LR face à la Convention de la droite : deux droites différentes ou deux générations ?

Source [Atlantico]

La Convention de la Droite, organisée par l'Incorrect et par des partisans de l'union des droites, vise à débattre et à redéfinir le visage de la droite française. Un succès auprès du public qui provoque des remous chez LR.

 

Atlantico : La Convention de la Droite organisée par l'Incorrect et par des partisans de l'union des droites est un succès auprès du public, mais fait des remous chez LR. Y a-t-il selon vous, au sein de LR et plus largement entre LR et ce mouvement favorable à l'Union des droites, incarné par Marion Maréchal, une grande différence idéologique ?

Paul-François Paoli :  Je dirais, pour ma part, que la différence entre ces deux droites est moins idéologique que psychologique. La génération de Jacques de Guillebon et de Marion Maréchal en a assez de subir les conséquences du terrorisme intellectuel et idéologique que la gauche fait peser sur ce pays depuis 1945.

Ainsi, cette nouvelle génération se sent libre de ce que l'on a appelé les péchés capitaux de la droite c'est-à-dire la collaboration et Vichy. En effet, elle considère et elle a raison, qu'elle n'a pas plus de dettes envers le passé.

Cette Convention est donc une bonne chose. Elle va permettre de fonder ou de refonder un mouvement avec une sensibilité tout à fait légitime et des idées partie prenante au champ démocratique et que l'on a jusqu’alors tenté d'exclure du champ politique.

Les remous dont vous parlez sont l'illustration d'une partie de la droite qui est encore sous la coupe du grand champ noire de la gauche dont elle a peur des réprobations.  Cela étant dit, cette attitude montre à nouveau combien la fracture est plus psychologique qu'idéologique. En outre, sur des sujets précis tels que l'éducation, la famille, l'islam ou l'immigration, la fracture est inexistante entre ces deux droites.

La peur de l'union des droites va donc s'estomper au fur et à mesure de l'effondrement du pouvoir de la gauche et de sa capacité à intimider la droite. Face à la recomposition du pouvoir politique, la droite a et aura de moins en peur de son ombre et ne sera plus honteuse d'être considéré comme conservatrice.

 

Jean Petaux : Il n’est pas aisé de répondre à cette question dès lors que la ligne idéologique de LR est pour le moins fluctuante et surtout fracturée en sensibilités ou chapelles parfois aussi éloignées les unes des autres que certains courants du PS à la grande époque (comprendre de 1972 à 2012). Si l’on ne retient que quelques marqueurs forts, car clivants ou symboliques tels que la question européenne, le dossier de l’immigration, le libre-échange et le protectionnisme ou la question sécuritaire, on peut considérer qu’il n’y a guère de différences entre Marion Maréchal et ses thèses « souverainistes » et la partie la plus à droite de LR, en particulier la sensibilité incarnée par François-Xavier Bellamy, tête de liste LR aux dernières européennes. Même sur les questions sociétales (mariage pour tous et PMA) la convergence existe dans le sens d’une réelle hostilité à ces évolutions de la morale collective alors que Marine Le Pen, sur la question du mariage pour tous a toujours été moins réactionnaire que sa nièce en tous les cas nettement plus silencieuse. Sans doute l’influence d’un entourage peu désireux de « casser les homos » sur le modèle des dérapages de la « Manif pour tous » contre la loi Taubira en 2013.

Donc si l’on s’en tient à la fraction la plus conservatrice de « Les Républicains », celle qui se reconnait dans la « ligne Retailleau » et qui a constitué les gros bataillons de ce qu’Edouard Philippe a nommé un jour « La Droite Trocadéro » en référence à la manifestation de soutien qui avait été organisée en faveur de François Fillon le 5 mars 2017 au plus fort de ses ennuis politico-judiciaires et dont on sait que l’association « Sens commun » fut alors l’ossature, cette droite-là est tout à fait « Maréchaliste » (le jeu de mot est facile mais il est de circonstance car il est fait sens, au propre et au figuré, mais surtout pour aujourd’hui et pour ce qu’il contient comme sens historique). Autrement dit « Marion-compatible ».

