Il a suffi que le carburant suive l'augmentation du prix du pétrole pour que fleurissent les propositions de remettre en place la TIPP "flottante" imaginée par le gouvernement Jospin lors d'une précédente flambée des cours du brut.

Quels sont les arguments en faveur d'une telle modulation, et que valent-ils ?

Premièrement, les automobilistes seraient victimes d'un appauvrissement insupportable, qui justifierait un recours à l'aide de l'État. Deuxièmement, la population supporterait une "double peine" du fait de l'augmentation simultanée de ses dépenses de carburant et des lourds prélèvements fiscaux. Troisièmement, la réduction de la circulation, devenue trop chère, menacerait l'activité économique et l'emploi.

Le premier argument reflète une certaine conception de l'État-providence. Les ménages devraient être protégés de tout désagrément par une puissance tutélaire chargée de veiller sur leur bien-être. De fortes raisons, maintes fois répertoriées depuis Tocqueville, montrent combien dangereuse est l'hypertrophie d'une telle protection, mais plaçons-nous dans le cadre de l'idéologie sur-protectrice : ses partisans ne devraient-ils pas, en bonne logique, se réjouir de voir augmenter le prix de la vitesse automobile et du transport routier, qui provoquent des accidents graves et de la pollution ? La consommation au kilomètre augmente fortement avec la vitesse ; un renchérissement du prix du carburant aura donc, comme les radars, un effet modérateur sur les conducteurs : n'est-ce pas ce qui convient au moment où le nombre des morts et des blessés, qui a fortement diminué, se gonfle à nouveau ? Quant à la lutte contre la pollution, si elle justifie un durcissement (occasionnel ou permanent) des limitations de vitesse, ne fait-elle pas de même pour l'enchérissement de la consommation polluante ?

Si rationnelles soient-elles, ces considérations ne convaincront pas les interventionnistes inconditionnels : ils préféreront évidemment que l'État intervienne dans deux sens opposés, une fois pour éviter que la réduction des accidents de la circulation et de la pollution puisse résulter de facteurs échappant à la réglementation, et d'autres fois pour augmenter la dite réglementation. Il serait quand même scandaleux que le marché international puisse contribuer à produire des effets positifs, dont le monopole revient de droit aux interdictions, contrôles et sanctions en tous genres !

L'argument de la "double peine" est absurde s'agissant de la TIPP, prélèvement qui dépend seulement du volume de carburant vendu, et nullement du montant de ces ventes. En fait, la hausse du prix entraîne une légère diminution de la consommation, et donc une petite diminution des rentrées de TIPP. Le produit de la TVA, en revanche, augmente proportionnellement à la progression du chiffre d'affaires des stations-service : c'est à son sujet qu'il serait envisageable de parler de "double peine". Mais Bruxelles ne permet pas de moduler le taux de la TVA : c'est pourquoi la flottaison a été appliquée à la TIPP, et le serait à nouveau si l'on suivait les recommandations du Premier secrétaire du Parti socialiste. Cela constituerait une entorse à l'esprit, sinon à la lettre, de nos engagements européens : nous avions sans doute mal compris qui, au PS, avait fait campagne en faveur du oui à la Constitution européenne.

S'agissant de l'Europe, la France semble avoir un peu de mal à satisfaire aux critères budgétaires du pacte de stabilité. Les prélèvements obligatoires ne sont pas à la hauteur des dépenses publiques. Alors, peut-on dire sérieusement que les Français sont soumis à une "peine" fiscale, sauf à préconiser tout aussi sérieusement une réduction du train de vie de l'État, des collectivités territoriales et de la Sécurité sociale ?

Reste l'argument relatif à l'activité économique et à l'emploi. Il ne paraît pas sérieux, car la course aux économies d'énergie est de nature à donner beaucoup de travail. Mais faisons comme s'il l'était, comme si l'emploi souffrait obligatoirement quand la circulation automobile est atteinte : dans ce cas, pourquoi ne pas faciliter circulation et stationnement en milieu urbain, au lieu d'étrangler systématiquement la première et de gaspiller à plaisir la place qui pourrait être disponible pour le second ? La réponse est simple : le but poursuivi n'est pas l'activité, l'emploi ni le bien-être, mais la multiplication des actions des pouvoirs publics, chacune étant présentée comme une réponse à tel problème et à tels desiderata de la population. Peu importe la cohérence pourvu que viennent les caméras...

Tel est aujourd'hui le noyau dur de la démagogie : à chaque fois qu'un événement défraie la chronique, à chaque fois qu'un problème est à la mode, "prendre des mesures" (ou en réclamer) pour faire croire que les dirigeants politiques se soucient du bien-être de leurs concitoyens. Le chancelier Bismarck eut le même souci, dans les années 1880, en préparant et en faisant voter les premières grandes lois d'assurances sociales. Il eut, dit-on, cette phrase : "Messieurs les démocrates joueront vainement du pipeau quand le peuple verra que les princes se soucient de son bien-être." Certains des princes qui nous gouvernent ou souhaitent le faire, sans avoir la stature de l'unificateur de l'Allemagne, poursuivent, à leur niveau, celui du flottement de la TIPP et autres gadgets, le même objectif : le pouvoir par la sollicitude.

*Jacques Bichot est économiste, professeur à l'Université Jean-Moulin (Lyon 3).

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