Les vertus du confinement

Source [Le Salon Beige] 

Du Fr. Augustin-Marie Aubry, de la Fraternité Saint-Vincent-Ferrier :

Puisque la France entière se confine, il est bon de découvrir – outre les vertus du télétravail et de la visioconférence – l’utilité d’une vie cloîtrée.

La perspective a priori peu enchanteresse de la réduction drastique des relations humaines, de la limitation quasi-totale des déplacements, de la monotonie quotidienne qui ne sera brisée par nul autre événement marquant que le tic-tac obsédant de l’horloge, peut à celui qui est attentif recéler des vertus souvent ignorées. Au néoconfiné, plusieurs aspects de la vie claustrale – ce mode de vie que mènent les moines dans leur abbaye ou les religieux dans leur couvent – peuvent donner un sens à ce qui se présente à lui comme une épreuve redoutable, une véritable tenaille à double mâchoire, dont les noms sont solitude et séparation. Avant d’être bêtement broyé par elles, tentons un petit inventaire des vertus du confinement, avec exercices pratiques à la clef.

INVENTAIRE

Il est trois aspects de la vie claustrale, qui sans épuiser la question, dessinent les traits généraux du « confinement religieux » : clôture, cellule, silence.

Clôture

La clôture divise l’espace. Elle interdit l’accès des étrangers à la communauté. Elle réserve des lieux à l’usage exclusif des religieux, non par goût du secret, mais par esprit de retraite. La clôture permet de faire retraite, de se retirer du monde, puisque le monde n’a pas accès à lui.

Le lieu qui symbolise bien le confinement propre au religieux est le cloître. Le « cloître » désigne d’ailleurs par antonomase la vie religieuse elle-même (On eut dit jadis qu’untel a quitté le monde pour entrer au cloître). Matériellement, le cloître est cette allée couverte de forme carrée qui permet l’accès aux divers lieux conventuels : église, sacristie, chapitre, réfectoire, hôtellerie. Elle forme au centre du couvent comme un jardin clos. Ce jardin est fermé de tous les côtés : confinement total. Il est ouvert vers le ciel : ouverture maximale.

Le cloître empêche le monde de rentrer, il empêche le religieux de gagner le monde, il ouvre vers les vrais biens symbolisés par le Ciel. « Goûtez les choses d’en haut, dit l’Apôtre saint Paul, non celle de la terre » (Col 3, 2). Au centre de ce jardin, il est un puits, une source, qui signifie que cette séparation n’est pas stérile, qu’elle est féconde, à l’image de cette eau jaillie du côté de Jésus crucifié (Jn 19, 34). Dans le cloître se réalise la prophétie d’Isaïe : « Dans l’allégresse vous puiserez l’eau aux sources du salut » (Is 12, 3).

La vertu de la clôture : la séparation du monde.

Cellule

La cellule est pour le religieux le lieu de l’étude, de la prière et d’un saint repos. Il est seul à y pénétrer. Selon l’adage ancien, « cella mihi caelum », « la cellule est pour moi un ciel ». Ce lieu solitaire et silencieux, ce petit désert, est le lieu de la présence de l’âme à elle-même, « la cellule de la connaissance de soi » (Sainte Catherine de Sienne), car il n’est rien pour la distraire.

La cellule est aussi le lieu de la présence de l’âme à Dieu, car la solitude du religieux engendre la rencontre avec celui qui ne se fait pas connaître au prophète Élie dans l’ouragan, dans le tremblement de terre ou dans le feu, mais dans « le bruit d’une brise légère » (1 R 19, 12).

Ce mur blanc (ou d’une couleur un peu indéfinissable, car dans les maisons religieuses, on ne refait pas les papiers peints tous les dix ans) dont le seul ornement est l’image du Crucifié ne fait pas écran à la réalité, il la dévoile. Face au mur de sa cellule, l’orant se rend disponible et présent à tous les lieux, à tous les temps, à toutes les misères. Tout y est, rien n’y manque, il s’y concentre l’essentiel.

La vertu de la cellule : la concentration du cœur.

Silence

Le silence n’est pas un lieu, comme le cloître ou la cellule. Il est un frein à la parole et une attitude intérieure. L’immense danger du silence – et peut-être la terreur secrète du néoconfiné – est de finir par s’entendre penser. Se révèle soudainement l’amplitude d’un champ insoupçonné de connaissance et d’action, qui s’appelle la vie intérieure. La culture moderne, qui est « conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure » (Bernanos), abhorre le silence.

