Le 5 décembre dernier, le Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R), en collaboration avec Richard Labévière et Roxana Cristea, et avec le soutien du professeur Andrès Davila-Valdiviezo (ESCE), a organisé un colloque consacré à la lutte contre le financement du terrorisme, réunissant une dizaine d’intervenants de haut niveau, issus des milieux juridiques et financiers, du monde du renseignement et de la diplomatie.
1. L’ÉCONOMIE DU TERRORISME LE FAIBLE COÛT DES ACTES TERRORISTES
L’action terroriste est une action d’économie qui vise à obtenir un maximum de résultats avec un minimum de moyens. Tous les intervenants ont insisté sur le fait que le financement du passage à l’acte terroriste lui-même n’est pas très oné- reux. Les attentats du 11 septembre 2001 ont coûté, selon les sources, de 175000 à 343000 dollars ; ceux de Madrid, Londres, Manchester, Bruxelles, Stockholm ou Paris, quelques milliers d’euros ! Ne parlons pas des attaques à la hache, au couteau et à la voiture bélier ! En revanche, ainsi que l’a expliqué Alain Chouet, les financements en amont - recrutement et formation des opérateurs, logistique - sont nettement plus élevés, de même que les financements en aval, lorsqu’il s’agit de prendre en charge les familles des kamikazes ou de payer les opérations de chirurgie plastique des survivants qui doivent changer d’identité et de vie. En effet, ce qui coûte cher dans la violence politique à grande échelle – contrairement à la violence criminelle crapuleuse – c’est la mise en condition des exécutants pour participer à une opération dont ils ne seront pas directement bénéficiaires, surtout s’il s’agit d’une action kamikaze.
Cette mise en condition demande des moyens importants et du temps, la location de locaux, la mise en condition sectaire, le développement de réseaux d’influence et de médias de propagande, l’assistance technique militaire pour les mouvements violents les plus structurés, la prise en charge des exécutants et de leur famille, etc
Les organisations terroristes ont donc toujours besoin de ressources. Elles se caractérisent ainsi par une créativité constante pour subvenir à leurs besoins. Comme l’a rappelé Richard Labévière, la « décennie sanglante » algérienne des années 90 a constitué le laboratoire du terrorisme en matière de financement. Jusqu’à présent, l’on distinguait trois types de financement : - financement par le haut (les banques) ; - financement par le bas (prélèvement de la zakat, flux en provenance de hawala et d’ONG etc.) ; - financement lié à la petite délinquance. Mais, l’apparition de Daech a constitué un changement de paradigme, dans la mesure où, en se dotant d’un proto-État, les membres de l’État islamique ont procédé à des trafics de pétrole grâce à la connivence de services étrangers, à l’institutionnalisation d’un impôt islamique et à l’investissement dans l’économie locale, en Irak et en Syrie. Agissant à la manière d’un État mafieux, ces terroristes ont su exploiter le tissu productif local pour renforcer leur emprise sur ces territoires et tisser des liens subversifs entre crime organisé et économie locale.
Marie-Christine Dupuis-Danon a expliqué comment l’État islamique a été capable d’opérer une prédation de grande ampleur sur les territoires sous son contrôle. Ses ressources proviennent à la fois de son butin de guerre (tout ce qui a pu être saisi au moment de la prise de contrôle du territoire) et de prédations continues (mainmise sur les ressources du sous-sol - notamment le pétrole -, impôts et taxes prélevés sur l’économie et sur les populations, contrebande et trafics en tous genres, etc.). En 2015, Daech a même émis sa propre monnaie, en vigueur dans l’est de la Syrie. Il en a ensuite imposé l’usage, contraignant les populations à convertir leurs devises - livres syriennes et surtout dollars - pour s’acquitter des taxes, amendes et autres impôts. Au final, l’État islamique a récupéré des devises convertibles qu’il lui a été possible de transférer à l’extérieur, via la hawala ou des transports clandestins d’espèces transitant essentiellement par la Turquie. C’est très peu sophistiqué mais très efficace. À mesure que l’État islamique a perdu le contrôle de ses puits de pétrole, il a vu ses ressources chuter drastiquement mais, malgré sa débâcle militaire, l’organisation a investi dans l’économie légale - hôtels, distributeurs alimentaires, petites sociétés pharmaceutiques, hôpitaux, bureaux de change, etc. - essentiellement en Irak. On connaît la maîtrise et l’habileté de Daech en matière de contrôle des réseaux sociaux et de diffusion de la propagande. Il y a fort à parier qu’il utilise dorénavant le cybercrime à des fins de financement du terrorisme.
