Pour ceux qui en douteraient, Emmanuel Macron est déjà en campagne. Nous en voulons pour preuve l’opération de communication tout juste orchestrée par l’Elysée autour d’un clip, confié aux influenceurs McFly et Carlito, destiné à vanter les mérites des gestes barrières.

Emmanuel Macron a lancé un défi aux deux « artistes » du web : si leur vidéo atteint les dix millions de vues, ils seront reçus à l’Elysée. Les deux compères, ne se sentant pas de joie, ont relevé le gant et demandé en retour au président de se prêter au jeu d’un « concours d’anecdotes » dont on ignore pour l’instant quelle forme il prendra.

Nous ne vous ferons pas l’affront d’utiliser la formule désormais bien connue : « jamais le général de Gaulle n’aurait eu recours à des youtubeurs pour soutenir sa politique », pour la simple et bonne raison que youtube n’existait pas du temps de son règne. Mais vous voyez naturellement l’idée.

McFly et Carlito, donc, ont obtempéré et livré le clip demandé, respectant tous les codes – médiocres – du genre. Deux pauvres gars plébiscités par une génération, mais qui ne sont, en définitive, que deux pantins entre les mains du régime macronien, trop heureux de faire du buzz à peu de frais en se greffant sur les canaux de communication du pouvoir. Ils déploient dans leur petit numéro tous les canons les plus consternants de la sous-culture dominante : une musique à la créativité inexistante, une mise en scène affligeante, faite de gros plans flous et mal cadrés, censée parler de la France, mais en survet, en baskets et sur le parvis métallisé et sans âme de la Défense.  

Mais le plus consternant dans cette affaire est sans doute la facilité avec laquelle McFly et Carlito se sont pliés à l’exercice de devenir les porte-voix du gouvernement et de sa politique sanitaire. Il n’y a pas si longtemps, les « jeunes », nécessairement de gauche, auraient mis un point d’honneur à défier le pouvoir en place, à secouer le « système ». Même ce temps-là est révolu… et nous nous surprenons à nous en affliger. La carotte du Youtuber, à savoir le nombre de millions de vues, nourriture indispensable à son narcissisme insatiable, lui fait perdre tout sens critique, le transforme avec une bonne volonté déconcertante en petit agent du pouvoir, le doigt sur la couture du pantalon (de survêtement).

Ne nous y trompons pas. Il ne s’agit pas là d’un épisode anecdotique, d’une ligne anodine dans l’histoire de la communication sous la présidence d’Emmanuel Macron. Nous assistons là aux prémices de la stratégie que va déployer le locataire de l’Elysée pour la campagne présidentielle. Le recours à McFly et Carlito est dans la droite ligne de l’entretien qu’il avait accordé à la plateforme Brut en décembre, tandis que le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, s’essaie de son côté à Instagram, à YouTube et à Twitch. Son objectif : toucher la jeunesse, mais aussi privilégier les « causes », l’affect, le spontané, aux mesures et au programme synthétiques traditionnels. Il peut déjà compter sur les voix des seniors – quoiqu’ils risquent d’être échaudés par la question de la gestion du covid – mais il lui manque l’autre bout de la chaîne des générations. Les jeunes ne devraient pas être trop difficiles à convaincre : depuis des années, ils sont biberonnés à la propagande de l’Education nationale, et soigneusement formatés pour voter comme il faut, se mobiliser et se révolter sur commande au sujet de débats à la mode. Il suffit donc de peu de choses pour les ferrer définitivement.

L’appauvrissement du discours, le sens du vent, les réflexes idéologiques conditionnés, les clins d’œil sous-culturels sont dans l’ADN d’En Marche. Suffiront-ils à faire gagner le président sortant ? Ce n’est pas sûr. L’apathie et la léthargie, le narcissisme digital caractérisent la génération qui est dans le viseur d’Emmanuel Macron. Elle peut se laisser toucher ou amuser l’espace seulement d’un snap, une seconde tout au plus. Le crétin digital que l’on nous fabrique depuis quelques années est finalement assez difficile à réveiller… Une autre jeunesse, parallèlement, sait aussi se mobiliser avec une rare énergie sur des canaux alternatifs. Derrière ces deux jeunesses, il y a deux peuples, et deux modèles de société qui s’affrontent. Dans ces conditions, on comprend mieux l’insistance du gouvernement à vouloir dissoudre Génération Identitaire !

Constance Prazel