Le Smartphone, poison ou remède ?

Source [CNRS Le Journal] Dans son essai Le Troisième Cerveau, Pierre-Marc de Biasi, directeur de recherche émérite au CNRS, alerte sur la relation de dépendance que nous entretenons avec le Smartphone, outil « intrusif, injonctif et addictif ». Explications.

Vous avez dirigé l’Institut des textes et manuscrits modernes1. Comment en êtes-vous venu à travailler sur les Smartphones ?
Pierre-Marc de Biasi : En étudiant les archives de la création, on s’intéresse forcément aux supports de la communication et aux conditions concrètes de la transmission, aux interrelations entre technique et culture : ce que Régis Debray a appelé la « médiologie ». Comment se désintéresser d’un médium qui véhicule aujourd’hui l’essentiel de ces interactions ? Neuf utilisateurs sur dix ne sortent jamais sans leur Smartphone et le consulte près de cent fois par jour ; un tiers admet être en situation de dépendance. Début 2018, dans la revue Médium(link is external), j’avais évoqué les analogies entre le Smartphone et le silex paléolithique : taillé pour la main, c’est un outil qui nous dote de superpouvoirs et nous rend de plus en plus puissants dans la maîtrise de notre environnement. Mais l’asymétrie de notre relation au Smartphone nous conduit tout droit à ce que Hegel appelait la dialectique du maître et de l’esclave. Pour le moment, nous sommes les maîtres, et les Smartphones sont nos esclaves. Plus nous déléguons de tâches à cet outil, plus il devient compétent pour satisfaire et anticiper nos désirs, et plus nous devenons dépendants de lui : le petit serviteur zélé finira par se faire le maître de ses maîtres. J’ai eu envie d’approfondir cette réflexion en me donnant l’espace d’un essai. Il n’y avait pas de livre sur le sujet.
 
Vous attaquez fort ! Concrètement, quelles utilisations pourraient avoir tendance à nous asservir ?
P.-M. de B. : Demandez-vous simplement : dans cinq ans qui sera encore capable de lire une carte ou de s’orienter sans la géolocalisation de son Smartphone ? Prenez le cas de la calculette qui s’est généralisée dans les années 1980 : qui sait encore compter ? Le calcul mental était une gymnastique de l’esprit. Avec les applications sur Smartphone, ce sont, l’une après l’autre, toutes nos facultés cognitives que nous sommes invités à déléguer : tout ce qui met en jeu la mémoire, bien sûr, mais aussi une multitude de fonctionnalités quotidiennes. Le Smartphone nous apprend à désapprendre. Mais ce n’est pas tout. Les rafales de notifications et d’informations qui se succèdent pour solliciter en permanence notre attention, nous rendent incapables de fixer notre pensée plus de quinze secondes sur le même objet. Et le plus troublant, c’est que nous aimons ça. Pourquoi ? Parce qu’à chaque fois que je clique, je suis « récompensé » : chaque nouvelle interaction provoque la production d’une dose de dopamine, la molécule du plaisir, liée à la surprise et à l’inattendu. Voilà pourquoi nous restons connectés : par peur de rater quelque chose, à commencer par ce plaisir, ce qui est déjà un symptôme de dépendance. L’Organisation mondiale de la santé vient de répertorier certains jeux sur Smartphone comme pathologie addictive.

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