Le film allemand Sophie Scholl : les derniers jours est un grand moment de cinéma. Ce film, où l'actrice principale, Julia Jentch (La Chute), est lumineuse, est saisissant par sa rigueur très dépouillée.

On est à l'opposé du genre film spectacle qui domine dans notre culture du divertissement, à coup d'effets spéciaux.

Le sujet est connu : les derniers jours de Hans et Sophie Scholl, frère et sœur du groupe de résistance chrétienne au nazisme appelé "La Rose blanche". Lancé par six jeunes étudiants chrétiens, les motivations du mouvement sont d'ordre religieux et culturel. Il s'agit de se battre pour la justice, contre l'utopie totalitaire et "la dictature du mal" (cf. l'extrait du tract ci-dessous).

Mais les membres du groupe sont aussi des analystes de la situation internationale, dont l'évolution entre l'été 1942 et février 1943 souligne à leurs yeux l'urgence de mettre fin à la guerre : la terreur totale à l'intérieur et la "guerre totale" à l'extérieur accroissent à un point insupportable le discrédit de l'Allemagne et la menace pour la civilisation occidentale, tandis que la défaite qui se profile peut ouvrir les yeux de leurs concitoyens.

Très vite, la Rose blanche bénéficie d'une forte notoriété : dès juin 1943, Thomas Mann lui rend hommage à la BBC et durant l'été 1943 l'aviation anglaise jette sur le Reich un million d'exemplaires de son dernier tract.

Arrêtés à Munich, les jeunes gens furent jugés expéditivement en février 1943 et décapités à la hache (et non à la guillotine comme le montre le film). Le film est néanmoins très fidèle sur le fond, car il se fonde sur les procès-verbaux des interrogatoires et du jugement.

Pour en savoir plus :

■ De Pierre Le Blavec, sur Herodote.net : "22 février 1973, décapitation de la Rose blanche"

■ Un dossier pédagogique complet sur le site de l'Académie de Nantes

"Civitas Dei, modèle absolu"

Extrait du troisième tract de la Rose blanche (1942)

"Salus publica suprema lex

"Toute conception idéale de l'état est utopie. Un état ne peut être édifié de façon purement théorique ; il doit se développer et arriver à maturité comme un individu. Il ne faut cependant pas oublier qu'à la naissance de chaque civilisation préexiste une forme de l'état. La famille est aussi vieille que l'humanité, et c'est en partant de cette première forme d'existence communautaire que l'homme raisonnable s'est constitué un état devant avoir pour base la justice, et considérer le bien de tous comme une loi primordiale. L'ordre politique doit présenter une analogie avec l'ordre divin, et la "civitas Dei" est le modèle absolu dont il lui faut, en définitive, se rapprocher.

"Nous ne voulons émettre ici aucun jugement sur les différentes constitutions possibles : démocratie, monarchie constitutionnelle, royauté, etc. Ceci seulement sera mis en relief : chaque homme a le droit de vivre dans une société juste, qui assure la liberté des individus comme le bien de la communauté. Car Dieu désire que l'homme tende à son but naturel, libre et indépendant à l'intérieur d'une existence et d'un développement communautaires ; qu'il cherche à atteindre son bonheur terrestre par ses propres forces, ses aptitudes originales.

Notre "état" actuel est la dictature du mal. On me répond peut-être : "Nous le savons depuis longtemps, que sert-il d'en reparler ?" Mais alors, pourquoi ne vous soulevez-vous pas, et comment tolérez-vous que ces dictateurs, peu à peu, suppriment tous vos droits, jusqu'au jour où il ne restera rien qu'une organisation étatique mécanisée dirigée par des criminels et des salopards. Êtes-vous à ce point abrutis pour oublier que ce n'est pas seulement votre droit, mais aussi votre devoir social, de renverser ce système politique ?"

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