Si l’Union des Droites doit avoir un sens concret, au-delà d’une intention affichée et d’une ambition portée par l’héritière de Jean-Marie Le Pen (la vraie sans doute), Marion Maréchal, c’est bien dans une alliance passée avec une partie de la droite républicaine que cela doit se faire, et, on peut l’envisager, que cela se fera. Reste à savoir si les opportunistes de la droite républicaine choisiront de faire un bout de chemin avec une petite formation animée par Marion Maréchal ou, au contraire, une alliance en bonne et due forme avec la « structure mère », le RN tout simplement, bien mieux placé pour obtenir des résultats politiques positifs, aux élections locales d’abord, à la présidentielle, en 2022, ensuite. Pour formuler une hypothèse, il est utile de regarder dans le rétroviseur. Les alliances se font souvent entre formation de forces et de tailles différentes, l’une bien plus importante que les autres. Et c’est d’ailleurs souvent des rangs d’une des petites formations ainsi coalisées que sort le potentiel leader du « tout ». On peut ainsi imaginer que l’alliance, si ralliement il doit y avoir, se fera plus aisément entre une partie de LR et la petite « convention » de Maréchal plutôt qu’entre deux forces politiques organisées comme une fraction de LR et le RN.

Maxime Tandonnet : C’est assez difficile à dire car d’une part, les LR n’ont pas tous des points de vue identiques sur tous les sujets, et d’autre part, les options du courant se référant à Mme Maréchal et ses différences au regard du programme du RN d’où elle vient, ne sont pas connues à tous égards. Cependant, a priori, les ressemblances idéologiques semblent l’emporter sur les différences. Sur certains grands sujets de l’heure, d’après ce que l’on sait, les sensibilités peuvent paraître conciliables : soutien à la liberté d’entreprise, à la réduction de la dette publique et des déficits, volonté de restaurer l’ordre public et la sécurité des biens et des personnes améliorer la maîtrise de l’immigration, combattre le communautarisme, conservatisme sur les sujets sociétaux (PMA sans père), encore que sur ce dernier point, les LR sont divisés. Le FN puis le RN, par-delà les provocations verbales de jadis met en avant des propositions considérées comme démagogiques et inacceptables par la formation LR, comme le retour à la retraite à 60 ans. Or, il ne semble pas que ce soit le cas de Mme Maréchal et ses supporters. 

Les leaders de LR à l’instar de Christian Jacob refusent de se rendre à cette convention. Par ailleurs, Marion Maréchal a parlé de du clivage gaullistes et antigaullistes, "structurant après la guerre d'Algérie, mais relevant aujourd'hui de la nécrologie politique". Est-ce que la rupture est d'ordre générationnelle plutôt que politique et idéologique ?

Paul-François Paoli : Christian Jacob se revendique comme étant un héritier du chiraquisme or Chirac est le liquidateur historique du gaullisme. Quant à ceux qui se revendiquent gaullistes, ils sont bien loin du gaullisme et bien plus proches du chiraquisme dans la mesure où nombres de propos et de prises de positions de De Gaulle ne seraient plus tolérés dans la société actuelle. La fracture entre gaullistes et antigaullistes n'a donc plus court aujourd'hui et Marion Maréchal a raison de le souligner.

Cette nouvelle droite qui est train d’émerger va balayer la vieille droite, une droite qui n'a, en réalité, de droite que le nom.  Et cette fracture est certes générationnelle et quelque peu idéologique, mais elle est surtout psychologique. Les tenants de cette "ancienne" droite ne refuse pas l'union des droites tant par convictions mais surtout par peur de la réprobation des médias de gauche.

La volonté d'une union des droites montre que la France est en train de se libérer de son carcan. Carcans dont les représentants de l'ancienne droite ont encore du mal à se libérer par peur et pour une question d'image. Question d'image qui, qui plus est, est dépassée aujourd'hui.