Pour les intervenants, en choisissant des implantations dans des régions où les États sont faibles et parfois faillis, les organisations terroristes maximisent leurs chances de tirer du soussol, des populations, de l’économie, du commerce et des trafics, des ressources financières stratégiques à leur survie, voire à leur expansion. C’est bien sûr le cas du Sahel, zone stratégique pour l’Europe et pour la France. Le business des rançons a permis aux groupes djihadistes locaux de se constituer un trésor de guerre.
On observe ainsi une criminalisation croissante des organisations terroristes. Alain Chouet a rappelé que l’étude du terrorisme depuis le début du XIXème siècle montre en effet que tout mouvement de violence politique qui ne parvient pas rapidement à ses fins a tendance à mettre sa technicité au service de l’enrichissement personnel de ses chefs et de ses membres. C’est ainsi que les mouvances ultra-gauchistes violentes des années 70 ont finalement sombré dans la criminalité de droit commun et les attaques de banques opportunément désignées comme « appropriation prolétarienne du capital ».
De même, c’est parce que son combat idéologique s’épuisait et que les financements extérieurs commençaient à lui faire défaut à partir de l’été 2013 qu’Al-Qaïda en Irak, fondé en 2003 par Abou Moussaab Al-Zarqawi, s’est transformé en État islamique dont la naissance a été marquée par l’attaque de la Banque centrale de Mossoul où les djihadistes ont raflé 500 millions de dollars. Ils permettront à Abou Bakr al-Baghdadi d’acheter des chefs de villages et de tribus dans le nord de l’Irak et le nord-est de la Syrie, s’assurant ainsi un contrôle territorial dont son organisation tirera un maximum de rentes.
De même, la violence revendiquée sous forme politique ne vise qu’à donner une façade « respectable » ou un alibi idéologique à des groupes mafieux ou crapuleux. C’est le cas d’Al-Qaï- da au Maghreb islamique (AQMI) au Sahel et de nombreuses mouvances gangstéro-djihadistes du Maghreb, de la Corne de l’Afrique, d’Afrique centrale et du Sud-Est asiatique. Tous ces groupes terroristes fonctionnent sur le même modèle économique, s’autofinançant par des actions criminelles relevant du droit commun. En Occident, nous sommes confrontés à un terrorisme hybride œuvre de délinquants se livrant à des actions violentes à finalité politique. Ils disposent en général de leurs propres circuits de financement grâce à des activités de petite criminalité classique, quand ils ne passent pas tout simplement à la banque pour souscrire un micro-emprunt en vue de l’achat de leurs armes ou explosifs.
2. DIFFICULTÉS ET LIMITES DE LA LUTTE CONTRE LE FINANCEMENT DU TERRORISME DES FONDS DIFFICILEMENT DÉTECTABLES
Ainsi, l’action terroriste violente en elle-même ne coûte pas cher et met en œuvre des modèles de financement si modestes qu’ils sont quasi indétectables au sein des flux financiers illégaux ou dans les mouvements monétaires courants. En effet, l’interpénétration des capitaux légaux et illégaux dans un système financier globalisé profite à la fois aux criminels de droit commun, aux États voyous et aux riches donateurs privés. Ils échappent donc aux capacités de surveillance et de contrôle des services de renseignement. Marie-Christine Dupuis-Danon a rappelé la difficile traçabilité des flux financiers, véritable défi des enquêtes criminelles. On a depuis longtemps abandonné l’idée de remonter la piste financière jusqu’aux têtes de réseaux afin de les capturer ; cependant la possibilité de disposer d’éléments financiers et de pouvoir les utiliser en renseignement et judiciaire constitue un enjeu très important.
Mais la principale difficulté de la lutte contre le financement du terrorisme est le manque de consensus autour de la définition du terrorisme. Personne ne conteste le fait que le trafic de drogue ou le recel et la vente d’objets volés sont des activités criminelles. Il n’existe pas un tel consensus en matière de violence politique, laquelle est souvent perçue ou présentée comme une forme de résistance à l’oppression. Par exemple, dans les années 80, dans le cadre de la lutte contre les Soviétiques, Ronald Reagan qualifiait les fondateurs d’Al-Qaïda de « combattants de la liberté », et au nom de la lutte contre Bachar el-Assad, plusieurs gouvernements occidentaux ont vu dans les terroristes syriens, des « opposants modérés » avec lesquels il était possible de traiter. La notion d’ « Axe du mal » élaborée par George Bush, exonérant l’Arabie saoudite de toute responsabilité dans les attentats du 11 septembre 2001, relève de cette même logique. Majed Nehmé a fait également remarquer que la devise néo-conservatrice américaine Money, Market, Mobility qui a servi la politique de Catherine Ashton, en faisant de l’islam politique un potentiel vecteur de la démocratie dans les pays arabes, a amené les Américains à se compromettre avec les islamistes au nom d’intérêts géostratégiques et économiques au Moyen-Orient.
