Benoît VI invite les évêques des Églises orientales en synode du 10 au 24 octobre prochains, à Rome. Les chrétiens d'Orient ont eux-mêmes répondu au questionnaire préparatoire au synode pour planter le décor de la réflexion. Une situation extrêmement difficile, entre conflits régionaux et atteintes à la liberté religieuse.

 

La synthèse des réponses apportées est parue dans le Lineamento, qui reflète précisément la situation locale de l'Église au Moyen-Orient. Il est construit autour de trois chapitres : I. L'histoire et la situation actuelle, II. La communion au sein de l'Eglise, III. Le témoignage des chrétiens, en particulier dans le dialogue avec les autres religions, l'islam en particulier. Voici une synthèse de ce document exceptionnel, centrée sur l'état de la situation.

I. L´Église catholique au Moyen-Orient

A. Situation des chrétiens au Moyen-Orient

L'unité dans la multiplicité

Depuis le Ve siècle, l'Église a vécu plusieurs divisions, suite aux conciles d'Éphèse (431) et de Chalcédoine (451), principalement sur des questions christologiques mais aussi pour des motifs politico-culturels. Les Églises nées ainsi sont les Églises Apostoliques Assyrienne d'Orient et les Églises orthodoxes Orientales : les Églises copte, syriaque et arménienne (Lineamento, n. 7). À partir du XI siècle, le Grand Schisme sépara Rome et Constantinople, l'Orient orthodoxe et l'Occident catholique. Cette division était plus encore motivée par les facteurs politico-culturels et la distance entre l'Orient et l'Occident.

Maintenir l'esprit de l'Évangile

Une grande préoccupation du Saint-Père et un devoir pour toute la chrétienté est de soutenir les Églises du Moyen-Orient dans leur vocation propre : Maintenir la foi chrétienne en ces terres saintes, mais plus encore maintenir l'esprit de l'Évangile dans ces populations chrétiennes et dans leurs rapports avec les non chrétiens, et maintenir vive la mémoire des origines de l'Église universelle sur ces terres bénies par la présence du Christ lui-même et celle des premières générations chrétiennes (n. 8).

Rôle des chrétiens malgré leur petit nombre

Bien que petite en nombre, la communauté des chrétiens du Moyen-Orient est appelé à contribuer à la construction de la société de leurs pays, cherchant toujours le bien commun, le bien d'autrui. Cela concerne la promotion de la famille, l'engagement social selon la doctrine sociale de l'Eglise, l'éducation et surtout les activités caritatives. Les chrétiens sont appelés aussi à l'engagement politique, afin d'aider à créer des conditions sociales favorables au développement humain intégral de tous.

