[Document] — Dans un message à la Semaine sociale italienne, ouverte ce 14 octobre, Benoît XVI appelle les catholiques à se renouveler intérieurement pour affronter les défis politiques de notre temps. Voici la traduction par nos soins de cet exposé sur les difficultés présentes, qui vaut surtout par la synthèse des priorités dégagées et le rappel des exigences personnelles (cohérence, compétence, humilité) requises pour le service du bien commun, épine dorsale de la doctrine sociale de l'Eglise .

C'est aussi une opportune introduction à notre congrès de Lyon des 30-31 octobre sur la responsabilité politique des catholiques, autour du cardinal Philippe Barbarin. Les thèmes abordés par le pape y seront tous développés. LP

 

MA PREMIERE PENSEE, en m'adressant à vous [le cardinal Angelo Bagnasco, président de la Conférence épiscopale italienne, Ndt] et aux participants de la 46e Semaine sociale des catholiques italiens réunis à Reggio de Calabre, est une profonde gratitude pour la contribution de réflexion et d'échanges qui, au nom de l'Église en Italie, vous souhaitez offrir à votre pays.

Une telle contribution est d'autant plus précieuse qu'elle est le fruit d'un important travail préparatoire mené ces deux dernières années dans les diocèses, les groupes ecclésiaux et des centres universitaires : les initiatives prises en vue de cet événement sont la preuve de la volonté largement répandue au sein des communautés chrétiennes de se reconnaître comme catholiques dans l'Italie d'aujourd'hui , porteurs d'un programme de l'espérance pour l'avenir du pays , comme l'indique le thème de la Semaine sociale.
Tout cela revêt une importance plus significative encore en raison de la situation socio-économique que nous traversons. Au niveau national, la conséquence la plus évidente de la récente crise financière mondiale réside dans l'extension du chômage et de la précarité, ce qui empêche souvent les jeunes — en particulier dans la zone du Mezzogiorno [sud de l'Italie] — de prendre racine dans leur propre territoire, en tant que protagonistes du développement. Pour beaucoup, ces difficultés constituent un obstacle sur de la réalisation de leurs propres idéaux de vie, favorisant la tentation du repli ou du désarroi. La méfiance se transforme aisément en résignation, défiance et désengagement, au détriment de l'investissement légitime vers l'avenir.
Des difficultés d'abord culturelles
À y bien regarder, le problème n'est pas seulement économique, mais surtout culturel, ce que confirme en particulier la crise démographique, la difficulté d'apprécier pleinement le rôle des femmes et la difficulté de tant d'adultes à se considérer eux-mêmes en tant qu'éducateurs.
Ceci est une raison de plus pour reconnaître et soutenir avec force et activement la fonction sociale irremplaçable de la famille, cœur de la vie affective et relationnelle, ainsi que lieu qui assure plus et mieux que tout, l'aide, les soins, la solidarité, la capacité de transmettre l'héritage des valeurs aux nouvelles générations. Il est donc nécessaire que tous les acteurs institutionnels et sociaux s'engagent à assurer des mesures efficaces pour soutenir la famille, en la dotant de ressources adéquates lui permettant une juste conciliation avec les temps de travail.
Les catholiques ne manquent pas d'avoir conscience du fait que ces attentes se situent aujourd'hui dans les transformations complexes et délicates qui concernent l'ensemble de l'humanité. Comme j'ai eu l'occasion de le souligner dans l'encyclique Caritas in Veritate, le risque de notre époque est que l'interdépendance de facto des personnes et des nations n'est pas compensée par l'interaction éthique des consciences et les esprits (n. 9). Il faut pour cela une vision claire de tous les aspects économiques, sociaux, culturels et spirituels du développement (ibid., n. 31).
L'affrontement des problèmes actuels, la protection de la vie humaine, de sa conception jusqu'à sa fin naturelle, la défense de la dignité de la personne, la protection de l'environnement et la promotion de la paix, est une tâche difficile, mais pas impossible, si l'on demeure ferme dans la confiance en les capacités de l'homme, si l'on élargit le concept de la raison et de son usage, et si chacun assume ses propres responsabilités.
En fait, il serait illusoire de déléguer la recherche de solutions aux seuls pouvoirs publics : les acteurs politiques, le monde des affaires, les organisations syndicales, les travailleurs sociaux et tous les citoyens, en tant qu'individus et de façon concertée, sont appelés à développer une forte capacité d'analyse, de vision à long terme (lungimiranza – clairvoyance ) et de participation.
Le critère fondamental du bien commun
Passer à une perspective de responsabilité implique la volonté de sortir de la recherche exclusive de ses propres intérêts, afin de poursuivre ensemble le bien du pays et de la famille humaine tout entière. Lorsque l'Église rappelle l'horizon du bien commun — l'épine dorsale de sa doctrine sociale — elle entend en effet se référer au bien du "nous-tous" , qui n'est pas recherché pour lui-même, mais pour les personnes qui appartiennent à la communauté sociale et qui, en son sein seulement, peuvent arriver réellement et plus efficacement à leur bien (ibid., n. 7).
En d'autres termes, le bien commun est ce qui construit et qualifie la cité des hommes, le critère fondamental de la vie sociale et politique, la fin de l'action humaine et son progrès, c'est une exigence de justice et de charité (ibid.), la promotion du respect des droits des individus et des peuples, ainsi que des relations caractérisées par la logique du don. Ainsi se trouve dans les valeurs du christianisme l'élément non seulement utile mais indispensable pour l'édification d'une société bonne et d'un véritable développement humain intégral (ibid., n ° 4).
Cohérence, compétence et esprit de service
Pour cette raison, je renouvelle l'appel à l'émergence d'une nouvelle génération de catholiques, des personnes renouvelées intérieurement qui s'engagent dans l'action politique sans complexe d'infériorité. Une telle présence, certes, ne s'improvise pas, elle reste, au contraire, l'objectif auquel doit tendre un chemin de formation intellectuelle et morale qui, à partir de grandes vérités sur Dieu, l'homme et le monde, offre des critères de jugement et des principes éthiques pour interpréter le bien de tous et de chacun.
Pour l'Église en Italie, qui a opportunément pris le défi de l'éducation comme une priorité dans la présente décennie, il s'agit de se consacrer à la formation de consciences chrétiennes adultes, étrangères à l'égoïsme, à l'avidité matérielle, à la volonté de faire carrière mais, au contraire, sont en cohérence avec la foi, averties des dynamiques culturelle et sociale de ce temps, capables d'assumer la responsabilité publique avec compétence professionnelle et esprit de service. L'engagement social et politique, avec les ressources spirituelles et les compétences qu'il requiert, demeure une haute vocation, à laquelle l'Église invite à répondre avec humilité et détermination.