Du supermarché aux toilettes de l’autoroute, le bruit sature l’espace, l’esprit est étouffé. Le silence déconfine le cœur, habituellement comprimé par les incessantes et oppressantes injonctions extérieures. Le silence libère l’espace intérieur de l’âme.

Le silence est en outre « Père des prêcheurs ». Le silence engendre ceux qui portent la Parole de Dieu. Car le silence rend apte à l’écoute. Qui écoute se rend docile. Qui est docile apprend. Qui apprend comprend. Qui comprend peut enseigner. Le prêcheur est d’abord homme de silence avant d’être homme de parole. Et sa parole, à porter la Parole, sera d’autant plus efficace qu’elle aura mûri dans un recueillement plus profond, dans un regard intérieur plus intense, dans une attention plus active.

La vertu du silence : l’attention de l’esprit.

EXERCICES

Une fois passé l’état d’hébétude et de prostration qui suit le confinement, que faire de cette situation inédite ? Le réflexe sera de passer plusieurs heures à faire le tri dans ses courriels, à se tenir informé sur les réseaux jusqu’à épuisement physique et psychique. Et après ?

Arrive normalement un effet nauséeux : quand on a lu quinze fois la même information, sans doute fausse, mais rapportée par autant de spécialistes, on réalise que l’on n’a rien appris et que l’on a perdu son temps. On se souvient alors du mot de Bloy dans son journal : « quand je veux savoir les dernières nouvelles, je lis saint Paul. » L’enjeu est de sortir de la spirale du néant et du rien, de ce trou noir de la pensée qu’est la communication pour elle-même.

Le néoconfiné, subissant involontairement les conditions de l’existence religieuse, aura profit à en pratiquer volontairement les œuvres. On laissera à sa générosité les « jeûnes, pauvreté, disciplines, cilices » (Corneille), on lui recommandera, sans crainte d’épuiser la chair, la lecture et la prière.

Lecture

Pour la lecture, il n’est qu’à prendre la sainte Bible. Plusieurs heures de lecture par jour, pendant plusieurs jours de suite, peut-être plusieurs semaines, permettent d’envisager sereinement la lecture des quatre évangiles. On peut aussi prendre à la lettre le conseil de Bloy et s’atteler au corpus paulinien, des Romains aux Hébreux. La lecture transversale est aussi possible : l’évangile de saint Jean, suivi de ses trois épîtres, avant de terminer par l’Apocalypse (dans lequel livre on se laissera impressionner et instruire, en ces temps de calamités, par le chapitre sixième, et l’ouverture des sceaux).

Cela fait, on aura grand profit à (re)lire les Psaumes qui mettront sur les lèvres du confiné tous les sentiments qui peuvent nourrir son cœur : de la tristesse à l’exultation, en passant par la colère et l’action de grâce. Pour éclairer la grande épreuve collective que traversent notre pays et le monde avec lui, on relira aussi l’Exode, avec les plaies d’Égypte. Quant à l’épreuve individuelle, on la méditera avec les fulgurantes lumières du livre de Job.

Prière

Cette lecture assidue des saintes Lettres que rien, dans la situation inédite du confinement, ne vient troubler aura un effet assuré : générer l’esprit de prière. D’abord le goût de la prière, c’est-à-dire une pente instinctive du cœur à s’ouvrir à Dieu pour lui communiquer ses pensées. En premier lieu, cette pensée simple et fondamentale : qu’on l’aime et qu’on n’a pas d’autre joie réelle que sa gloire. Et puis, la prière se tournera vers la misère de notre situation, spécialement la misère des vrais miséreux : qu’on se confie en Lui, en sa Providence, en qu’on Lui recommande tous les malades, les mourants et les nécessiteux

L’esprit de prière se transformera ensuite en volonté de prière, c’est-à-dire en désir d’être présent à Dieu par la prière. Et c’est souvent la prière vocale qui permet de soutenir dans la durée cette volonté de prière. Pour le néoconfiné, une prière vocale très adaptée est le chapelet. Rendez-vous est donné à tous pour une récitation commune du chapelet, chacun en son particulier, chaque soir à 19 heures.

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Est-il encore besoin, après ce qui précède, de préciser la différence essentielle entre le confinement prophylactique et la clôture monastique ? Dans un cas, il s’agit pour raisons sanitaires de réduire au maximum le contact physique entre humains. Dans l’autre, on maximise les conditions du contact spirituel avec Dieu. Allons jusqu’au bout de la logique. Le confinement est subi, il peut être transformé en en faisant une réelle expérience de vie claustrale : séparation du monde, concentration du cœur, attention de l’esprit.

Le confinement, pénitence ou bénédiction ? Une grâce immense à ne pas gâcher.