B. Les défis auxquels sont confrontés les chrétiens

1. Les conflits politiques dans la région
Les chrétiens dans les pays du Moyen-Orient sont exposés à des situations politiques fragiles et instables. En Israël, les fidèles des territoires palestiniens, quelle que soit leur appartenance religieuse, subissent entre autres des contraintes de la liberté de mouvement : Des permis militaires (sont) accordés aux uns, refusés aux autres, pour raisons de sécurité (n. 12). Les chrétiens en Irak, la plus petite et la plus faible des communautés irakiennes, souffrent particulièrement des affrontements entre les courants politiques et entre les confessions religieuses (id.), déchaînés par la guerre. Au Liban, les chrétiens sont divisés au plan politique et confessionnel [...] ; en Égypte, la montée de l'islam politique d'un côté et le désengagement, en partie forcé, des chrétiens par rapport à la société civile d'un autre crée de sérieuses difficultés (id). Le concept actuel de laïcité en Turquie pose encore problèmes à la pleine liberté religieuse du pays (n. 13).
2. Liberté de religion et de conscience
En Orient, liberté de religion veut dire habituellement liberté de culte. Il ne s'agit donc pas encore de liberté de conscience, c´est-à-dire de la liberté de croire ou de ne pas croire, de pratiquer une religion seul ou en public, sans aucune entrave, et donc de la liberté de changer de religion. La religion, en Orient est en général un choix social et même national, non un choix individuel. Changer de religion est perçu comme une trahison envers la société, la culture et la nation bâtie principalement sur une tradition religieuse. La conversion à la foi chrétienne est vue comme étant le fruit d'un prosélytisme intéressé, non d'une conviction religieuse de l'État. Pour le musulman, elle est souvent interdite par les lois de l'État (n. 13-14).
Certaines réponses au questionnaire expriment un refus ferme du prosélytisme chrétien. La position de l'Église sur ce sujet est claire : Celui qui pratique la charité au nom de l'Église ne cherchera jamais à imposer aux autres la foi de l'Église. Il sait que l'amour, dans sa pureté et dans sa gratuité, est le meilleur témoignage du Dieu auquel nous croyons et qui nous pousse à aimer (Benoît XVI, Deus caritas est, 31c).
Dans ces circonstances, les Églises orientales sont appelés à offrir l'éducation à la liberté, au respect de la liberté de l'autre et au dépassement des intérêts confessionnels pour plus de justice et d'égalité devant le droit, bref à une "laïcité positive" (n.14). A travers ses écoles et universités, l'Église catholique au Moyen-Orient jouit de grandes possibilités puisqu'elles accueillent des élèves de toute confession et condition sociale, chrétiens, musulmans, druzes et juifs (id.).
3. Les chrétiens et l'évolution de l'islam contemporain
La montée de l'Islam politique à partir des années soixante-dix est un phénomène saillant qui affecte la région et la situation des chrétiens dans le monde arabe (n. 15). Pour certains courants religieux, qui voudraient imposer un mode de vie islamique aux sociétés arabe, turque ou iranienne et à tous ceux qui y vivent, musulmans et non musulman [...] la cause de tous les maux est l'éloignement de l'Islam. et le retour à l'Islam est la solution. Dans ce but certains n'hésitent pas à recourir à la violence . Même si cette attitude vise d'abord la société musulmane, [...] elle a des conséquences sur la présence chrétienne en Orient. Ces courants extrémistes sont une menace pour nous tous, chrétiens, juifs et musulmans, qui doivent les affronter ensemble.
4. L'émigration
Les deux causes principales de l'émigration des chrétiens des pays orientales qui a commencé vers la fin du XIXe siècle étaient d'ordre politique et économique . Elle est aggravée aujourd'hui dû au conflit israélo-palestinien et l'instabilité qui en suit dans toute la région. La situation sociale en Irak et l'instabilité politique au Liban l'amplifie encore. Face à la difficulté de créer une économie qui puisse procurer une vie digne pour toute la société (n 16), l'Église peut l'aider, mais c'est à l'État lui-même de prendre les mesures nécessaires . Seul véritable remède à l'émigration des chrétiens est donc la paix et la démocratie, si accompagnées par un développement économique suffisant.
Cela étant, les Églises en Occident et en Orient peuvent jouer un rôle important pour avancer dans cette direction : D'un côte, en Occident elles peuvent sensibiliser les gouvernements de leurs nations respectives à suivre des politiques aptes à contribuer au développement des pays du Moyen-Orient à tous les niveaux (id.).
D'un autre côté, les chrétiens émigrés en Occident constituent un nouveau soutien, grâce aux liens familiaux forts maintenu avec les pays d'origine. Les Églises de l'Orient envoient des prêtres dans les pays d'émigration et favorisent ainsi le maintien des liens. Des associations ecclésiales et non ecclésiales favorisent des jumelages, touristiques, culturels, universitaires et autres.

 

III. Le témoignage chrétien

E. Rapports avec les musulmans

L'Église regarde aussi avec estime les musulmans qui adorent le Dieu un, vivant et subsistant, miséricordieux et tout-puissant, créateur du ciel et de la terre, qui a parlé aux hommes (Nostra aetate, 3). Benoît XVI affirme cette déclaration du Concile Vatican II lors de sa rencontre avec des représentants de communautés musulmanes en Allemagne en 2005 : Le dialogue interreligieux et interculturel entre chrétiens et musulmans ne peut pas se réduire à un choix passager. C'est en effet une nécessité vitale, dont dépend en grande partie notre avenir (Benoît XVI, Rencontre avec les communautés musulmanes, Cologne, 2005).
Au Moyen-Orient chrétiens et musulmans sont citoyens des même pays, partagent la même langue et la même culture. L'islam est né dans un milieu où se trouvent le judaïsme ainsi que les différentes branches du christianisme, ce que se reflète dans la tradition coranique.
Le dialogue bilatéral et trilatéral est nécessaire, surtout puisque les relations entre chrétiens et musulmans sont souvent difficiles, surtout du fait que les musulmans ne distinguent pas religion et politique, ce qui met les chrétiens en situation délicate de non-citoyens dans certains pays (n. 36). La reconnaissance de la liberté religieuse est clé dans ces cas.
Dans ces circonstances, une bonne éducation et catéchèse est indispensable afin que les chrétiens n'adoptent pas une attitude défensive et le repli sur soi typique des minorités. En plus de l'enseignement religieux qui vise a à ce que les jeunes soient libres de tout préjugé et stéréotype sur l'autre, des actions communes entre musulmans et chrétiens, au service de la société, peuvent aider à créer de vraies amitiés.
Pour un dialogue de vérité dans la charité (Ep 4,15) il est essentiel de chercher à comprendre le point de vue de l'autre, tout en sachant que les dogmes sont profondément différents. Ce dialogue pousse à apprécier tout ce qui est positif dans la religion et la morale musulmanes, notamment leur solide foi en Dieu, et à respecter leurs convictions (id.).