LE MANQUE DE VOLONTÉ POLITIQUE DES ÉTATS LE RÔLE DES ORGANISATIONS MULTILATÉRALES
En la matière, c’est bien la volonté des États à mettre en œuvre des moyens efficaces pour lutter contre l’optimisation fiscale, ainsi que contre l’accroissement des flux financiers à des fins politiques et terroristes, qui est en jeu. Ainsi que l’indique Francis Piccand, bien que la Suisse soit active au sein du Groupe d’action financière internationale (GAFI) et ait ratifié la Convention internationale de l’ONU destinée à lutter contre le financement du terrorisme, la lenteur de ses actions est un frein à l’effectivité de ces mesures. Le premier rapport relatif au blanchiment d’argent et à la lutte antiterroriste que le pays ait rédigé, ne date que de juin 2015, alors même que la criminalité financière opérée dans ses banques place la Suisse en zone grise. Ainsi, la volonté politique des États afin de tarir le financement du terrorisme est essentielle. Pourtant, peu de choses ont été faites selon Alain Chouet : entre des places financières qui rechignent globalement à la lutte contre les finances criminelles, une administration américaine qui ne retient comme soutiens du terrorisme que l’Iran, la Corée du Nord et le Soudan, ou des autorités françaises qui en sont réduites à décorer des princes wahhabites tout en incriminant au chef de « financement du terrorisme » une mère de famille désemparée par la radicalisation de sa fille et deux sous-fifres du cimentier Lafarge. Certes, il aurait sans doute été plus vertueux pour cette entreprise de refuser le chantage terroriste et de plier bagage. Mais que dire alors des millions d’euros payés par les gouvernements français successifs et de tous bords pour obtenir la libération d’otages et dont les islamo-gangsters ont largement profité ? À cela s’ajoute le manque de volonté des États d’enrayer le système de la hawala dont dépendent de nombreux citoyens pauvres du monde musulman qui n’ont pas accès à un compte en banque. Bien que Daech ait régulièrement recours à la hawala dans le cadre de transferts de fonds destinés à des actions terroristes, tenter d’enrayer ce système de paiement fiduciaire reviendrait à placer ces « banquiers informels » dans la clandestinité et à mettre les populations dont la survie en dépend dans une situation de détresse économique. Ainsi, conscient de notre incapacité à lutter contre l’économie souterraine et à élaborer une stratégie internationale de lutte contre le terrorisme à travers une définition claire de ce qu’est l’ennemi, Daech est parvenu à prospérer. Par manque de volonté et de moyens, les multiples initiatives nationales, régionales et multilatérales n’ont jamais dépassé le stade de campagnes de communication sans lendemain.
Sur le plan international, Marie-Christine Dupuis-Danon a rappelé le rôle majeur que joue l’ONU dans le cadre de la lutte contre le financement du terrorisme. D’abord via la Convention de 1999 pour la répression du financement du terrorisme ; puis par la mise en place d’une coopération internationale ; le gel des avoirs d’individus en lien avec le terrorisme ; l’extension de la détection du blanchiment d’argent aux capitaux douteux ; l’accroissement des procédures relevant de la déclaration de soupçon et de la mise en conformité ; etc. Il convient également de rappeler le rôle du GAFI, organisme interministériel créé en 1989 et les Recommandations spéciales qu’il a édictées après le 11 septembre 2001. Néanmoins, les actions de l’ONU et du GAFI se heurtent à la fois à la difficulté de cibler les réels bénéficiaires des avoirs et à la multiplication des cabinets d’avocats employés dans le cadre de l’optimisation fiscale. Selon Richard Labévière, depuis les résolutions 1373 (2001) et 1624 (2005) du Conseil de sécurité des Nations unies, les techniques de financement du terrorisme n’ont cessé de se reconfigurer et la création du Comité contre le terrorisme de l’ONU n’a pu atteindre les objectifs escomptés. En outre, comme le rappelle Hervé Juvin, la lutte contre le financement du terrorisme au sein des banques est un sujet relativement récent car ce n’est que dans les années 2000, que des Compliance Officers ont vu le jour dans des établissements bancaires. Plusieurs obstacles majeurs grèvent l’effectivité de la Compliance. En effet, tandis que la mise en place de directions de conformité nécessite du temps et est donc très lente, l’institutionnalisation de celles-ci ôte aux dirigeants toute responsabilité en matière de blanchiment d’argent, ce qui est problématique.
