En suspendant jusqu'à nouvel ordre ce qui devait constituer le premier essai clinique utilisant des cellules souches embryonnaires humaines, l'agence américaine du médicament porte un coup dévastateur à l'image de la recherche sur l'embryon. Ceux qui persistent à réclamer des embryons humains pour la recherche sont-ils mus par des considérations qui n'ont rien à voir avec l'éthique et la science ?

La Food and Drug Administration (FDA), l'agence américaine du médicament, a finalement recalé cet été la demande d'expérimentation clinique de la firme Geron Corporation, industriel leader dans le domaine de la recherche sur les cellules souches embryonnaires outre-Atlantique. Cette information qui aurait dû faire couler beaucoup d'encre dans les médias généralistes ou spécialisés français a jusqu'ici été passée sous silence : l'agence d'analyse bioéthique Genethique fait figure d'exception [1].

L'essai, maintes fois reporté, était très attendu. Utilisant l'injection d'un produit issu de la culture de cellules embryonnaires humaines (ES) à une dizaine de patients souffrant de lésions sévères de la moelle épinière, l'expérience devait tester une éventuelle revitalisation des neurones endommagés. Et arracher enfin un résultat que l'on ne cesse de nous annoncer comme imminent depuis plus de dix ans, date de la découverte des cellules ES par James Thomson.

Ce refus d'autorisation constitue un nouveau revers pour les adeptes de la recherche sur l'embryon qui s'obstinent envers et contre tout à ne pas jeter l'éponge.

Que s'est-il passé pour expliquer un tel revirement de la FDA ? Genethique nous apprend que les difficultés rencontrées seraient liées aux propriétés des cellules ES. Premier défaut signalé et non des moindres, leur capacité à générer des tumeurs chez le sujet greffé. Mais encore l'induction de dérèglements du système immunitaire du sujet receveur. À vrai dire, ces conclusions n'étonneront personne, il s'agit des deux principaux obstacles biologiques rencontrés systématiquement dans les expériences animales. Sont-ce justement les données issues des vingt-quatre études conduites sur les souris et les rats qui auraient dissuadé la FDA d'accorder son autorisation à Geron ? Toujours est-il qu'Evan Snyder, neuroscientifique dirigeant un centre de recherche sur les cellules souches à San Diego, a reconnu qu'il y avait un gros débat parmi les chercheurs sur la moelle épinière parce que les données précliniques elles-mêmes ne justifient pas les essais cliniques .

Quel effet en France ?
Voilà pour les aspects scientifiques, qui ne devraient pas être sans conséquence sur la teneur du débat qui se poursuit en France.

En effet, la déconvenue est d'autant plus retentissante que nombres d'orateurs venus défiler devant les députés de la mission d'information parlementaire de révision de la loi bioéthique ont été souvent à court d'arguments pour défendre la poursuite de la recherche sur l'embryon.

À de nombreuses reprises, la dernière bouée à laquelle ils se sont raccrochés consistait justement à annoncer ce fameux essai acquis de haute lutte par la Geron Corporation. Ne devait-il pas représenter le premier test humain dans le monde après plus d'une décennie de recherches infructueuses sur le plan thérapeutique ? Si les Américains se lançaient enfin dans le champ des applications biomédicales, n'était-ce pas la preuve que nous Français devions absolument prendre le train du progrès scientifique en marche avant qu'il ne soit trop tard ? La pression était d'autant plus forte à ce moment-là que le président Obama venait de donner un feu vert purement idéologique au financement fédéral de la recherche sur l'embryon.

La bioéthique, c'est cela aussi : des raisonnements qui font appel à l'émotion en faisant fi du simple bon sens. N'en avait-il pas été de la sorte lorsqu'à l'occasion des précédentes discussions préparant la rédaction de la loi du 6 août 2004, certains protagonistes, dont quelques uns sont d'ailleurs les mêmes qu'aujourd'hui, avaient mis les Coréens sur un piédestal pour tenter de faire passer le clonage embryonnaire dont on nous promettait monts et merveilles ?

