La concertation qui a lieu actuellement en Europe pour trouver des moyens de parer à la crise qui affecte gravement certains des pays membres de la zone euro ne serait pas en soi une mauvaise chose, si elle posait les vraies questions. On parle de solidarité et surtout d'une convergence beaucoup plus forte de politiques économiques.
On peut être sceptique sur le succès qui supposerait une vraie solidarité financière (ce qui veut dire que l'Allemagne s'engage sans limite à payer pour les autres en cas de besoin) ; et surtout une structure politique fédérale, avec une démocratie européenne et une nation européenne. Ceux-ci sont totalement utopiques puisqu'il n'existe pas de peuple européen.
Mais avant même d'en arriver là, c'est la manière même de poser le problème qui ne permet pas de le traiter. Car le vrai problème c'est l'endettement public. En soi.
Fondamentalement un État ne devrait s'endetter que dans des circonstances exceptionnelles et pour un temps limité.
Les facilités de la dette n'ont qu'un temps
Si en effet un État décide, comme l'ont fait la plupart des pays d'Europe depuis quarante ans, de laisser filer son déficit budgétaire et de le financer par l'endettement, il rencontrera assez vite un plafond (quel qu'il soit), car on ne peut pas s'endetter indéfiniment. À partir de ce moment-là, il sera contraint à un équilibre budgétaire, avec en plus la charge de sa dette, alors énorme, et une gestion rigide sous l'œil sourcilleux des marchés. En d'autres termes, la facilité de la dette aura disparu. Ce ne peut donc être une politique permanente. Les facilités de la dette n'ont qu'un temps. Et elles pèsent comme on sait cruellement sur les générations futures.
C'est défendable en temps de guerre parce qu'on n'a alors pas le choix et que c'est une question de survie. Cela pourrait par extension se défendre dans le cas d'une crise exceptionnelle, pour passer le cap, comme en 2008, ou peut-être avec le choc pétrolier de 1973. Mais sûrement pas pour financer des déficits courants comme ce fut le cas pour l'essentiel depuis quarante ans. Sans bien sûr parler des pays comme l'Irlande qui se sont endettés pour sauver un système bancaire qu'ils auraient dû surveiller avant. C'est donc toute la gestion actuelle des finances publiques de la plupart des pays occidentaux qui est intrinsèquement fautive.
On dit que s'endetter peut être justifié si cela correspond à un investissement : c'est ce que font les entreprises. Mais ce n'est vrai que si cet investissement génère un surcroît de produit financier, directement mesurable, permettant de rembourser l'emprunt et au-delà. Les entreprises opèrent ainsi et le mesurent avec soin ; elles sont dès lors modérément endettée et cet endettement est relativement stable. Mais aucun État ne fait cela, même de très loin. Il faudrait pour cela nettement isoler les financements que la dette permet et mesurer leur impact réel, y compris à la fin sous forme de rentrée fiscale future. Ce n'est évidemment pas le cas, même de loin. Et même là l'endettement serait vite plafonné.
Concrètement si on pense que par exemple le plafond est à 60 % du PNB comme le prévoient les traités européens, un pays qui est arrivé à ce niveau doit ensuite, pour stabiliser ce ratio, ne pas faire croître sa dette plus vite que son PNB ; mais comme ce qu'il doit s'accroît déjà mécaniquement des intérêts, dont l'ordre de grandeur est celui de la croissance du PNB, il ne peut plus lever de fonds d'emprunt pour quelque dépense supplémentaire que ce soit. Donc la dette cesse d'être une ressource permanente. Ceci en supposant que les marchés le laissent tranquille et acceptent à la fois de renouveler les échéances, de financer les intérêts dus, et de ne pas les accroître au vu du risque. En d'autres termes, la génération qui s'est endettée en a profité, mais la facilité ne vaut que pour elle.
Un legs inutile et dangereux
Naturellement une autre voie existe, empruntée depuis longtemps, qu'on a appelée l'euthanasie des rentiers : la réduction de fait de cette dette soit par une inflation galopante, soit par une forme de répudiation au moins partielle. Ce n'est d'abord ni très moral ni très responsable. Mais en outre et surtout ce n'est pas ouvert à tout le monde. En général en effet le marché réagit et fait payer cher ce type de stratégie, sauf positionnement particulier comme les États-Unis actuellement. Et de toute façon ce n'est pas possible dans une zone monétaire comme la zone euro, qui ne laisse pas à chaque membre la liberté de tirage sur la banque centrale.
En résumé donc, après une phase initiale de dépenses généralement de consommation et sans produit nettement visible, un État qui s'endette ne fait que léguer aux générations futures un fardeau inutile et dangereux, en aliénant sa capacité de décision politique... et sa possibilité d'endettement justifié en cas de vrai coup dur.
Deux conclusions. La première est que la mise en place des techniques sophistiquées d'emprunt au fil de l'eau qui date des années 1980 a été désastreuse à proportion de son efficacité : la technique antérieure des grands emprunts nationaux hautement visibles était autrement plus honnête politiquement. C'est comme permettre aux ivrognes un accès libre et immédiat à leurs boissons favorites.
La deuxième conclusion est que sur le long terme la seule solution véritable à la crise de la zone euro est d'organiser de concert la disparition de la dette publique des pays européens. Mais comme on voit, si on s'engage dans cette voie, plus besoin de convergence ni de solidarité...
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