L’adoption du nouveau Traité constitutionnel, cinquante jours après l’élargissement à vingt-cinq nations, permet à l’Europe de considérer l’année 2004 comme une année dont les objectifs fondamentaux ont été atteints. Cependant, bien des interrogations viennent ternir la satisfaction affichée : à côté des lumières d’un accord sans précédent, demeurent des ombres concernant la manière dont il a été obtenu et surtout concernant son contenu qui n’est pas à la hauteur des espoirs et des souhaits de beaucoup.

 

L’Europe qui – justement – regarde vers le futur et cherche à jeter des bases solides et importantes pour donner un élan nouveau au chemin communautaire, semble s’être privée d’un fondement de sa mémoire historique.

Certes, la Constitution est là. Et, de soi, cela est destiné à vite offrir à l’Europe de nouveaux espoirs de croissance et à trouver une identité plus précise pour pouvoir affronter les défis du siècle qui commence. Mais justement, cette nécessité d’une identité ancrée dans l’histoire et dans les valeurs authentiques du continent ne rend que plus décevant le refus d’accueillir la demande – réitérée de plusieurs côtés à la fois, et ce jusqu’au dernier moment – d’inscrire dans le préambule de la Constitution une référence explicite aux racines chrétiennes de l’Europe.

Une déception d’autant plus explicable que ce même texte constitutionnel parle des valeurs religieuses comme source d’inspiration de l’Union (on y lit en effet : " S’inspirant de l’héritage culturel, religieux et humaniste de l’Europe, à partir duquel se sont développées les valeurs universelles des droits inviolables et inaliénables de l’homme, de la démocratie, de l’égalité, de la liberté et de l’État de droit, etc. ") et il est évident que " les racines religieuses de l’Europe sont chrétiennes " comme l’avait fait remarquer ces derniers jours encore l’ancien Président français Valéry Giscard d’Estaing qui avait présidé la Convention chargée d’élaborer le texte constitutionnel.

Commentant le résultat obtenu, le Président de la Commission de l’Union européenne, Romano Prodi, a lui aussi fait des considérations analogues et a souligné par ailleurs que l’article 51 représente un élément fondamental de la Constitution. Cet article " reconnaît les droits des Eglises et le dialogue structurel entre les institutions européennes et les Eglises ". " Il est clair – a observé Prodi – que la discussion du préambule a été des plus difficiles parce qu’elle rencontrait des traditions différentes mais le résultat obtenu est sérieux, fort, même si ce n’est pas celui que nous avions espéré et soutenu ".

Ceci dit, après l’échec d’il y a six mois, il faut reconnaître aux vingt-cinq gouvernements d’avoir finalement eu la détermination nécessaire, comme il est juste également de rendre hommage à la présidence tournante semestrielle irlandaise et, plus généralement, à ces leaders européens qui ont fortement voulu approuver la Constitution. En ce sens, le long applaudissement qui a accueilli le Premier ministre irlandais Bertie Ahern à l’annonce de l’accord obtenu est significatif. Le même Ahern, lors de la conférence de presse finale du sommet, a parlé de " pierre milliaire ", tandis que Prodi a dit que la Constitution est " l’essence de toute unité politique partagée. Avec la Constitution, nous avons donné des raisons stables aux motivations qui nous ont fait entrer dans l’Union et nous avons confirmé les valeurs qui nous lient ainsi que les idéaux communs ".

Néanmoins, même à cette occasion, nous avons assisté à une défense acharnée d’intérêts – et peut-être aussi d’égoïsmes – nationaux, qui n’a pu être surmontée, en partie seulement, au nom du bien commun européen. Les chefs d’Etat et de gouvernement, appelés à donner une réponse politique et forte aux signaux de malaise et de désaffection venus des électeurs européens avec le taux très élevé d’abstentions enregistré la semaine dernière dans le vote pour le renouvellement du Parlement de Strasbourg, ont donné par moments l’impression d’oublier le projet complexe d’une Constitution destinée à changer l’histoire de l’Europe.

Les grands pays se sont divisés, avec des accrochages parfois vifs entre le Premier ministre britannique Tony Blair et le Président français Jacques Chirac. Les pays petits ou moyens ont essayé jusqu’au bout d’obtenir un surcroît d’avantages. Les pays nouvellement entrés dans l’Union, pour une part, n’ont pas démontré un grand élan européiste mais ont plutôt prêté un regard attentif à leurs intérêts nationaux.

C’est ainsi que, parmi les résultats négatifs du sommet, on ne sait pas qui devra prendre la place de Prodi le 1er novembre prochain — étant parvenu, avec la Commission qu’il a présidée, au terme d’un mandat de cinq ans ayant connu ses principaux succès avec l’élargissement, l’approbation de la monnaie unique et enfin l’adoption de la Constitution. La désignation du successeur de Prodi a fait l’objet de veto opposés au point d’être renvoyée à un prochain sommet extraordinaire qui devra se tenir au plus vite et en tout cas avant l’ouverture du nouveau Parlement de Strasbourg, fixée au 20 juillet.

Parmi les autres décisions du sommet, signalons celle de l’ouverture, au début de 2005, des négociations pour l’adhésion de la Croatie et l’engagement répété à " ouvrir sans retard les négociations avec la Turquie au cas où le Conseil européen déciderait, en décembre 2004, sur la base du rapport et de la recommandation de la Commission, que la Turquie satisfait aux critères de Copenhague ".

© Osservatore romano. Traduction Éric Iborra pour Décryptage.

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