Il est des décisions apparemment anodines qui représentent un grave danger pour la paix.
Il en est ainsi de l'indépendance du Kosovo souhaitée par le président Bush et plusieurs États européens.
L'indépendance du Kosovo serait la première transgression d'une règle non écrite qui a prévalu partout en Europe depuis 1990.
De même que les frontières entre États sont, conformément à la charte de l'ONU et aux accords d'Helsinki, tenues pour intangibles, l'éclatement des fédérations quand il a lieu doit suivre le pointillé des limites entre les entités antérieurement fédérées. C'est dans le respect de cette règle qu'ont éclaté l'URSS, la Yougoslavie puis la Tchécoslovaquie.
Les effets en sont sans doute discutables : la Biélorussie qui ne souhaitait pas être indépendante l'est devenue. La Tchétchénie qui voudrait l'être ne l'est pas, tout comme l'Abkhazie ou la Crimée. La Bosnie-Herzégovine et la Macédoine, dépourvues d'homogénéité sont devenues des États, le minuscule Monténégro aussi parce qu'ils étaient fédérés au sein de l'ensemble yougoslave, à la différence du Kosovo qui n'était, lui, qu'une province autonome de la Serbie.
Mais pour discutable que soit cette règle, sa transgression aurait d'immenses conséquences : elle ouvrirait vite la voie à toutes les revendications sécessionnistes et appellerait à terme un immense redécoupage de la carte politique de l'Europe qui ne pourrait se faire que dans le sang. En Russie, non seulement les Tchétchènes, mais encore les Ingouches, les Tatars voudront leur État. Les Serbes et les Croates de Bosnie revendiqueront légitimement leur rattachement à la Serbie et à la Croatie. L'équilibre fragile auquel est parvenu la Bosnie-Herzégovine serait remis en cause. Les Hongrois de Roumanie, de Slovaquie ou de Serbie pourraient seraient aussi fondés à bouger. Des pays comme la Belgique ou l'Espagne pourraient être ultérieurement ébranlés.
Une logique purement ethnique
En écartant le critère abrupt de l'intangibilité des frontières internationales ou internes aux ex-fédérations, l'indépendance du Kosovo ouvrirait la porte à une logique purement ethnique, celle qui avait en son temps fondé la revendication des nazis sur les Sudètes, sur l'Autriche, puis sur Dantzig et l'Alsace-Moselle. On voit poindre à terme une immense remise en cause de l'équilibre européen.
Dire que cette transgression ne vaudra que pour le Kosovo et pour personne d'autre ne pourrait être ressenti par les Serbes de Bosnie et plus largement le monde orthodoxe, Russie en tête, que comme une grave injustice.
Avec le risque de rallumer chez lui de nouvelles dissidences, c'est ce qui motive le raidissement de Poutine sur ce sujet.
Il n'est pas sûr que le président Bush ait une pleine conscience de ces risques. C'est avec la même inconscience que le président Wilson avait, en 1919, à partir de quelques principes abstraits, imposé à l'Europe un découpage politique ingérable.
C'est pourquoi il faut espérer qu'au sein de l'Union européenne, quelques dirigeants avisés sauront éviter que l'on ouvre à nouveau la boîte de Pandore.
L'incendie balkanique des années 90 avait été contenu. Rien n'assure que, si l'on joue avec le feu, le prochain le sera.
*Essayiste, auteur de L'Antipolitique, Privat 2007.
■ D'accord, pas d'accord ? Envoyez votre avis à Décryptage
■
- Pourquoi l'euro ? Une expérience sur fond d'ign...
- Les piigs et les autres : comment l'Europe divi...
- La failite de la Grèce : pas cette fois mais la...
- DSK : non, Mesdames, cette affaire n'est pas d'...
- L'affaire DSK : la fin d'une génération ?
- La révolte des élus de terrain
- La Russie, la paille et la poutre
- La gauche traverse une crise durable
- Dialogue avec l'orthodoxie : territoire canoniq...
- Législatives 2007 : une majorité de droite rétr...