Les précisions que j'ai données pour expliquer la position de l'Église face à la question des embryons congelés dits "orphelins" ne semblent pas avoir répondu aux interrogations que la lecture de Dignitas personae a pu faire naître chez certains, en particulier chez ceux qui ont proposé l'adoption de ces embryons congelés comme solution éthique au problème.
Je comprends tout à fait ces interrogations, car on en vient facilement à dire, après une lecture rapide du document, que l'Église "couvre" l'élimination de ces embryons une fois passée la date de leur "péremption" (au bout de cinq ans de "vie congelée" en France). Ce doute sur l'Église n'est pas justifié : l'Église ne considère en aucune façon que la mort programmée de ces embryons est acceptable, et elle voit toujours dans l'embryon pré-implantatoire un être humain à part entière, au début de son "cycle vital", dont la vie doit être protégée, et qui ne doit pas être soumis à des manipulations.
Cela dit, et sans revenir sur la discussion déjà faite, je voudrais souligner les points importants autour duquel tourne le raisonnement de l'Église sur la question des embryons humains congelés orphelins :
1/ Le caractère totalement illicite de la FIVET. La pratique de la fécondation in vitro puis du transfert embryonnaire marque une absence totale de respect pour l'embryon et pour ses droits. L'enfant a le droit de naître de l'amour de ses parents, dans le sein maternel. Toute compromission sur ce point est coopération au mal.
2/ On ne peut utiliser un moyen mauvais pour une fin bonne. La fin ne justifie jamais les moyens, ceci est une loi absolue. On ne peut recourir à la technique immorale de la FIVET pour arriver à avoir un embryon humain implanté in utero.
3/ La vie humaine est le premier de tous les biens et doit donc être pleinement respectée. Elle n'est pas toutefois un bien absolu. Le bien absolu est la vie éternelle, et la vie présente a valeur en tant qu'elle nous permet d'exercer notre liberté et de nous préparer à a cette vie éternelle. Les efforts pour conserver, garder cette vie physiologique doivent donc être proportionnés et au but (la vie éternelle) et aux conditions dans lesquelles s'exerce cette vie physique (y compris le coût de cette vie pour les parents et les proches). On peut donner sa propre vie pour un motif élevé, d'aide au prochain, par exemple. Il est parfaitement légitime, en fin de vie, de ne pas faire tous les efforts pour prolonger sa vie. Le Christ aurait pu parfaitement conserver sa vie physiologique et poursuivre son enseignement des dizaines d'années supplémentaires, à condition d'être plus conciliant. Lui aussi a relativisé la valeur de sa vie, donnant à sa mort (l'heure) la plus grande importance. S'il n'y a donc pas une obligation morale à maintenir coûte que coûte la vie physiologique, il y a en revanche obligation absolue à ne pas tuer (ce qui suppose vouloir la mort de l'autre et la réaliser directement ou indirectement).
4/ L'Église juge disproportionnée l'adoption embryonnaire pour "sauver" la vie embryonnaire, et ne la conseille donc pas. Elle estime qu'il s'agit là d'une proposition "louable" (n. 19) dans ses intentions, mais qui entraîne une coopération au mal moral de la FIVET, et une rupture de l'engagement du mariage à ne devenir père et mère que l'un par l'autre. Toutefois, elle ne la déclare pas "illicite" et ne l'interdit pas formellement, à cause du bien de l'intention, mais Elle ne la conseille pas.
5/ L'Église juge aussi disproportionné ce qui serait un transfert massif de tous les embryons en réserve, congelés, dans l'utérus d'une femme qui en serait la mère biologique, à la fin de la période de fertilité de cette femme, dans le seul but de ne pas devoir détruire ces embryons par la seule décongélation. Cette manœuvre n'a pas de but procréatif. Les médecins qui la pratiquent estiment seulement qu'il s'agit là d'un mode plus éthique et moins coûteux de détruire ces embryons que la seule décongélation.
Admettons maintenant que l'on arrive à retrouver la piste des couples qui ont abandonné des embryons congelés en clinique de PMA et sont bien décidés à ne plus avoir de contact avec cette clinique. Admettons encore qu'un de ces couples manifeste alors le désir d'accueillir ces embryons orphelins, par transfert dans l'utérus maternel, pour leur donner une chance de vivre. S'agit-il là d'une décision de convenance ou est-elle éthique ? La réponse est dans les consciences. Leur intention pourrait être louée ("sauver une vie"), mais le moyen employé (transfert utérin) serait malhonnête. Comment d'ailleurs vérifier si cette candidature à l'adoption embryonnaire ne cache pas un simple désir d'enfant dans un couple infertile !
6/ L'Église demande que ces embryons congelés soient respectés. Elle demande donc, d'abord, qu'on ne pratique plus une telle congélation. Elle demande ensuite que l'on mette un terme aux conditions indignes dans lesquelles sont maintenus ces embryons. L'embryon, certes, n'est pas coupable de la congélation qui le maintient dans un état de vie aberrant, mais son existence congelée n'est pas acceptable. Il n'y a pas de bonne solution éthique à cette impasse morale créée par la congélation.
Ce qu'il faut éviter est d'instrumentaliser ces embryons en profitant de leur existence pour en tirer des cellules souches ou les livrer aux manipulateurs. On décongèlera donc ces embryons pour les remettre dans des conditions normales de survie, en milieu de culture, à 37 degrés. Les embryons qui auront survécu à la décongélation finiront ainsi leur existence, par dégénérescence naturelle, sans qu'on les "tue" pour reprendre l'expression émotionnelle mais inexacte de certains.
*Mgr Jacques Suaudeau est médecin, directeur de la section scientifique de l'Académie pontificale pour la vie.
Sur ce sujet :
Que faire des embryons surnuméraires ? (Libertépolitique.com, 19 mars 2009)
Débat sur le sort des embryons surnuméraires (Libertépolitique.com, 27 mars 2009)