La veille de l'Assomption, le 14 août dernier le pape Jean-Paul II a nommé évêque auxiliaire du patriarche latin de Jérusalem le père abbé d'Abou Gosh, dom Jean-Baptiste Gourion, lui attribuant le siège titulaire de Lydda (Lod).

Le nouvel évêque a reçu un mandat spécial pour le soin pastoral des fidèles catholiques de langue hébraïque résidant en Israël. Cette nomination hautement symbolique provoque déjà des remous. Des voix s'élèvent pour parler d'acte politique du St-Siège, de la volonté du pape de mettre sous surveillance le patriarche Mgr Sabbah ou de manœuvre plus ou moins obscure des Israéliens... Mais cette décision romaine, appréciée ou non, nous rappelle qu'en Terre Sainte, il y a aussi des chrétiens israéliens qui vivent leur foi avec courage et conviction.

 

Mgr Gourion, 68 ans, est né à Oran en Algérie. Juif de naissance, il a été baptisé la nuit de Pâques, le 5 avril 1958 à l'abbaye du Bec-Hellouin en France, où il entre trois ans plus tard. Il est ordonné prêtre le 29 juin 1967.

C'est en 1976 qu'il est envoyé avec deux autres frères à Abou Gosh, en Israël, pour donner naissance à une communauté monastique dont il devient le prieur. Dès leur arrivée, les frères apprennent l'hébreu et œuvrent pour le dialogue entre juifs et chrétiens tout en multipliant les rencontres avec de nombreux Palestiniens qui deviennent amis du monastère. Abou Gosh a la particularité d'être un village où ne vivent que des arabes israéliens musulmans ; il est visité par de nombreux Israéliens le shabbat et les jours de fête. Le monastère d'Abou Gosh va très vite devenir une étape obligée pour ces promeneurs et des liens se tissent au fur et à mesure. En 1999, le prieuré est élevé au rang d'abbaye et le père Gourion devient le premier abbé.

Parallèlement, en 1990, le patriarche Latin, Mgr Michel Sabbah, nomme le père Gourion vicaire épiscopal chargé de la pastorale de la communauté d'expression hébraïque, fondée en 1955 pour répondre aux besoins pastoraux d'un certain nombre de chrétiens arrivés en Israël suite à la création de l'État d'Israël.

Le cardinal Tisserant, alors préfet de la Congrégation pour les Églises orientales, encouragea cette fondation et obtint de Pie XII l'autorisation, exceptionnelle alors, de l'emploi de l'hébreu pour la liturgie de la messe. Elle fut définitivement approuvée le 11 février 1955 par Mgr Gori, patriarche latin sous le nom d'Œuvre St-Jacques. Ses statuts expriment clairement une double vocation qui caractérise ses communautés : tout d'abord être une cellule d'Église vivant en Israël en milieu juif et ensuite, œuvrer à la réconciliation entre juifs et chrétiens dans le contexte culturel et religieux particulier dans lequel vivent ces chrétiens.

Les communautés catholiques de langue hébraïque sont composées de chrétiens d'origine juive et qui ont été baptisés dans leur pays ou en Israël, de chrétiens issus de familles mixtes mais également de chrétiens vivant en Israël pour diverses raisons, dont parmi eux des religieux et religieuses. Il n'est pas rare que se joignent à la messe des arabes chrétiens comme à Jérusalem ou Beer Shéva. Le dénominateur commun à tous ces chrétiens est l'hébreu, leur langue de tous les jours. Ils sont regroupés autour de quatre grands centres urbains du pays : Jérusalem, Tel Aviv, Haïfa et Beer Shéva et forment des petites communautés où la messe est célébrée régulièrement.

