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Jacques Bichot et Denis Lensel,Atout famille,Presses de la renaissance, 2007, 290 p., 20 €

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Jacques Bichot et Denis Lensel,Atout famille,Presses de la renaissance, 2007, 290 p., 20 €
  • Auteur : Jacques Bichot, Denis Lensel
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La famille peut bien être meurtrie par les divorces, les violences conjugales, la maltraitance des enfants, etc., il n'empêche : elle est plébiscitée dans les sondages, et sa cote n'arrête pas de monter.

Pourquoi ? Parce qu'elle répond à des besoins, parce qu'elle se porte mieux que toutes les autres institutions, parce qu'elle fait montre d'une étonnante capacité d'adaptation. La République a déçu, la religion a de moins en moins d'adeptes, l'enseignement n'est plus vénéré comme ascenseur social ; la famille, elle, est de plus en plus perçue comme le lieu privilégié du bonheur et de l'épanouissement personnel. Chacun sent, très directement, qu'elle est un atout maître et ressent, peut-être plus confusément, qu'elle rend à la société des services dont celle-ci ne peut pas se passer. Atout famille montre que ce sentiment est justifié : la famille est effectivement à la fois la grande ressource des individus, et la providence de cet immense ensemble qu'ils forment tous ensemble, la société.

 

La vie commune a bien des avantages. Matériels, car il faut par exemple moins de mètres carrés pour loger 4 personnes ensemble que séparément. En termes de sécurité, pour les accidents de la vie, les revenus, les agressions. Pour avoir de la compagnie, la compagnie de personnes suffisamment semblables pour qu'on se comprenne, et suffisamment différentes pour qu'on se complète. Et puis le couple conjugal, officiellement marié ou non, est la meilleure formule pour mener une vie sexuelle en osmose avec un rapport affectif qui va s'approfondissant.

 

Ce couple est alliance : un pacte par lequel chacun devient responsable du bonheur de l'autre. Les époux expérimentent qu'il y a beaucoup de plaisir à donner, et plus de plaisir à recevoir qu'à prendre. Renonçant à s'emparer, à contraindre, ils goûtent la joie d'avoir néanmoins beaucoup, parce le conjoint donne de sa propre volonté – par amour. Cet amour conjugal oblatif a beau être souvent remplacé dans la pratique par des comportements égocentriques, il n'en est pas moins l'idéal qui peut animer une vie, et c'est parce qu'elle est porteuse de cet idéal que la famille a tant de succès.

 

La famille peut exister du seul fait de l'alliance : c'est l'expérience que font bien des couples sans enfants, et que méconnaissent ceux qui voudraient baser la famille essentiellement sur la filiation. Ceci étant, fort heureusement, la grande majorité des couples qui veulent avoir des enfants en ont, et la famille devient alors le lieu par excellence de l'éducation. On a là un exemple de la plasticité de l'institution familiale : qu'il y ait dix enfants, deux, ou zéro, que les enfants soient des bébés totalement dépendants ou des adultes ayant leur métier ... et ayant fondé leur propre foyer, la famille prend la forme adéquate, évolue, accompagne la vie qui est changement perpétuel.

 

Cette souplesse, la famille la doit en partie au fait qu'elle est réseau. Au delà de papa, maman et les enfants (la famille dite " nucléaire ") s'étend une nébuleuse, plus ou moins vaste, de personnes rattachées les unes aux autres par des sentiments et une histoire. Un réseau dont les membres se veulent du bien – du moins est-ce l'idéal, souvent démenti par la réalité, mais en un sens plus fort qu'elle, car ceux-là même qui agissent par intérêt ou par vindicte ont la nostalgie de ce climat familial, c'est-à-dire où l'on se porte de l'affection les uns aux autres. Peut-être est-ce plus facile entre petits-enfants et grands-parents qu'entre frères et sœurs, mais justement parce que les rapports au sein de la fratrie ne deviennent harmonieux que par construction, celle-ci est au plus haut point éducatrice du vivre-ensemble. La fraternité ne figure pas sans raison au fronton des édifices publics !

 

Le rapport entre famille et travail est souvent examiné sous l'angle de la compatibilité entre l'exercice d'une profession et la vie de famille ; il va en fait bien au delà. L'entrée dans le monde du travail est préparée – bien ou mal – par la façon dont les enfants appréhendent ce monde à travers ce que vivent et ce qu'en disent les membres de leur famille qui en font partie. C'est en famille que l'on apprend qu'il est normal de travailler ; c'est aussi en famille que l'on apprend l'existence de normes à respecter, y compris au travail. Et puis la famille est au premier rang pour la formation des compétences relationnelles, devenues de plus en plus importantes pour la bonne marche des entreprises et des administrations comme pour les services à la personne.

 

La réflexion sur le rôle de la famille dans la dimension professionnelle de l'existence s'élargit naturellement en réflexion sur le thème " famille et bien commun ", objet de la seconde partie.