 

Jean Petaux : Fine politique, Marion Maréchal a raison de poser le problème d’une « incompatibilité » entre une partie de LR et l’Union des Droites en termes générationnels. D’une part cette manière de faire attise les rivalités entre « jeunes loups » et « vieux briscards » au sein de LR et permet surtout de se donner un horizon : lorsque les représentants de la « vieille garde chiraco-sarkozyste » auront dégagé le terrain, les plus jeunes n’auront pas de complexes à avoir. Et s’ils veulent d’ailleurs pousser les plus vieux dehors, autant se rapprocher dès maintenant de Marion Maréchal : ce sera-là une manière d’accélérer le remplacement générationnel… Christian Jacob, « bébé Chirac » s’il en est, a été vacciné à l’anti-FN et l’anti-Le Pen avec tous ses « rappels » à jour. Rien d’étonnant à ce qu’il refuse de mettre un orteil à la convention de Marion Maréchal.

Est-ce que cette attitude est liée à la guerre d’Algérie ou, plus exactement, au comportement de l’OAS et de l’extrême-droite à l’égard du général de Gaulle (7 tentatives d’assassinat faut-il le rappeler, même si la plupart étaient conduites par des Pieds-Nickelés aussi idiots qu’inefficaces) ? Bien évidemment que non. La guerre d’Algérie ne figure plus sur les écrans radars des déterminants politiques depuis belle lurette. Ce qui a fonctionné comme un repoussoir des néo-gaullistes jusqu’alors c’est beaucoup plus la figure d’une Marine Le Pen outrancière, médiocre et surtout très mal entourée (à la hauteur de ses faiblesses politiques et intellectuelles). Ces défauts-là, à tort ou à raison, n’apparaissent pas chez Marion Maréchal.

Bien plus fréquentable, présentable et donc rejoignable, elle est susceptible d’agréger des forces tout simplement conservatrices et réactionnaires qui ne vont pas se poser la question de savoir si la génération du grand-père (voire de l’arrière-grand-père) était, pour partie, composée de « soldats perdus » du 1er REP regagnant le camp de la Légion, à Zéralda, le 24 avril 1961, en chantant « Non rien de rien » de Piaf, après l’échec du putsch des généraux. Pour l’instant ce qui retient une partie de LR de ne pas rejoindre Marion Maréchal c’est tout simplement le fait qu’elle n’a pas formulé clairement ses intentions pour la seule élection qui « fait système » en France aujourd’hui : la présidentielle. Si elle affichait clairement son ambition, affranchie de toute contrainte familiale et partisane, elle serait en mesure alors d’agréger, d’origines idéologiques diverses, et de cases différentes de l’échiquier politique, des forces convergentes dont la coagulation aurait pour effet de faire éclater ce qui reste de l’édifice LR tout en posant un sérieux problème de concurrence à sa tante…

 

Maxime Tandonnet : Non, le clivage n’est pas du tout d’ordre générationnel. Les jeunes députés LR, par exemple M. Larrivé, M. Aubert ou M. Bellamy, n’ont pas eu, plus que M. Jacob, le réflexe de se rendre à cette convention. Ce clivage n’est pas non plus, nous l’avons vu, foncièrement idéologique.

En revanche, il est d’ordre politique, relève de la stratégie politique et de la logique des rapports de pouvoirs. Il existe avec LR une formation aux racines très anciennes, héritière tant bien que mal d’une tradition républicaine qui s’est incarnée en Clemenceau, Poincaré, Tardieu, la Résistance et de Gaulle. Cette formation est forte aujourd’hui d’un puissant ancrage local et de nombreux élus et sénateurs, principale puissance d’opposition qui a largement résisté aux tentatives de dépècement aussi bien de la part du centre-gauche LREM que de la droite radicale FN/RN. Pourquoi devrait-elle, dès lors, se conformer à une initiative ponctuelle, extérieure à ses propres réseaux, sans autre fondement et sans autre légitimité qu’un vague relais médiatique ?

Tout cela n’a pas beaucoup de sens et semble bien ne pas avoir d’autre objectif que de déchirer encore l’opposition pour l’affaiblir et compromettre les chances d’une alternance. 

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