La Semaine Sociale que vous vivez propose un programme d'espérance pour l'avenir du pays . Sans aucun doute, s'agit-il d'une méthode innovante de travail, qui suppose pour point de départ des expériences réelles, pour reconnaître et apprécier les potentialités culturelles, spirituelles et morales inscrites dans notre temps, bien que très complexes.
Eradiquer l'injustice à la source
L'un de vos domaines de réflexion est le phénomène migratoire avec, en particulier, la recherche de stratégies et de règles qui favorisent l'inclusion de nouvelles présences (l'inclusione delle nuove presenze). Il est significatif que, il y a exactement cinquante ans et dans la même ville, une Semaine sociale a été entièrement consacrée au thème des migrations, quand on voit celles qui se déploient à l'intérieur du pays. De nos jours, le phénomène a pris des proportions imposantes (imponenti) : après avoir surmonté la phase d'urgence, dans laquelle l'Église elle-même se dépense généreusement pour le premier accueil, il est nécessaire de passer à une deuxième phase, qui identifie, dans le plein respect de la loi, les termes de l'intégration.

Les croyants, ainsi que tous les hommes de bonne volonté, sont invités à faire tout leur possible pour éradiquer les situations d'injustice, la misère et les conflits qui obligent beaucoup d'hommes à prendre le chemin de l'exode, tout en favorisant les conditions d'insertion (inserimento) de tous ceux qui ont l'intention, par leur travail et le patrimoine de leurs traditions, de contribuer à l'édification d'une société meilleure que celle qu'ils ont laissée. En reconnaissant le rôle des immigrants, nous nous sentons appelés à leur présenter l'Évangile, source de salut et de vie abondante pour chacun, homme et femme.

Construire dans l'espérance fiable
Du reste, l'espérance avec laquelle vous avez l'intention de construire l'avenir du pays ne se résout pas dans la pure aspiration légitime d'un avenir meilleur. Celle-ci naît plutôt de la conviction que l'histoire est guidée par la Providence divine et tend vers une aube qui transcende les horizons de l'action humaine. Cette espérance fiable a le visage du Christ : dans la Parole de Dieu fait homme, chacun trouve le courage pour témoigner et l'abnégation pour rendre service.
Sur le magnifique chemin de lumière illustré par l'expérience de foi du peuple italien, nous pouvons suivre la trace de tant des saints glorieux — prêtres, religieux et laïcs — qui se sont consumés pour le bien de leurs frères et se sont engagés dans le domaine social afin de promouvoir des conditions plus justes et équitables pour tous, en premier lieu pour les pauvres.

Dans cette perspective, tandis que je vous souhaite de fructueux jours de travail et de rencontre, je vous encourage à saisir la hauteur du défi placé devant vous : l'Église catholique possède un héritage de valeurs qui ne sont pas du passé, mais constituent une réalité très vivante et actuelle, capables d'offrir une orientation créatrice pour l'avenir de la nation.
À la veille du 150e anniversaire de l'unité nationale, de Reggio de Calabre pourraient émerger une vision commune (comune sentire), fruit d'une analyse crédible de la situation du pays, une sagesse proactive (sagezza propositiva) issue d'un discernement culturel et éthique, condition constitutive (condizione costitutiva) des choix politiques et économiques. De cela dépend la relance d'une dynamique civique pour l'avenir qui sera — pour tous — le signe du bien commun.

Pour les participants à la 46e semaine sociale des catholiques italiens, je tiens à vous assurer de mon souvenir dans la prière, que j'accompagne d'une bénédiction apostolique particulière.

De la cité du Vatican, 12 octobre 2010.

Source : Zenit (italien)
© Traduction Libertepolitique.com
Titre et intertitres de la rédaction

 

Pour en savoir plus sur le congrès de Lyon (ouvert à tous) : Appelés à la liberté, 30-31 octobre

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