Drapeau israelien

A force d’agiter la menace nucléaire, l’Iran, Israël et ses alliésoccidentaux sont pris à leur propre piège. Le risque d’un grand dérapage militaire dans la région la plus sensible du monde commence à faire froid dans le dos. Peur salutaire ? 

« Écoute-la, Cassandre ! Écoute ce bloc de négation qui dit oui ! » (« La Guerre de Troie n’aura pas lieu », Acte I, scène 9). Sans illusion, Cassandre lit l’avenir dans l’âmed’Hélène.Mais que dirait-elledes cris de guerre qu’échangent aujourd’hui Israël et l’Iran à la face du monde? Menaces sérieuses ou rodomontades des deux camps ?
La situation très inconfortable d’Israël comme la liste de ses exploits depuis la guerre des Six jours- et notamment ses raids fulgurants  contre le réacteur nucléaire irakienOsirak en 1981 et du site nucléaire syrien en 2007- incitent à ne pas prendre ses avertissements à la légère. Pas plus que ne font sourire les promesses d’anéantissement que lui adresse son irréductible ennemi iranien à travers la rhétorique apocalyptique des dirigeants de la République islamique. Khamenei et Ahmadinejad rivalisent de surenchèresbellicistes accompagnées de démonstrations navales dans le Golfe persique et en Méditerranée.

Pourtant, plusieurs circonstances invitent à ne pas céder à la panique.

D’abord, le désaccord persistant entre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou et le président américain Barack Obama sur les moyens de faire plier l’Iran. Le premier est revenu bredouille de sa rencontre avec le second dans le bureau ovale de la Maison blanche, le 5 mars. Chacun est resté sur ses positions. Obama ne veut pas de la guerre tant qu’on n’aura pas épuisé la carotte diplomatique et le bâton des sanctions -tout en laissant les services secrets israéliens et américains poursuivre une campagne implacable contre l’Iran (assassinats d’ingénieurs, attentats à l’explosif, virus informatiques). Mais le premier ministre israélien estime que toute négociation servirait aux Iraniens à gagner du temps pour la poursuite de leur programme nucléaire. Les seules véritables garanties à ses yeux seraient le démantèlement des installations nucléaires, l’arrêt des opérations d’enrichissement de l’uranium ainsi que le transfert à l’étranger de matières fissiles enrichies à plus de 3,5 %.  «Nous nous réservons le droit de nous défendre nous-mêmes contre tout pays qui agit pour nous détruire » martèle Netanyahou décidément peu en phase avec l’actuelle  administration américaine. Quant à Obama, il déteste ce « menteur » comme il l’a glissé à Sarkozy hors micro (croyaient-ils l’un et l’autre) alorsqu’ils échangeaient des amabilités sur le Premier ministre d’Israël pendant leur dernière rencontre à Paris.

Signe du désaccord profond entre l’Américain et l’Israélien, ilsn’ont pas tenu de conférence de presse commune à l’issue de leur réunion. Mais la position d’Obama avait déjà été clairement indiquée par lui-même la veille de la rencontre, à l’occasion d’une invitation de l’AIPAC (American Israel Public Affairs Committee), le puissant lobby pro-israélien aux Etats-Unis. Certes, leur a-t-il dit, l’option militaire reste ouverte et Israël a le droit de se défendre, même seul. «Mais par souci de la sécurité d'Israël, de la sécurité de l'Amérique et de la paix et la sécurité du monde, l'heure n'est pas aux fanfaronnades ». Fanfaronnades, le mot est lâché.

Le deuxième motif de ne pas désespérer de la paix, est l’extrême difficulté pour Israël d’agir seul contre l’Iran. Selon les experts militaires, une attaque efficace impliquerait une action simultanée contre plusieurs sites nucléaires (au moins les quatre principaux : les usines d’enrichissement de Natanz et de Fordo, le réacteur à eau lourde d’Arak et l’usine de conversion d’Ispahan). Mais envoyer plus d'une centaine de chasseurs et de bombardiers à des milliers de kilomètres de leurs bases (entre 1530 et 2260 kms ou beaucoup plus, selon les itinéraires) est une opération complexe et risquée. D’autant que des trois routes possibles, l’une, le survol du nord de la Turquie, semble interdite par la dégradation des relations turco-israéliennes ; la seconde, passant par la Jordanie et l’Irak, suppose l’aval des Américains ; la troisième, l’accord de l’Arabie Saoudite qui est loin d’être acquis malgré l’exécration réciproque que se vouent  le Royaume arabe saoudien et l’Iran,rivaux dans le leadership de la révolution islamique mondiale. S’agissant de l’armement, nombre d’experts militaires estiment qu’une attaque contre les installations nucléaires iraniennes nécessite l’intervention de bombardiers à long rayon d’action, d’avions furtifs et de missiles de croisière embarqués, ce qui supposerait une action conjointe avec les Américains.

Cependant, les experts se divisent sur la détermination d’Israël, les uns estimant que Netanyahou bluffe en menaçant les Américains d’agir en solo pour les impliquer de force, d’autres faisant remarquer qu’on n’est jamais au bout de ses surprises s’agissant de l'arsenal militaire israélien (et notamment des armes électroniques dont Tsahal a le secret).

Mais, troisième espoir d’éviter le conflit, les Occidentaux ne sont pas seuls à redouter une guerre contre l’Iran. Aux premières loges, les pays arabes du Golfesavent qu'une telle guerre serait une catastrophe, pour leur économie, comme pour leur stabilité politique.Le minuscule mais très influent Qatar, en particulier,  presse les Américains de tout faire pour empêcher Israël de bombarder l'Iran. Son émir,le cheikh Hamad bin Khalifa al-Thani, surnommé le « Kissinger arabe », prêcheinlassablement le dialogue avec Téhéran. Il est vrai que ce faisant, il défend certes la paix, mais aussi une bonne part du très confortable portefeuille du Qatar, qui partage avec l’Iran l'exploitation d'un immense champ gazier sous-marin.

Quant au pétrole iranien, il reste essentiel pour nombre de pays d’Asie à commencer par l’Inde qui n’a nullement l’intention d’appliquer un embargo pétrolierqui le priverait de 12% de ses besoins énergétiques. Inutile de préciser que l’Inde ne verrait pas une guerre contre l’Iran d’un meilleur œil que les deux autres géants, la Russie et la Chine.

Mais le cœur a ses raisons que ni la raison, ni même le portefeuille, parfois, ne connaissent. Cassandre a vu la guerre dans le regard d’Hélène. Ellescrute à présent les yeux hagards du Docteur Folamour*.

 

* « Docteur Folamour ou : comment j'ai appris à ne plus m'en faire et à aimer la bombe », film satirique de Stanley Kubrick(1964)