C'est fait. Le Vietnam, toujours communiste, vient d'adhérer à l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Cela ne suffit pas à en faire un pays libéral, mais c'est un tournant indiscutable vers le libre échange et le pays a dû prendre un certain nombre d'engagements, pour se transformer en économie de marché.
Le Vietnam devient ainsi le cent-cinquantième membre de l'OMC et, outre sa situation paradoxale de pays marxiste à économie de marché, ce pays attire l'attention par son importance (84 millions d'habitants), ses liens historiques avec la France et les guerres qui ont marqué son histoire, la nôtre et celle du monde libre.
Le 150e membre de l'OMC
Ce n'est pas une adhésion comme une autre. D'abord parce que le Vietnam est le cent-cinquantième pays adhérent à l'OMC, chiffre qui mérite d'être noté et marque une nouvelle étape dans la mondialisation. Non que l'OMC soit une officine libérale — elle a tous les défauts des bureaucraties internationales — mais elle a toujours défendu clairement le libre-échange, à la suite du GATT et c'est dans le cadre de ces deux organismes qu'ont été négociées les grandes disparitions des droits de douane et des contingentements dans le monde.
Cette adhésion mérite aussi d'être notée parce que, sur le plan politique, le pays, comme la Chine, avec lequel il a bien des points communs, reste un pays marxiste avec le Parti communiste comme parti unique, une absence de libertés civiles et une persécution religieuse. Et d'autres pays, qui sont, officiellement du moins, plus démocratiques, comme le Russie de Poutine, attendent toujours sur le seuil de la porte. Enfin, 84 millions d'habitants, ce n'est pas rien et la situation géographique du Vietnam, en Asie, dans la région la plus dynamique du monde sur le plan économique, mérite d'être notée.
Il y a vingt ans maintenant que le Vietnam prépare son adhésion, à l'époque au GATT, aujourd'hui à l'OMC. Il y a vingt ans qu'a commencé une lente transition vers l'économie de marché, une sorte de perestroïka, appelée là-bas Doi Moi. C'est ainsi que les privatisations d'entreprises et les créations directes d'entreprises privées se sont multipliées, atteignant désormais 60% du PIB. Certes, cela veut encore dire 40% du PIB dans des entreprises publiques, ce qui est énorme, mais faut-il rappeler qu'après 1981 en France 33% du secteur industriel avait été nationalisé : on n'était pas très loin des 40% !
8,4% de croissance
La libéralisation progressive de l'économie a permis depuis dix ans d'avoir un taux de croissance du PIB de 7,5%, et même de 8,4% en 2005 : on se situe entre l'Inde et la Chine quant à la rapidité de la croissance. Mais l'adhésion à l'OMC (qui représente un document de 200 pages) comporte des engagements beaucoup plus profonds, qui ont été négociés ligne à ligne. Il y est question de la poursuite de la privatisation des entreprises et d'abolir le contrôle des prix (faut-il avoir la cruauté de rappeler qu'il n'a été aboli en France qu'en 1986 ?).
La question de la propriété est également sensible, en particulier pour la propriété industrielle, qui sera désormais protégée. De tout cela, Truong Dihn Tuyen, ministre du Commerce, en attend un véritable coup de fouet économique. C'est un vrai défi pour les entreprises publiques, habituées jusque-là au rythme tranquille de la planification, qui favorisait comme toujours le sommeil des entreprises. Le vice-premier ministre Nguyen Sing Hung a déclaré que si ces entreprises [publiques] ne se réforment pas rapidement, elles connaîtront des difficultés importantes.
Mais elles seront obligées de se transformer sous l'aiguillon de la concurrence : La potion de la concurrence étrangère va être dure à avaler pour les firmes vietnamiennes, mais elle les aidera à se renforcer. Mais surtout, il a admis — ce qui constitue une rupture totale dans la politique menée jusque là — que dans la concurrence, des entreprises et des produits vont échouer. Il y aura donc des disparitions d'entreprises.
La dynamique des exportations
Car la rupture la plus importante, symbolisée par cette adhésion à l'OMC, c'est l'acceptation du libre-échange : le pays a dû baisser drastiquement ses droits de douane, et a éliminé les barrières dans l'agriculture, les produits industriels, les services ; il s'agit aussi de libéraliser le climat des affaires et ouvrir le jeu de la concurrence. Les investissements seront également libérés. Les pays voisins craignent qu'une partie des financements ne les quitte pour aller au Vietnam, en raison du potentiel de croissance. Le pays devient une destination sûre pour les investissements, qui se comptent déjà en milliards de dollars et ont été multipliés par trois en cinq ans. Quant aux exportations, elles ont progressé de 28,7% en 2004 et de 30,1% en 2005 et cela va s'amplifier. Elles devraient tripler en cinq ans.
Une nouvelle fois, ce sont les échanges internationaux qui vont permettre le décollage d'un pays jusque longtemps ruiné par la planification, mais aussi par son isolement. La formule suivant laquelle le commerce est la meilleure forme d'aide au développement se confirme à nouveau. Car l'ouverture des frontières non seulement donne de formidables opportunités d'exportations, mais surtout oblige toutes les entreprises nationales, sous l'effet de la concurrence, à s‘adapter sans cesse et à jouer le jeu du marché. On ne peut plus tricher dans une économie ouverte.
Et pourtant, on ne peut s'empêcher, comme dans le cas de la Chine, de se poser des questions. Le parti unique est toujours là. L'absence de liberté se fait sentir. Comment choisir librement des produits si l'on ne peut librement communiquer ou se déplacer ? Comment même faire coexister la libre publicité avec l'absence de liberté des médias ? Et comment ne pas sentir la contradiction entre le choix de la liberté économique et les dogmes toujours présents du marxisme, dans l'enseignement ou la politique ?
Il viendra sans doute un moment où il faudra trancher. Parions sur la dynamique des libertés, qui, du domaine économique, devrait gagner peu à peu la politique. Mais l'histoire du communisme nous apprend à rester prudents. Le parti ne se laisse pas facilement dissoudre.
*Jean-Yves Naudet est professeur à l'université Paul-Cézanne (Aix-Marseille III), président de l'Association des économistes catholiques.
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