Alors que la campagne électorale bat son plein, on entend par la presse, et aussi par de nombreux contacts directs, que les Français sont frustrés de celle-ci, qu’elle ne « remplit pas les promesses » du grand débat de société qu’elle devrait être. Un peu comme si les Français, d’une certaine façon, subissaient leur campagne, au lieu de la vivre.

Il est vrai qu’entre la stratégie du « carpet bombing » [1] du candidat président, les manœuvres d’évitement de son principal adversaire, qui fait de « l’anti-sarkozisme » son principal argument de campagne, et les provocations des autres, dont la caricature semble bien être l’appel à une nouvelle « prise de la Bastille » du candidat Mélenchon, on est assez bien servi.

Le seul qui semble, pour le moment du moins, ne pas vouloir donner dans la médiatisation à outrance ou la provoc’, c’est François Bayrou, et justement, il a l’air d’ennuyer les Français, qui bâillent en l’écoutant : il stagne, entre 10 et 15%, dans le marécage des sondages, alors que Mélenchon, notre Chavez national, ne cesse, lui, de grimper.

Alors, les Français sont-ils inconséquents, puisqu’ils disent regretter les stratégies de « miroirs aux alouettes », alors même qu’ils survalorisent les candidats qui ont choisi cette voie, et dévalorisent les autres ?

F_Martin

Tout d’abord, disons la vérité : ce sont bien les Français qui « font » le système médiatique, et pas le contraire. Il ne faut pas oublier que la presse, c’est du commerce. Les « producteurs » médiatiques ne proposent jamais que ce que veulent leurs clients. Si les consommateurs de cette presse rejetaient le simplisme, le « story telling » [2], le manichéisme et les paillettes, il y a longtemps que l’information se serait réformée. C’est comme avec la grande Distribution : on sait que la qualité des produits baisse, mais on continue à acheter le moins cher possible, au centime près, au détriment du goût. Pourquoi les distributeurs changeraient-ils de stratégie ?

Ensuite, et même si les stratégies médiatiques des candidats sont bien appliquées, avec le plus grand réalisme, il est vrai, il n’est pas juste non plus de dire que les programmes et les idées sont totalement absentes de la campagne, et que celle-ci est, comme certains pourraient le dire, « volée » aux Français. On trouve en effet, sur les sites des candidats, toutes leurs propositions sur presque tous les sujets. A l’heure de l’internet, il est très facile de la chercher. Leurs discours programmatiques existent, ils sont filmés et disponibles. De plus, de nombreux journaux de la presse écrite, et quelques bonnes émissions TV, ont permis jusqu’ici de balayer beaucoup de questions et les propositions de tous les candidats, petits et grands, sur les plus importantes. Notre site l’a fait aussi. Même si cette campagne n’est pas exhaustive (et comment pourrait-elle l’être ?), et qu’il manque des débats importants, comme sur la question de la Défense par exemple, il y a néanmoins largement de quoi répondre à nos attentes, à condition de chercher un peu.

Le meilleur ou le moins mauvais possible

Alors, d’où vient ce sentiment de frustration ? Tout ça manque de souffle et de grandeur, c’est vrai, mais il y a autre chose. En réalité, les Français voudraient une campagne idéale, tout comme ils cherchent le candidat idéal. C’est la raison principale de l’anti-sarkozisme, comme de l’anti-hollande, comme de l’anti-mondialisation, comme de l’anti-campagne, comme de l’anti-tout. « Rien ne va plus », « c’est dégu… », « cette campagne, c’est de la m… », « ces politiques, c’est des c…. », « tous pourris », pourquoi ? Et pourquoi jamais « et nous, dans tout ça? ». Cette attitude désappropriée et négative par rapport à tout ce qui nous arrive, la campagne comme le reste, ne vient pas du tempérament râleur des Français, comme ils aiment bien le dire pour se dédouaner. C’est beaucoup plus grave. Il y a dans l’opinion, et cela semble faire consensus, une déception profonde par rapport à un idéal, mais bizarrement, la réflexion par rapport aux causes de cette déception est toujours projetée sur autrui, et jamais sur nous-mêmes. Comme le remarquait Jean Frédéric Poisson à l’occasion de notre conférence débat du mardi 3 avril au centre Bernanos sur la tentation de l’abstention, le candidat idéal n’existera pas, ni la campagne idéale, ni le monde idéal, dans lequel nous sommes si mécontents de ne pas vivre, pas plus que n’existe, nous le savons bien, le conjoint idéal. Ceux d’entre nous qui sont mariés savent bien que, dans ce domaine, le premier « travail sur soi-même » qui est à faire consiste à regarder cette merveille que reste l’union conjugale  avec un peu de réalisme. Ceux qui cherchent le conjoint idéal ont de grandes chances de le chercher toute leur vie, ou bien, quand ils se marient, l’expérience ne dure en général pas très longtemps.

Il en est de même en politique, comme dans le monde, comme avec cette campagne. La politique est un art imparfait, ô combien , les politiques et les candidats le sont aussi [3] ,  le monde l’est plus encore. Cette campagne est ce qu’elle est, elle n’est pas pire qu’une autre, et nous avons la chance qu’elle existe. Cette élection, c’est la nôtre, personne n’élira le prochain Président à notre place. Posons-nous les bonnes questions : qui nous guidera dans ce monde difficile ? Qui nous fera avancer dans la bonne direction ? Qui maintiendra nos fondamentaux ? Qui construira avec nous un monde acceptable pour nos enfants ? Et qui nous fera prendre le moins de risques ? Faisons nos choix, en conscience et froidement, en fonction de ce que proposent ces candidats :  nous avons largement de quoi nous décider, et allons voter. Retroussons-nous les manches, regardons devant, vers l’avenir, où tout est à faire, prenons-nous en charge. Sortons de l’enfance, il est plus que temps !

François Martin

PS : le deuxième volet sur la signification éthique et politique du suffrage se poursuivra mercredi 11 avril avec la conférence-débat de Catherine Rouvier au centre Bernanos à 19h dont le thème sera : le peuple, la foule et la présidentielle.

 

[1] Littéralement, « tapis de bombes » : une annonce de mesures par jour, pour occuper l’espace médiatique en permanence

[2] Littéralement, « raconter une histoire » : une tactique consistant à remplacer l’explication d’une vérité, par nature complexe et sujette à controverses, par une belle histoire simple et facile à gober. Notre site se veut une entreprise à l’opposé du « story telling ». Nous cherchons, à tâtons, une vérité difficile, et non pas une cohérence facile et factice.

[3] Qui reconnaît, malgré tout, leur courage ? Combien, parmi ceux qui les démolissent, voudraient faire ce terrifiant métier ?