Le 20 janvier, Benjamin Stora remettait à Emmanuel Macron son rapport sur « la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie », au terme d’une mission confiée par le président de la République et destinée à « réparer le passé ». En fait de réparations, malheureusement, le compte n’y est pas. Pouvait-on s’attendre à autre chose, à l’heure où triomphent le discours décolonial et indigéniste, le wokisme et autres joyeusetés ? 

Le choix de Stora pour diriger cette entreprise n’était pas anodin : sa carrière d’historien s’est accompagnée d’engagements politiques toujours plus à gauche, et même très à gauche, avec une sympathie saillante pour les indépendantistes algériens du FLN.

L’esprit du rapport est faussé par un postulat de départ : il faut davantage répondre aux récriminations algériennes sur le passé français que bâtir une vérité équilibrée. La France sera donc toujours dans le mauvais camp, celui du colonialisme. Sans surprise, le rapport témoigne donc dans l’ensemble d’une mémoire partielle et imparfaite, idéologiquement orientée. Sartre l’emporte définitivement sur Camus, et la repentance ne peut profiter qu’à ceux qui ont la chance de défendre la cause du bien.

On ne connaît que trop bien les biais qui empêchent toujours une histoire réaliste de la guerre d’Algérie : l’armée a nécessairement tort, contre les Algériens, contre les porteurs de valise ; la torture de l’armée française n’est ainsi jamais mise en regard du terrorisme fou du FLN. Le maire de Perpignan, Louis Aliot, de famille pied-noir, a ainsi organisé dans sa ville une exposition pour y convier Benjamin Stora : à la lecture du rapport, vient évidemment l’envie de rappeler à l’historien, photos à l’appui, une réalité qu’il tend un peu trop vite à passer sous silence, celle de la violence et de la sauvagerie insoutenables des meurtres du FLN perpétrés à l’encontre des harkis ou des pieds-noirs, avant comme après le 19 mars 1962.

Tout n’est pourtant pas à mettre au feu dans le rapport Stora. On s’indignera de ce qu’il envisage la panthéonisation d’une porteuse de valise, Gisèle Halimi, mais on saluera, en revanche, son appel à la réhabilitation des cimetières juifs et européens d’Algérie : leur abandon, leur pillage, leur profanation restent aujourd’hui un scandale pour trop de familles meurtries. On appréciera aussi qu’il réfute la notion « d’excuses » à faire formuler par la France.  

Le véritable problème est que pour pardonner et surmonter, il faut être deux. La France se complaît dans l’idée qu’elle doive se justifier de ses soi-disants égarements, mais les Algériens, pour leur part, sont à des milliers de lieues de reconnaître leurs torts. Le régime aujourd’hui en place s’estime l’héritier direct des combattants de l’indépendance. De ce fait, le rapport ne fait qu’alimenter pour nombre d’entre eux leur vindicte intarissable.  

A la suite des débats autour de la publication du rapport, un journaliste algérien, Mohammed Allal, a trouvé le moyen de réclamer des excuses de la part de la France pour avoir utilisé du fer algérien pour construire la tour Eiffel. Il est impensable, non pas tant qu’il tienne ses propos, mais qu’on daigne leur donner un écho. Malheureusement pour ce triste sire, le fer dont est faite la dame de fer vient de la terre de Lorraine. A ce jour, il ne semble pas que les Lorrains, annexés au royaume de France par un tour de passe-passe diplomatique au XVIIIe siècle, aient fait connaître leur désapprobation et demandé réparation pour la spoliation : ce sont des gens bien élevés. A contrario, l’Algérie remerciera-t-elle la France de lui avoir livré sur un plateau avec l’indépendance le pétrole saharien, alors que rien ne l’y obligeait ?

Comme le prouvent les polémiques pathétiques autour de la commémoration du bicentenaire de la mort de Napoléon, notre pays, empêtré dans un avatar de cancel culture et de repentance mal digérée, est aujourd’hui plus que jamais incapable d’assumer son passé avec ses grandeurs et ses faiblesses. Concernant l’Algérie, il ne s’agit pas d’une querelle d’historiens, destinée à s’apaiser avec le temps, ni d’un débat anecdotique : l’ensemble de notre politique, notre rapport à l’intégration ou à l’assimilation, notre regard sur l’immigration et sur l’islam, la vision de l’armée et de son rapport à l’Etat, la gestion de l’héritage gaulliste, tout cela reste aujourd’hui encore marqué par l’expérience terrible de la guerre d’Algérie et par une absence de vision claire des responsabilités partagées. La France n’en finit pas d’être malade de l’Algérie, et le paie quotidiennement. Tant de maux découlent aujourd’hui de cette maladie infantile de la Ve République qui n’est toujours pas guérie, et le docteur Stora n’apporte certainement pas le remède attendu.

Constance Prazel