F. Le témoignage dans la cité

Les chrétiens au Moyen-Orient se voient aujourd'hui face à deux défis principaux : d'un côté ils se retrouvent face à la violence et aux opérations militaires des puissants, ainsi qu'au terrorisme. D'un autre côté il leur est demandé de parler de paix et agir pour la paix (n. 37) à travers leur contribution dans la société.
Là où l'islam est la religion d'État il existe des statuts particuliers pour les communautés chrétiennes, dont les tribunaux ecclésiastiques. L'éducation religieuse est obligatoire dans les écoles privées et publiques, mais elle n'est pas toujours garantie aux chrétiens (n. 39).
(L)a liberté religieuse et la liberté de conscience [...] sont généralement inconnues dans le milieu musulman, qui reconnaît la liberté de culte mais non la liberté de proclamer une religion autre que l'Islam, et encore moins d'abandonner celui-ci .
Malgré leur nombre réduit, le rôle des chrétiens est reconnu dans la société où l'Église est présente grâce aux nombreuses institutions ecclésiales et religieuses, et cette présence est généralement apprécié (id.).
La contribution du chrétien consiste à vivre les valeurs évangéliques mais aussi à apporter la parole de la vérité [...] aux forts qui oppriment ou suivent les politiques désavantageuses pour les intérêts du pays, ainsi qu'à ceux qui répondent à l'oppression par la violence (n. 37). Poursuivre cette pédagogie de la paix exige beaucoup de courage mais elle est réaliste et a davantage de possibilités d'être accueilli du fait que la violence a, dans la région du Moyen-Orient, porté uniquement à l'échec et à une impasse générale (id.).

G. Contribution spécifique et irremplaçable du chrétien

Au Moyen-Orient où existent différents conflits dont le foyer principal est le conflit israélo-palestinien, il est le devoir des chrétiens de dénoncer courageusement la violence, d'où qu'elle vienne. Il importe d'apporter le message de réconciliation basée sur le pardon réciproque. C'est la force de l'Esprit Saint qui rend capables de pardonner et de demander pardon et les pouvoirs publics aussi ont besoin de cette ouverture spirituelle qu'un apport chrétien humble et désintéressé peut leur apporter.
Il est important d'éduquer les chrétiens à considérer la contribution qu'ils peuvent apporter dans les divers secteurs de la vie et dans les institutions civiles et politiques. Il est de notre devoir d'enseigner et d'appeler à l'ouverture et non au fanatisme, de travailler pour des projets de paix, pour une vie commune tranquille, en créant des rapports et des relations.
Dans la sphère sociale, le témoignage du chrétien le plus important est la gratuité de l'amour pour l'homme qui se manifeste dans les services sociaux, comme les écoles, les hôpitaux, les cliniques, les institutions académiques, en accueillant tout le monde et en proclament notre amour pour tous en vue d'une société meilleure.
Pour tout chrétien il importe d'aller en profondeur pour rendre crédible tout ce qui est advenu en Terre Sainte, comme la vie du Christ et celles des apôtres, en vivant courageusement une foi adulte, même au prix de sacrifices (n. 41). La prière, la promotion de l'unité parmi les chrétiens, la vie selon l'esprit de l'Evangile, la vie intérieure, la participation à la liturgie, tels sont les véritables actes d'un témoignage convaincu et réel.

 

Dossier préparé par Carina Scholz
Avec l'aimable autorisation de Regnumchristi.org
Lineamenta : texte intégral
Synthèse : Version intégrale

 

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