Ces chrétiens, pour la plupart israéliens, vivent dans un milieu culturel, politique et social bien différend de celui de leurs frères arabes et aspirent à être reconnu dans leur spécificité. Ils sont une minorité, parfois mal comprise et mal acceptée dans une Église majoritairement arabe, israélienne ou palestinienne. Aujourd'hui en Israël, il y a plus de 200 000 non juifs israéliens, la plupart immigrés des pays de l'ex-Union soviétique. Parmi eux, on dénombre de nombreux chrétiens, majoritairement orthodoxes, bien qu'il soit impossible d'avancer des chiffres précis. Pour certains d'entre eux, la communauté catholique hébraïque est plus adaptée à leur situation de vie : l'Église orthodoxe n'a pas connu la même évolution que l'Église catholique avec le concile Vatican II et son nouveau regard sur le peuple juif.

Dans l'ensemble, les Églises traditionnelles n'ont pas encore pris en considération ces nouveaux immigrants et il n'existe toujours pas de structure adéquate adaptée à ces chrétiens. En nommant un évêque, le Saint-Siège a relevé le défi : permettre la création d'une Église en Israël où les chrétiens de langue hébraïque soient pleinement reconnus pour ce qu'ils sont et non une succursale plus ou moins acceptée de l'Église arabe majoritaire ou une aumônerie pour chrétiens étrangers de passage.

Des communautés bien accueillies

En Israël, ces communautés hébraïques sont peu connues mais généralement bien accueillies. À Beer Sheva, avant qu'ils puissent s'installer dans une maison particulière, la messe était célébrée tous les dimanches pendant dix ans dans le centre communautaire de la ville. À Jérusalem, depuis maintenant deux ans, la communauté est accueillie par les franciscains qui ont mis à sa disposition une maison située en plein centre ville, à deux pas de la rue de Jaffa. Le père franciscain Pierre Baptistta, 36 ans, italien parlant parfaitement hébreu et doctorant à l'Université hébraïque, ets le responsable de la communauté. À Jaffa comme à Beer Shéva, ce sont des prêtres diocésains qui travaillent avec ces chrétiens venant de tous milieux et horizons. Les prêtres n'ont jamais manqué pour le service de ces groupes et qui ont fait le choix de vivre dans la société israélienne et de témoigner du message de l'Évangile. Yohanan Elihaï, religieux vivant en Israël depuis 1956 explique : " Nous participons à la vie du pays dans le quotidien et nous soutenons tout ce qu'il y a de positif. Ce qui ne veut pas dire tout justifier des erreurs que l'on fait fatalement dans des circonstances si délicates, après 54 ans d'état de guerre. Mais il faut comprendre de l'intérieur au lieu de juger de l'extérieur. "

Aujourd'hui en Israël, de larges pans de la société manifestent un esprit d'ouverture et d'intérêt pour le christianisme même si leur connaissance de la réalité chrétienne se réduit bien souvent à des stéréotypes, ce qui est vrai inversement en milieu chrétien pour les juifs. La visite du pape Jean-Paul II en Terre Sainte en mars 2000 est encore bien présente dans les mémoires et ce fut un tournant dans la façon dont les Israéliens appréhendent les chrétiens en général et le monde catholique en particulier.

Dans sa liturgie, la communauté hébraïque insiste sur la continuité entre l'Ancien Testament et le Nouveau. Les fêtes juives, qui sont d'abord des fêtes bibliques, sont marquées de façon particulière. Par exemple, la fête de Souccot qui n'a pas d'équivalent dans le calendrier chrétien, trouve sa place naturellement dans la liturgie.

La nomination de Mgr Gourion à la tête de cette Église hébraïque en Israël est d'ordre pastoral. Elle est aussi significative pour l'ensemble de l'Église : manifester visiblement que nos sources chrétiennes nous viennent du " premier Peuple de l'Alliance ", comme le dit la liturgie du Vendredi saint, et reconnaître que nous sommes greffés sur l'olivier franc. La synagogue n'est pas pour nous un musée que l'on va visiter éventuellement une ou deux fois dans sa vie mais un lieu où la Parole de Dieu est vivante et donc signifiante.

Mgr Gourion inaugure donc un ministère sans précédent. Sa mission est particulièrement délicate. Mission au service de l'Évangile, de la communion et de la charité à un moment où cette terre est traversée par la guerre, la souffrance mais où s'allument aussi de nombreuses lueurs d'espérance.

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