans le malaise de la société .
[3] Comme les réponses envoyées par les députés aux milliers de pétitionnaires hostiles au travail dominical. Pierre-Christophe Baguet, député maire de Boulogne-Billancourt, s'explique ainsi : Alors que j'étais très réservé voire même hostile au texte initial, j'ai considéré que les nombreuses améliorations obtenues, notamment suite à la rencontre entre Brice Hortefeux, alors ministre du Travail, et Mgr André Vingt-Trois, me permettaient de le voter.
[4] Article L221-5, Abrogé par Ordonnance n°2007-329 du 12 mars 2007 - art. 12 (VD) JORF 13 mars 2007 en vigueur au plus tard le 1er mars 2008 : Le repos hebdomadaire doit être donné le dimanche. NOTA: Ordonnance 2007-329 2007-03-12 art. 14 : Les dispositions de la présente ordonnance entrent en vigueur en même temps que la partie réglementaire du nouveau code du travail et au plus tard le 1er mars 2008. La loi n° 2008-67 du 21 janvier 2008 dans son article 2 X a fixé la date d'entrée en vigueur de la partie législative du code du travail au 1er mai 2008.
[5] Article L3132-3, Le repos hebdomadaire est donné le dimanche. NOTA: Ordonnance 2007-329 du 12 mars 2007 art. 14 : Les dispositions de la présente ordonnance entrent en vigueur en même temps que la partie réglementaire du code du travail et au plus tard le 1er mars 2008. La loi n° 2008-67 du 21 janvier 2008 dans son article 2 X a fixé la date d'entrée en vigueur de la partie législative du code du travail au 1er mai 2008.

 

 

***