 

La famille, ce n'est pas la moindre de ses qualités, est un formidable instrument de liberté. Il suffit de constater combien les totalitarismes et autres dictatures se sont méfiés de la famille pour saisir que, s'il arrive qu'elle soit instrumentalisée par des institutions peu respectueuses des libertés individuelles, la famille est fondamentalement au service de la liberté de ses membres. C'est en son sein que s'effectue la transmission, le renouvellement et le développement d'une pensée indépendante de la manière de voir les choses que tel ou tel pouvoir voudrait imposer. L'intimité familiale sert de rempart et de matrice à la liberté d'opinion, menacée par toutes sortes de conditionnements. En évoluant d'une forme pyramidale, autoritaire, quelque peu oppressive, vers une structure de réseau, où chacun peut développer ses propres talents, la famille a accompagné, facilité, et en partie suscité, la transformation libérale de nos sociétés jadis peu tolérantes. Elle constitue le premier des corps intermédiaires, ces structures indispensables pour que le citoyen ne soit pas seul face à l'Etat, réduit à l'impuissance.

 

La famille crée aussi un climat et des conditions favorables à l'innovation. Qu'elle soit un vecteur de la tradition ne s'y oppose pas, tout au contraire. En effet on n'invente pas à partir de rien, mais en s'appuyant, le cas échéant pour les contredire, sur des idées, des techniques, des organisations, des manières de faire venues du passé. Un milieu est favorable à la création lorsqu'il est porteur à la fois de cet héritage et d'une grande ouverture d'esprit : il faut avoir à disposition ce qui nous vient du passé, sans le mépriser ni le sacraliser, en étant disposé à y apporter des changements sans pour autant être fanatique du changement pour le changement. Or la famille a fait historiquement la preuve qu'elle a de telles dispositions, qu'elle sait transmettre sans inhiber la volonté d'aller de l'avant. Probablement parce qu'elle est le lieu d'accueil de la vie, qui est indissociablement transmission (le patrimoine génétique) et innovation.

 

L'économie tient une place considérable dans les sociétés contemporaines ; or il se trouve que la famille tient une place non moins considérable dans l'économie, dont elle est un acteur essentiel. D'abord dans le domaine de la consommation, pratique majoritairement familiale, ce qui a pour conséquence de placer la famille au cœur des dispositifs statistiques de mesure des niveaux de vie. Ensuite parce que la famille est le producteur principal du facteur de production devenu de loin le plus important, le capital humain. Pour produire des hommes, et plus précisément des hommes ayant les qualités requises pour faire tourner la machine économique, des hommes ayant le cœur à l'ouvrage, on compte implicitement sur la famille.

 

Le renouvellement des générations est le fondement des retraites par répartition : comme le disait Sauvy, pas d'enfants, pas de retraites ! C'était vrai jadis, à l'époque où les enfants avaient le devoir de s'occuper de leurs propres parents devenus âgés ; ce l'est toujours maintenant que le processus a été socialisé, l'ensemble des personnes âgées comptant sur l'ensemble des adultes pour passer un quart de siècle à l'abri du besoin, sans travailler. On pourrait ajouter que des enfants mal préparés à exercer une activité professionnelle, manquant des qualités humaines dont la famille est la matrice, ne procureront pas à leurs aînés des retraites bien généreuses. Malheureusement, le législateur n'a pas encore compris à quel point la retraite par répartition est d'essence familiale, pas plus qu'il n'a compris la nécessité d'une réforme des retraites faisant une large place à l'attribution des droits à pension au prorata des enfants élevés. La famille est l'avenir de nos retraites ; reste aux pouvoirs publics à s'en rendre compte !

 

C'est aussi à l'atout famille qu'il faudrait avoir davantage recours pour sauvegarder et améliorer l'ensemble de nos politiques sociales. Les disfonctionnements familiaux sont à l'origine d'une partie importante des suicides, des addictions à l'alcool ou aux stupéfiants, des échecs scolaires, des incivilités et de la délinquance, des solitudes : on s'aperçoit " en creux " de l'utilité de la famille quand celle-ci assume mal les fonctions pour lesquelles, implicitement, on compte sur elle pour que la société soit vivable. Par ailleurs, en cas de plongée dans la misère et plus généralement dans les épreuves de la vie, c'est l'existence d'une famille, fut-elle imparfaite, qui donne l'envie et la force de s'en sortir plutôt que de se laisser couler. Quant à l'entraide familiale, elle est toujours vivace, même si les personnes venues du Tiers Monde s'étonnent de constater qu'en Europe beaucoup de fonctions de solidarité ont été transférées des familles, qui les assument entièrement chez eux, à des organismes de protection sociale : à y regarder de plus près on s'aperçoit que l'on a affaire surtout à un partage des rôles entre ces organismes et les familles, sans la collaboration desquelles ils auraient beaucoup de difficulté à faire leur travail.

 

En conclusion les points de vue pessimistes et alarmistes relatifs à la famille paraissent excessifs. Certes, il existe un écart important entre les espoirs que les hommes mettent dans la famille, et la réalité, qui comporte beaucoup d'imperfections et de blessures. Mais ni l'homme, ni la famille, ni aucune institution n'ont jamais atteint la perfection. Si on la compare aux autres institutions, la famille ne se débrouille pas mal du tout ! L'Etat est de plus en plus souvent un problème ; la famille, dans la majorité des cas, est une solution, ou du moins apporte des éléments de solution. L'opinion publique ne se trompe donc pas quand elle manifeste son attachement à la famille. Certes, la famille remplirait encore mieux son rôle au service de l'épanouissement des personnes et du bon fonctionnement de la société si les pouvoirs publics avaient une meilleure intelligence de son rôle et, cessant de prétendre l'aider, lui rendaient tout simplement justice ; mais elle n'en est pas moins la plus belle et la plus utile invention de l'espèce humaine.

 

 

 

J. B.


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