Quatre semaines après l'attentat de Charlie Hebdo, l’Ong Reporters sans frontières (RSF) a appelé mardi les représentants des confessions religieuses à signer une "proclamation sur la liberté d'expression". L'Église catholique ne cache pas son irritation.

[AFP, 03/02.2015] — « Sous-titré "le pluralisme au service de nos libertés", le texte postule que "nul ne peut imposer sa conception du sacré à autrui" et que "chacun est libre d'exprimer et de diffuser des critiques, même irrévérencieuses, envers tout système de pensée politique, philosophique ou religieux".

"La liberté d'information et d'expression, celle des journalistes comme des citoyens, ne saurait être contrainte ou limitée par les convictions ou les sensibilités des uns ou des autres", affirme encore cette proclamation.

RSF ambitionne de faire signer son texte aux plus de 10.000 responsables de lieu de culte en France (curés, pasteurs, imams, rabbins, prêtres orthodoxes, moines bouddhistes...), sous la phrase : "Je m'engage à sensibiliser ma communauté à ces principes." Pour l'organisation, il s'agit ainsi "de promouvoir une référence pour exercer une pression sur ceux qui tiennent des propos ambigus".

Si cette initiative a reçu l'appui "sans réserves" du président de l'Observatoire de la laïcité, l'ancien ministre socialiste Jean-Louis Bianco, et d'une quinzaine d'intellectuels, elle est plus diversement reçue par les responsables des cultes.

Le président de la Fédération protestante de France (FPF), le pasteur François Clavairoly, a signé des deux mains cette déclaration en faisant valoir que les libertés d'expression et de conscience étaient "les fruits du protestantisme". Dalil Boubakeur a lui aussi ratifié le texte, mais en tant que recteur de la Grande mosquée de Paris, pas comme président d'un Conseil français du culte musulman (CFCM) censé fédérer la deuxième religion du pays. Quant au grand rabbin de France, Haïm Korsia, il s'est interrogé sur la méthode choisie par RSF — un appel aux responsables de cultes publié avant même que ceux-ci ne puissent en discuter — tout en exprimant son accord de principe, selon son entourage.

« Soupçon sur les religieux »

En coulisses, d'aucuns soulignent que les religieux n'ont pas attendu l'ONG pour prendre position pour la liberté d'expression, comme ils l'ont fait devant la Grande mosquée de Paris dès le lendemain de l'attentat visant l'hebdomadaire satirique.

La Conférence des évêques de France (CEF), elle, s'agace. "Nous respectons le travail immense que fait RSF pour la liberté de la presse dans le monde, mais quelle légitimité a-t-elle pour lancer un appel aux responsables des cultes ? Toute association va-t-elle demain sommer l'Église catholique de dire quelque chose sur tel ou tel sujet ? Jusqu'où ira-t-on ? ", s'interroge le porte-parole de la CEF, Mgr Olivier Ribadeau-Dumas.

"Je trouve que ce texte fait peser un soupçon sur les religieux, qui seraient comme responsables du climat du moment et d'un manque de liberté d'expression", confie à l'AFP le prélat.

Relevant que le secrétaire général de RSF, Christophe Deloire, s'était réjoui que sa démarche puisse permettre de savoir "qui signe, et qui ne veut pas signer", le responsable épiscopal doute que cette proclamation aille "dans le sens de la fraternité, pour laquelle les événements des 7 au 9 janvier ont constitué à nos yeux une invitation pressante".

Le patron de l'ONG, anticipant les "réserves" — c'est son mot — que l'initiative de RSF pourrait susciter, se défend de toute "opération hostile aux religions". Pour protester de sa bonne foi, il a d'ailleurs demandé à être reçu par la Conférence des responsables de culte en France (CRCF) lors de sa prochaine réunion, le 11 février. Peine perdue : la CRCF, instance interreligieuse, n'a jamais auditionné personne, et n'entend pas déroger à ses principes. »

 

En savoir plus :
Le texte de la « proclamation sur la liberté d’expression »

 

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