C’est une première en matière de droit de la bioéthique et de protection de l’embryon. Le 10 mai 2012, la cour administrative d’appel de Paris a annulé, à la demande de la Fondation Jérôme Lejeune, une autorisation de recherche sur les cellules souches embryonnaires délivrée par l’Agence de la biomédecine [1]. Assurément une belle victoire. Pourtant, les menaces à venir sont très inquiétantes.
La Fondation Jérôme Lejeune est aujourd’hui récompensée de l’expertise vigilante qu’elle n’a cessé d’exercer ces dernières années pour défendre l’être humain dans ses premiers jours. La cour administrative d’appel (CAA) de Paris vient en effet de lui donner raison en annulant une autorisation de recherche sur des cellules embryonnaires (CSEh) délivrée le 20 juin 2008 par l’Agence de la biomédecine (ABM).
Le régime en vigueur en 2008 était celui régi par la loi de bioéthique de 2004 interdisant la recherche sur les embryons conçus in vitro ainsi que sur les cellules souches issues de leur destruction. Ce n’est que par dérogation au principe d’interdiction que ces recherches avaient été autorisées, et ce à la double condition d’être « susceptibles de permettre des progrès thérapeutiques majeurs » et de ne pas pouvoir être poursuivies par une « méthode d’efficacité comparable en l’état des connaissances scientifiques » (article L. 2151-5 du Code de la santé publique).
Le protocole de recherche autorisé par l’Agence de la biomédecine avait pour objectif la « modélisation de la dystrophie musculaire facio-scapulo-humérale par utilisation de CSEh porteuses de la mutation », selon l’intitulé officiel du rapport de l’ABM de 2009 (p. 81). Pour mener à bien leur projet, les scientifiques souhaitaient travailler sur des lignées de cellules souches dérivées à partir d’embryons repérés par diagnostic préimplantatoire et présentant la mutation du gène à l’origine de cette myopathie.
L’Agence de la biomédecine a été incapable de justifier sur le fond son autorisation au regard des deux conditions dérogatoires prévues par la loi. Le programme de recherche en question ne s’inscrivait manifestement pas dans une perspective de progrès thérapeutique puisque la modélisation d’une pathologie génétique intéresse essentiellement la recherche de type fondamental. Selon la Fondation Jérôme Lejeune, les deux experts nommés par l’ABM n’ont d’ailleurs pas su se mettre d’accord sur l’existence du but thérapeutique concret attendu de ce protocole.
Mais surtout, la Fondation Jérôme Lejeune a apporté la preuve scientifique irréfutable que cette recherche pouvait être conduite par une « méthode d’efficacité comparable » sans qu’il n’y ait nul besoin de détruire un embryon. En effet, l’objectif de modélisation, en soi parfaitement légitime sur le plan de la démarche scientifique pour étudier les mécanismes moléculaires en jeu dans une pathologie génétique, aurait pu être atteint avec des cellules souches reprogrammées dites iPS. Et cela, tous les experts le savaient en 2008. Découvertes en 2006, les cellules iPS ont en effet trouvé très rapidement leur première application comme outils de modélisation des maladies humaines les plus diverses. Après prélèvement de banales cellules de peau chez des malades adultes atteints de la pathologie étudiée, les chercheurs ont montré qu’ils étaient capables de les reprogrammer en cellules souches puis de les dériver en cellules exprimant les mêmes dysfonctionnements que la pathologie en cause, par exemple en cellules musculaires dans le cas d’une myopathie génétique telle que la dystrophie facio-scapulo-humérale.
Le tribunal administratif de Paris a donc conclu à l’illégalité de la décision de l’ABM d’accorder son autorisation au protocole en question, et l’a donc annulée. Le jugement est d’autant plus intéressant que les juges ont fondé leur verdict sur des arguments juridiques bien sûr, mais également scientifiques : « Considérant […] [que] les recherches […] pouvaient également être poursuivies en utilisant, à partir de cellules d’épidermes prélevées sur des patients porteurs de la pathologie, des cellules souches adultes reprogrammées (iPS) présentant les mêmes caractéristiques en termes de morphologie, prolifération et pluripotence que les cellules souches embryonnaires humaines(CSEh). […] Que par suite […] la décision attaquée est intervenue en méconnaissance de l’article L2151-5 du Code de la santé publique ».
