Source [Boulevard Voltaire] C’est le site de BFM TV qui a éventé la possible réforme : « Taxi, VTC, moto-taxis : faut-il encore exiger que les chauffeurs parlent bien français ? » Le gouvernement se pose la question et la pose donc aussi dans un questionnaire envoyé aux organismes professionnels. Pour le moment, l’accession à ce métier n’est pas seulement conditionnée à la détention d’un permis de conduire mais aussi à l’obtention d’un examen mis sur pied par la Chambre des métiers et de l’artisanat, testant notamment le français. Mais Bercy s’interroge : « La maîtrise de la langue n’est-elle pas attestée par la compréhension des questions des autres épreuves ainsi que par l’épreuve pratique ? »
Tous ceux qui empruntent de temps à autre ce mode de locomotion le savent bien : si épreuve de français il y a, elle ne comporte visiblement pas de commentaire composé de Madame de Sévigné. Sans doute il arrive de converser agréablement avec des conducteurs étonnamment cultivés – qui pourraient en remontrer en bon sens et en franc-parler à bien des Français, peut-être parce que leur origine leur permet de se dispenser des circonlocutions gênées du politiquement correct. Certes, depuis les Russes blancs, on sait que ce métier a été embrassé, faute de mieux, par plus d’un homme fin lettré qui se pensait promis à un destin plus glorieux… mais la réalité est que nombre de chauffeurs ont un français très sommaire et, par des signes, vous demandent d’inscrire vous-même votre adresse sur le GPS qu’ils vous tendent, l’orthographe de « Verdun » leur étant inconnue – la bataille du même nom n’était pas inscrite à leur programme scolaire -, celle de « Saint-Denis » tout autant – le sanctoral ne leur est pas familier. Même des mots très ordinaires comme « enfant » ou « oiseau » sont étrangers à leur vocabulaire…
La logique de Bercy selon laquelle la compréhension des autres épreuves permettrait, par déduction, de juger d’un niveau de français peut, en tirant le fil, nous mener assez loin… Est-il utile de conserver cette matière à l’école si les enfants comprennent grosso modo la consigne de l’exercice de maths et les questions de la maîtresse : « Qui déjeune à la cantine ? » Finalement, a-t-on besoin de s’embarrasser d’un autre vocabulaire moins utilitaire ? À quoi servent les pudeurs de la Princesse de Clèves – Nicolas, es-tu là ? – et les aigreurs du Père Goriot dans le boulot, pour prendre le métro ou payer ses impôts ?
On pourrait, bien sûr, énumérer mille raisons impérieuses et évidentes pour maintenir cet examen, l’une étant que le VTC est souvent la première vitrine de la France pour le touriste au saut de l’avion, une autre que l’usage de la langue française par les populations allochtones arrivant chez nous ne se porte pas si bien que l’on puisse s’offrir le luxe de supprimer un apprentissage, à quelque échelon qu’il se trouve.
Mais certains poussent la roue : comme le rapporte toujours BFM TV, en août dernier, Yves Weisselberger, patron de SnapCar, accusait l’examen par trop difficile de provoquer une « pénurie de 5.000 à 10.000 chauffeurs ». De même, « Uber estime que le test instauré par la loi Grandguillaume constitue une “barrière sérieuse” en rappelant qu’en 2018 le taux d’admission n’était que de 35 % ».
Vous l’avez compris, cette satanée épreuve est un obstacle au développement du marché, elle empêche de mettre au turbin le migrant fraîchement débarqué – si facile à sous-payer – aussitôt qu’on le voudrait. Car les chauffeurs qui pratiquent notre langue ne se font pas prier pour expliquer de quelle façon ces plates-formes tirent les coûts à la baisse et exploitent jusqu’à l’os ceux qu’ils font travailler. C’est peut-être pour cela, au fait, que celles-ci préféreraient qu’ils restent muets.
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