Pour Alain Chouet, d’un point de vue technique, la lutte contre le financement du terrorisme n’a jamais véritablement été mise en œuvre car elle se heurte à un obstacle juridique et politique dont les sponsors de la violence salafiste profitent largement. En effet, en raison du caractère dual de ce type de financement, dans des pays libres et démocratiques, il paraît difficile de criminaliser le fait de financer un lieu de culte, des ministres du culte, un club culturel ou sportif, une école religieuse, de la littérature ou des sites internet « engagés », etc. Et le droit anglo-saxon va même plus loin en matière d’incrimination puisqu’il exige la double preuve que des fonds ont été transférés à une structure violente (ce qui est en général assez facile). Mais aussi et surtout, que le donateur avait la connaissance et l’intention que ces fonds servent à une action violente (ce qui l’est moins).
3. LA RÉACTION FRANÇAISE LES SERVICES DE RENSEIGNEMENT FRANÇAIS ET LA LUTTE CONTRE LES MICRO-FINANCEMENTS
Comme l’explique Bernard Squarcini, les services français ont mal appréhendé le basculement de la délinquance vers le terrorisme et l’utilisation de micro-financements destinés à perpé- trer des attentats de grande ampleur, comme ce fut le cas lors du 11 septembre 2001. Selon l’ancien directeur de la DCRI, les services n’ont pas su voir que, dès les années 95, le Hamas, le Hezbollah, ainsi que des personnalités telles qu’Omar Abdel Rahman, Mokhtar Belmokhtar ou Khaled Kelkal, avant de devenir les terroristes que l’on sait, étaient avant tout des trafiquants et se finançaient grâce à des trafics en tous genres (cigarettes, contrefaçons, etc.). Le faible coût des campagnes d’attentats de ces années-là, en témoigne. Peu à peu, prenant conscience du lien existant entre les ré- seaux de criminalité de droit commun et l’économie souterraine, pouvoirs publics et services ont pris différentes mesures parmi lesquelles : - la mise sur pied de structures régionales à travers la création de pôles de lutte contre l’islam radical en coordination avec le préfet et le magistrat ; - la mise en place d’un travail de terrain destiné à empêcher les petits achats d’armes ; - les entraves faux départs de recrues vers l’Afghanistan. Cependant, l’économie souterraine rendue possible par la hawala, l’accroissement du nombre de convertis et la pratique répandue de la taqiya (dissimulation) n’a pas toujours permis à la DCRI, puis à la DGSI, de détecter les signaux faibles annonciateurs d’un prochain passage à l’action violente. Toutefois, ainsi que l’a rappelé Bernard Squarcini, les services de sécurité intérieure français sont parvenus à empêcher en moyenne deux attentats par an depuis 2001. De même, selon lui, plusieurs pistes sont à explorer afin d’amé- liorer l’efficacité de la lutte contre le financement du terrorisme : - mettre en place un Parquet antiterroriste européen ; - uniformiser la lutte antiterroriste au sein des services et entre TRACFIN et la DNRED notamment ; - augmenter le nombre d’experts au sein des services et renforcer le poids des juridictions interrégionales spécialisées ; - renforcer le contrôle sur internet en collaboration avec les services spécialisés ; - uniformiser les sanctions sur le territoire et les rendre effectives ; - renforcer les contrôles et sanctions aux niveaux des frontières et des pays frontaliers ; - et enfin, instaurer la conformité bancaire dans toutes les entreprises afin d’accroître la charge de la preuve qui sera alors utilisée par les magistrats en cas de besoin.
