Quand un grand journal du soir titre après le sommet d’Helsinki, « Donald Trump, meilleur allié de Vladimir Poutine »[1], ne nous y trompons pas : ce n’est pas un compliment, c’est une critique. Trump se met du côté d’un homme que les mêmes médias se sont attachés au fil des mois à diaboliser. Dans un autre quotidien français vénérable, Trump est carrément tenu pour un traître.
En d’autres temps, en temps normal et avec des gens normaux, par exemple du temps de la guerre froide, tout Européen se serait réjoui que les chefs des deux plus grandes puissances militaires du monde, celles qui ont, de loin, plus d’ogives nucléaires que toutes les autres, Chine comprise, aient l’air de s’entendre et à tout le moins dialoguent.
On comprendra à la rigueur que les faucons ultranationalistes américains dont le plan explicite est de détruire la puissance russe, soient insatisfaits des bonnes relations qui semblent s’établir entre Trump et Macron. Ils voient dans le sommet d’Helsinki – qu’ils se sont attachés pendant de mois à retarder – la confirmation que c’est Poutine et non le peuple américain qui a fait élire Trump.
Mais venant d’Européens, le point de vue devrait être différent. S’il y a un jour un affrontement majeur entre les Etats-Unis et la Russie, c’est l’Europe qui sera le champ de bataille : des stratèges américains l’ont expressément prévu. C’est elle d’abord qui serait détruite. C’est elle qui a, plus que quiconque, intérêt à une détente entre ceux que l’on appelait autrefois les « deux grands ». C’est elle qui devrait donc se réjouir la première des prémices d’une telle détente.
Le risque d’un duopole, d’un nouveau Yalta, est certes réel, mais il pèse peu à côté de celui d’une guerre mondiale.
Un Européen lucide ne peut nier que la paix et la sécurité en Europe sont mieux garanties par de bonnes relations entre Washington et Moscou que par un climat d’extrême tension. Malgré les foucades qu’on lui reproche, contre l’OTAN, contre l’Union européenne, pour un Brexit dur, et donc ce que certains voient comme une marque d’hostilité à l’Europe, Trump, en tentant de détendre les relations des États-Unis avec Poutine, rend plus service aux Européens qu’aucun de ses prédécesseurs.
Comment donc expliquer que la presse française ne le voie pas comme cela ?
La raison en est qu’une grande partie des médias européens se trouve inféodée au courant le plus impérialiste des médias américains. Nous disons impérialiste, car il faut appeler les choses par leur nom. Cessons de parler entre autres de néo-conservateurs s’agissant de gens qui sont pour la plupart de gauche, voire d’extrême gauche sur les questions sociétales et qui caressent des projets destructeurs tant pour les institutions américaines que pour la paix du monde.
Le grand secret que beaucoup n’ont pas encore assimilé, c’est que l’impérialisme a muté : il se situait autrefois à la droite de l’éventail politique américain ( et européen), il est désormais à gauche. Il faut nous y habituer ; les puissants de ce monde sont aujourd’hui de gauche, aux Etats-Unis pour la plupart démocrates, en France, macroniens. La mutation du système symbolique s’est effectuée au travers des droits de l’ homme : valeur de gauche au départ mais qui, par sa prétention à l’universalité, sert désormais d’alibi à des interventions militaires de type impérialiste aux quatre coins du monde, spécialement en Europe de l’Est et au Proche-Orient. C’est parce qu’il n’est pas de gauche que Trump peut tendre la main à Poutine.
Le camp impérialiste a connu une défaite humiliante avec l’élection de Donald Trump. Toutefois l’administration américaine (l’ « État profond »), presque entièrement acquise au camp impérialiste, a réussi à limiter suffisamment la marge de manœuvre du nouveau président pour qu’on puisse considérer qu’elle est encore largement au pouvoir. Et elle trouve désormais ses meilleurs soutiens en Europe où la problématique des droits de l’homme continue à faire florès, à Bruxelles, à Berlin, à Paris. Certes les Européens n’ont nullement l’intention d’accroitre leurs dépenses militaires comme le leur demande Washington, mais ils continuent à apporter un soutien politique discret au clan Obama–Clinton, comme on l’a vu lors de la visite de Macron au Congrès. Macron, qui avait bénéficié d’un très fort soutien de cette mouvance.
Il reste qu’il faut un singulier aveuglement, celui là seul que produit le mode de pensée ( ou de non-pensée) idéologique dans sa phase aigue, pour que les Européens en arrivent à considérer comme une mauvaise nouvelle un rapprochement des puissances les mieux armées de planète, surtout si ces Européens sont les héritiers de Jaurès ou d’un journal qui avait prôné le neutralisme au temps de la guerre froide.
Roland HUREAUX
[1] Le Monde, 18 juillet 2018
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