On a vu ce qu'il en fut : après avoir été convaincu de fraude scientifique, le professeur Hwang a été mis au ban de la communauté scientifique internationale. La découverte des cellules souches reprogrammées ou iPS a définitivement donné le coup de grâce à cette technique. Plus personne aujourd'hui ne songe à inscrire le transfert nucléaire ou clonage dans la prochaine législation.

Un marché juteux
Mais alors, comment expliquer aujourd'hui le lobbying qui s'exerce encore sur les responsables politiques pour obtenir une autorisation plus large de la recherche sur l'embryon ?

La réponse, c'est un des meilleurs spécialistes italiens qui nous la donne dans une tribune roborative parue dans l'Osservatore romano. Directeur de la banque de cellules souches adultes cérébrales de Terni, professeur à l'Université Bicocca et médecin neurologue à l'hôpital Niguarda de la ville de Milan, le docteur Angelo Vescovi livre un réquisitoire sans appel dans le journal du Vatican :

Comment s'explique, précisément maintenant, la décision américaine qui libéralise l'utilisation de fonds publics pour la recherche sur des cellules d'origine embryonnaires humaines ? La réponse est qu'il existe des éléments importants mais rarement évoqués, dont de nombreuses personnes n'ont d'ailleurs même pas connaissance, et sur lesquels on s'arrête rarement [...]. La production de cellules souches à travers la reprogrammation de cellules adultes est non seulement supérieure à celle qui prévoit l'utilisation des embryons humains, mais elle se fonde sur des techniques tout à fait nouvelles, qui ne dépendent pas des brevets qui actuellement exploitent l'utilisation des cellules souches dérivées d'embryons. Beaucoup de pays sont des pionniers historiques dans ce secteur. De nombreux laboratoires, des milliards de dollars d'investissements, toue une filière de brevets, de savoirs techno-scientifiques et des carrières tout entières se fondent précisément sur l'utilisation des embryons. Dans une situation de ce genre, il serait naïf de penser que tout cela puisse être abandonné pour adopter des techniques d'origine différente, uniquement parce qu'elles sont plus efficaces et acceptables d'un point de vue éthique. Les intérêts sont trop nombreux pour que l'utilisation des embryons humains puisse être abandonnée sans aucune réaction [2].

Et si l'entêtement à faire de la recherche sur l'embryon n'était qu'une histoire de gros sous et de royalties ?

 

[1] Genethique, Cellules souches embryonnaires et cellules iPS : où en est-on ? , Lettre d'information et d'analyse bioéthiques, n. 117, septembre 2009.
[2] Angelo Vescovi, Derrière la recherche sur les cellules souches, une guerre des brevets , Osservatore romano en langue française n. 23, 9 juin 2009, p. 11-12.

 

Un congrès sur les cellules souche

Le professeur Angelo Vescovi sera l'un des experts en thérapie cellulaire intervenant au Congrès intitulé Cellules souche somatiques : nouvelles perspectives. Événement d'envergure internationale organisé conjointement par l'Académie pontificale pour la Vie, la Fondation Jérôme-Lejeune et la Fédération internationale des associations des médecins catholiques, il se tiendra du 26 au 28 novembre à Monaco et est placé sous le haut patronage de son Altesse le prince Albert II.
Les jeudi 26 et vendredi 27 novembre seront plus particulièrement consacrés à la recherche scientifique sur les cellules souches adultes avec des spécialistes venus du monde entier. La matinée du samedi 28 affrontera les problématiques éthique et politique avec le concours de Marie-Thérèse Hermange, sénateur de Paris, Mgr Jacques Suaudeau, responsable de la section scientifique de l'Académie pontificale pour la Vie (APV), le professeur Pierre Le Coz, vice-président du Comité consultatif national d'éthique et Jean-Marie Le Méné, président de la Fondation Jérôme-Lejeune et membre permanent de l'APV.
Toutes les informations sur www.stemcellsmonaco2009.org

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