Mais le principal enjeu concerne les normes juridiques françaises en matière de lutte contre le financement du terrorisme. Comme l’a expliqué Michel Debacq, le financement du terrorisme est une infraction au niveau national et plusieurs articles du Code pénal français lui sont consacrés : - quatre des sept points de l’article 421-1 : 2° (visant une partie conséquente des infractions contre les biens), 5° (recels), 6° (blanchiments) et 7° (délits d’initié - articles L. 465-1 à L. 465-3, ceux-ci relevant du code monétaire et financier, pas du Code pénal), - ils sont en synergie avec les dispositions de l’article 421-2- 1 relatives à l’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste (AMT), - et surtout avec l’infraction spéciale de financement terroriste prévue à l’article 421-2-2. - à cela s’ajoute un délit spécifique de non-justification de ressources (article 422-2-3) et le Code pénal statue également sur l’extraterritorialité (article 113-13), permettant des poursuites judiciaires lorsqu’un Français commet un délit à l’étranger ou lorsqu’un étranger commet un délit en France. Ainsi, tous les objectifs normatifs de la Convention de New York et des neuf recommandations du GAFI sont remplis. De même, il existe une vaste échelle de peines (correctionnelles : jusqu’à dix années d’emprisonnement ; criminelles jusqu’à trente années de réclusion par l’articulation financement terroriste/organisation d’une AMT). Mais, pour quelle effectivité ? Malgré ce dispositif pénal très complet, Michel Debacq considère qu’elle est très réduite ; il y a peu de décisions judiciaires de coercition véritable. Il déplore le manque d’effectivité de ces mesures, d’autant qu’à la lenteur des procédures, s’ajoute un manque de simplification et de rationalisation des modes de poursuite. Selon lui, il faudrait augmenter le nombre d’enquêtes de flagrance ainsi que celui des comparutions immédiates devant les tribunaux afin de désengorger la justice et aller plus vite. Il réaffirme également la nécessité de trouver une articulation efficace entre le recueil du renseignement et de son exploitation répressive : c’est tout l’enjeu de la « judiciarisation », car en contre-terrorisme, savoir sans réprimer n’a pas de sens. Le pré- alable en matière de financement du terrorisme est la connaissance totale et précise, par le ministère public, des données en possession de la communauté du renseignement. Michel Debacq plaide pour la création d’un parquet national antiterroriste, spécialisé et autonome, embrassant ce sujet spécifique et le renforcement des effectifs dédiés à cette mission.
4. QUELQUES PISTES DE RÉFLEXION
Au final, on est en droit de se demander si la lutte contre le financement du terrorisme est une « tarte à la crème », une né- cessité indispensable ou une mission impossible ? Francis Piccand affirme que la lutte contre le financement du terrorisme est un enjeu de taille qui nécessite d’aborder le terrorisme, non pas à travers une approche culturaliste floue, mais à travers un prisme politique et juridique jugé seul à même de mettre les États face à leurs responsabilités. Pour Marie-Christine Dupuis-Danon, bien prétentieux qui pré- tendrait détenir la solution. Mais il lui semble que nous devons éviter de tomber dans la facilité qui consiste à faire toujours plus de la même chose. Elle préconise notamment la mise en place de mesures de lutte contre l’économie informelle : - en encourageant les États à lutter contre la hawala en élaborant un système bancaire fiable ; - en harmonisant les normes fiscales et bancaires, ainsi que les plateformes financières afin de mettre un terme au financement offshore ; - en encourageant davantage de pays à signer la Convention de 1999 de l’ONU ; - en légiférant au sujet du secret régnant au sein des systèmes bancaire et financier. Il lui semble également que lorsqu’il y a menace d’emprise d’une organisation terroriste sur un territoire, des aides économiques massives et concertées seraient sans doute plus efficaces que des sanctions pour développer des activités économiques et réduire l’attractivité de l’offre alternative des criminels et terroristes locaux. Cela devrait s’accompagner d’une identification et d’une inculpation sans faille des facilitateurs financiers et autres individus nuisibles, voire d’éventuelles actions militaires décidées dans un cadre multilatéral. Abondant en ce sens, Alain Chouet considère que deux responsabilités devraient être au cœur de nos politiques publiques : d’une part, sur notre territoire, lutter contre les petits trafics, les « zones grises » et tout ce qui permet de créer un biotope favorable aux individus ayant des intentions criminelles. D’autre part, proposer des modèles plus attractifs que les projets morbides et violents des islamistes. Rappelons que le président de la République a fait de la lutte contre le financement du terrorisme une priorité. Le 28 août dernier, lors de la Conférence des ambassadeurs, il a annoncé la tenue à Paris d’une conférence internationale dédiée à cette question. Sans doute doit-on s’attendre à une initiative française en 2018, en espérant qu’il ne s’agisse pas d’une opé- ration de communication de plus. Mais, dans tous les cas, il va falloir innover parce que nous touchons aujourd’hui aux limites de l’efficacité de notre action.