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La grande démolition – La France cassée par les réformes

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La grande démolition – La France cassée par les réformes
  • Auteur : Roland Hureaux
  • Editeur : Buchet-Chastel
  • Année : 2012
  • Nombre de pages : 357
  • Prix : 21,00 €

«Les hauteurs béantes de l’Europe» : Roland Hureaux s’était inspiré du titre d’un livre de feu le dissident soviétique Zinoviev pour intituler l’une, probablement, des plus pertinentes études des soubassements intellectuels de ‘‘construction de l’Europe’’[1]. A l’origine du mal : l’idée – l’Hideux préciserait de nos jours un anti-hégélien un peu polémiste -, «la logique d’une idée», pour reprendre la formule de la célèbre Hanna Arendt, d’une idée devenue folle.

Chesterton affinait le constat : le monde moderne, disait-il, est «plein de vertus [non pas d’idées] chrétiennes devenues folles». René Girard, bible à la main, énonça la même vérité ; un ancêtre fameux de l’homme d’affaires de Liliane Bettencourt fit en son temps de pareilles mises en gardes tandis que Léo Strauss, avec nombre de confrères, aidé de toute sa tradition, abondait dans ce sens. La grande démolition n’est au fond rien d’autre qu’une application à l’échelle de la France de la grille de lecture dont l’ancien conseiller à la Cour des comptes avait recouvert l’entreprise prométhéenne de ladite construction européenne.

Ainsi, en France aussi, la pelote des principes absolus de la concurrence libre et non-faussée, de la liberté des échanges (hommes, marchandises, capitaux) et de tout ce qui s’ensuit dévide-t-elle ses fils tentaculaires, les cerveaux des gouvernants étant les premiers prisonniers inconscients de ce vaste préjugé. Dans la première partie de son essai – un essai que tout bon esprit un tant soit peu observateur et informé sait transformé avant même d’ouvrir le bouquin -, l’auteur examine les conséquences de quelques réformes comme celles des collectivités territoriales ou, plus généralement, de celles visant à modifier de fond en comble les politiques publiques et leurs règles de comptabilité.

On s’aperçoit que les politiques dites de réforme – l’Etat réformé toujours à réformer, tel semble, venu des Eglises de même nom, la devise de notre Etat en voie d’auto dissolution – constituent, mises bout à bout, une révolution qui ne dit pas son nom. La névrose réformatrice, indissociable du prurit de l’idéologie, est le symptôme d’un Etat qui ne veut plus d’Etat, d’un Etat qui ne s’aime pas et aspire à se donner un nouveau visage quitte, pour cela, à risquer auparavant de disparaître. Un Etat qui ne s’aime pas est un Etat qui ne protège plus ses citoyens et qui, à la différence de l’Union soviétique (laquelle ne le cachait pas), travaille en douce, mais sans douceur, à l’avènement d’un Homme nouveau antinomique de celui évoqué par Saint Paul.

Ici, le lecteur temporisera. En substance, il se dira : voyons, notre Sarkozy est un moderne modéré, un libéral-conservateur bien sous la plupart des rapports, hostile à la libéralisation de l’institution du mariage et qui, en matière de bioéthique, fait passer la morale avant la biologie [2]. Girondin dans l’âme par répulsion envers le jacobinisme des sans-culottes, dans les réformes en cours, il ne verra pas à mal, et, même, à la lecture d’un éditorial de Jean d’Ormesson, croira éteint le son du canon d’une révolution pourtant bel et bien en marche.

Une révolution ? A vrai dire, souterraines, il y en a deux qui cheminent face à face pour, un jour, peut-être s’affronter. Car, Roland Hureaux le dit bien, si l’oligarchie ultra-libérale qui occupe le haut de l’Etat, avec la bénédiction de l’Union européenne veut bouleverser de fond en comble ce même Etat quitte à l’anéantir à défaut de parvenir à le subvertir, le pays, lui, en ses profondeurs, ne le souhaite pas. A défaut de réformes contre-réformatrices, une révolution conservatrice devra-t-elle survenir afin d’arrêter l’insidieuse et tous azimuts volonté révolutionnaire qui anime nos gouvernants ? En tous cas, lire Hureaux, c’est s’abstenir. Ou voter blanc. Et dites-vous bien que le dilemme sera toujours là. Car voter pour le moindre mal, c’est encore, peu ou prou, pactiser avec le mal.      

Hubert de Champris

[1] éd. François-Xavier de Guibert.

[2] Figaro-Magazine, 10 février 2012.


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