Cette affaire pose selon nous la question de l’influence de l’information scientifique sur les choix politiques en matière de bioéthique. Dans un précédent avis, le Comité consultatif national d’éthique avait rappelé qu’ « une information plurielle et critique sur les questions scientifiques [est] au cœur de la révision de la loi de bioéthique » et que « la fiabilité et la loyauté de ces informations scientifiques deviennent de réels enjeux sociaux [2]». Comme nous l’avons plusieurs fois évoqué dans ces colonnes, il serait judicieux qu’un comité indépendant de scientifiques et de chercheurs fasse état des études, travaux, résultats obtenus dans le domaine de la recherche sur les cellules souches non embryonnaires afin de rétablir une vérité bien souvent occultée dans ce domaine si propice aux manipulations idéologiques.
Cet arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris soulève encore la question de l’obstination idéologique du nouveau chef de l’Etat qui souhaite réduire l’embryon humain à un vulgaire matériau d’expérimentation, bafouant non seulement nos principes bioéthiques mais faisant également fi de l’état de nos connaissances scientifiques. En effet, depuis que François Hollande s’est engagé lors de la campagne présidentielle à autoriser la recherche sur les cellules souches embryonnaires en supprimant l’interdit de principe, le danger qui plane sur le respect de la vie humaine n’a jamais été aussi grand. Or, il n’a jamais été aussi incohérent de promouvoir la recherche sur les cellules embryonnaires pour un objectif qui peut être atteint, plus efficacement, par d’autres voies. Il n’y a jamais eu aussi peu d’arguments scientifiques – il n’y en a d’ailleurs jamais eu sur le plan éthique, la protection de l’embryon humain étant un principe non négociable dans une société digne de ce nom attentive à défendre les plus vulnérables – pour déroger au respect légal de la vie de l’être humain à peine conçu.
Très inquiet, le président de la Fondation Jérôme Lejeune dénonce d’ores et déjà dans le projet socialiste une « inversion totale de notre système de valeurs. Les atteintes au respect de l’être humain – qui devaient rester exceptionnelles d’après les lois de bioéthique de 2004 et 2011 – deviendront la règle ! Ce sera la première fois que la loi française ne reconnaîtra plus la primauté du respect de l’être humain. Même l’avortement n’est qu’une exception au respect de la vie commençante. Contrairement à ce qu’on imagine, il n’est autorisé que par dérogation au principe reconnu par la loi française du respect de l’être humain dès le commencement de sa vie. Accepter l’autorisation de la recherche sur l’embryon humain par principe aura donc des conséquences incalculables parce que cette décision fera sauter le dernier verrou. Pour la première fois, la protection de l’être humain deviendra une exception à la règle nouvelle de sa non-protection ! [3]».
Photo : Une colonie de la lignée de cellules souches embryonnaires humaine HD90 dérivée au CHRU de Montpellier © Wikimedia Commons / Lbcs.irb.montpellier
[1] « Respect de l’embryon humain : une victoire juridique mais un avenir qui interroge », Lettre Genethique été 2012.
[2] Comité consultatif national d’éthique, « Questionnement pour les Etats généraux de la bioéthique », Avis n. 105, 9 octobre 2008, p. 2.
[3] Jean-Marie Le Méné, « Embryon, mon amour, ta vie est en danger », juillet 2012. « Embryon, mon amour » est le récit du procès de Maryville (USA) au cours duquel Jérôme Lejeune avait été appelé par la défense pour témoigner comme généticien et exposer le fait que l’embryon est un être humain dès sa conception.
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