Euthanasie, le naufrage de notre civilisation, par Houellebecq

En pleines discussions à l'Assemblée, Michel Houellebecq, qui intervient très rarement dans le débat public, explique pourquoi il est farouchement opposé à ce qu’il considère comme une rupture anthropologique inédite.

Proposition numéro 1 : personne n’a envie de mourir. On préfère en général une vie amoindrie à pas de vie du tout ; parce qu’il reste de petites joies. La vie n’est-elle pas de toute façon, par définition presque, un processus d’amoindrissement? Et y a-t-il d’autres joies que de petites joies (cela mériterait d’être creusé)?

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Proposition numéro 3, la plus importante: on peut éliminer la souffrance physique. Début du XIXe siècle: découverte de la morphine ; un grand nombre de molécules apparentées sont apparues depuis lors. Fin du XIXe siècle: redécouverte de l’hypnose ; demeure peu utilisée en France.

L’omission de ces faits peut expliquer à lui seul les sondages effarants en faveur de l’euthanasie (96 % d’opinions favorables, si je me souviens bien). 96 % des gens comprennent qu’on leur pose la question: «Préférez-vous qu’on vous aide à mourir ou passer le restant de vos jours dans des souffrances épouvantables?», alors que 4 % connaissent réellement la morphine et l’hypnose ; le pourcentage paraît plausible.

Les partisans de l’euthanasie se gargarisent de mots dont ils dévoient la signification à un point tel qu’ils ne devraient même plus avoir le droit de les prononcer. Dans le cas de la «compassion», le mensonge est palpable. En ce qui concerne la «dignité», c’est plus insidieux. Nous nous sommes sérieusement écartés de la définition kantienne de la dignité en substituant peu à peu l’être physique à l’être moral (en niant la notion même d’être moral?), en substituant à la capacité proprement humaine d’agir par obéissance à l’impératif catégorique la conception, plus animale et plus plate, d’état de santé, devenu une sorte de condition de possibilité de la dignité humaine, jusqu’à représenter finalement son seul sens véritable.

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La dignité, on peut très bien vivre sans ; on s’en passe. Par contre, on a tous plus ou moins besoin de se sentir nécessaires ou aimés.

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Un élément de baratin habituel consiste à affirmer que la France est «en retard» sur les autres pays. L’exposé des motifs de la proposition de loi qui va prochainement être déposée en faveur de l’euthanasie est à cet égard comique: cherchant les pays par rapport auxquels la France serait «en retard», ils ne trouvent que la Belgique, la Hollande et le Luxembourg ; je ne suis pas franchement impressionné.

La suite de l’exposé des motifs consiste en un enfilage de citations d’Anne Bert, présentées comme «d’une force admirable», mais qui ont plutôt eu sur moi l’effet malencontreux d’éveiller le soupçon. Ainsi, quand elle affirme: «Non, l’euthanasie ne relève pas de l’eugénisme» ; il est pourtant patent que leurs partisans, du «divin» Platon aux nazis, sont exactement les mêmes. De même, lorsqu’elle poursuit: «Non, la loi belge sur l’euthanasie n’a pas encouragé les spoliations d’héritage» ; j’avoue que n’y avais pas pensé, mais maintenant qu’elle en parle…

Immédiatement après, elle lâche carrément le morceau en affirmant que l’euthanasie «n’est pas une solution d’ordre économique». Il y a pourtant bel et bien certains arguments sordides que l’on ne rencontre que chez des «économistes», pour autant que le terme ait un sens. C’est bien Jacques Attali qui a insisté lourdement, dans un ouvrage déjà ancien, sur le prix que coûte à la collectivité le maintien en vie des très vieilles personnes ; et il n’est guère surprenant qu’Alain Minc, plus récemment, soit allé dans le même sens, Attali c’est juste Minc en plus bête (sans même parler du guignol de Closets, qui est comme le singe des deux précédents, leur Jean Saucisse).

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