Un séminaire sur l'intolérance et la discrimination des chrétiens en Europe s'est tenu au Parlement européen le 16 mars à l'initiative de Mario Mauro, député italien (PPE). Cette rencontre était organisée à l'occasion de la publication du Rapport sur l'intolérance et la discrimination contre les chrétiens depuis cinq ans. Il constitue une nouvelle étape dans la prise de conscience de la situation des chrétiens en Europe. L'Association pour la Fondation de Service politique (AFSP) était présente.
Le rapport rédigé sous la direction de Gudrun Kugler, directrice de l'Observatoire de l'intolérance et de la discrimination contre les chrétiens, recense les cas les plus significatifs de christianophobie perpétrés ces cinq dernières années. Quelques exemples : l'entrée de jeunes dénudés dans une chapelle en Espagne, la poursuite en justice d'un professeur ayant donné son avis sur l'homosexualité en Croatie ou l'interdiction par British Airways du port de la croix par son personnel, sans parler des profanations ou des destructions de cimetières et d'église comme en France.
Les médias diffusent de plus en plus de stéréotypes négatifs contre les chrétiens. Ils sont l'objet d'insultes, de diffamations sur les ondes et sur l'Internet et il ne se passe plus de jour sans profanation de leurs tombes ou de leurs lieux de cultes. Or, à la différence de ce que font les médias pour d'autres minorités, la parole leur est très souvent refusée.
Des persécutions de plus en plus nombreuses
Comme l'indique le rapport, les persécutions chrétiennes dans le monde et en Europe ne cessent de croître sans être dénoncées, ce qui n'est pas le cas lorsqu'il s'agit de musulmans ou de juifs, et les chrétiens eux-mêmes acceptent cette situation trop facilement.
Trois cas d'intolérance et de discrimination ont été plus particulièrement débattus lors de ce séminaire : en Espagne, en Grande-Bretagne et en Hongrie. Dans le cas espagnol, un système de laïcité positive prévaut en principe. Pour l'État, la religion est un phénomène social et le fait religieux relève de la sphère privée. Pour autant, l'État viole la liberté de culte en finançant des groupes de pression qui rédigent livres, pamphlets et pièces de théâtre contre l'Église. De même, les interventions publiques de l'Église sont systématiquement combattues : une conférence de Mgr Rouco Varela, archevêque de Madrid, fût annulée par les autorités en novembre 2009.
Dans la péninsule encore, le droit des parents à donner une éducation chrétienne à leurs enfants n'est pas respecté. Durant les deux dernières législatures, le Premier ministre Zapatero a conduit un projet scolaire liberticide d'envergure. L'enseignement à la citoyenneté qu'il a institué est un véritable catéchisme d'endoctrinement destiné à modeler la conscience des mineurs et à imposer une conception idéologique de l'être humain en rupture avec la tradition humaniste européenne. Les familles espagnoles qui ont souhaité retirer leurs enfants des cours d'éducation civique sont aujourd'hui poursuivies par les tribunaux. En 2010, il y a eu plus de 53 000 cas d'objection de conscience en Espagne.
Le phénomène d'intolérance à l'égard des chrétiens ne se limite pas à l'Espagne. Elle devient générale en Europe et les atteintes à la liberté de conscience se font de plus en plus ouvertement. Plusieurs exemples étayent ce constat. En Grande-Bretagne, la Cour royale de justice (Royal Courts of Justice) se propose d'égaliser le mariage et le partenariat civil. Elle ne cesse d'instaurer de nouvelles règles de vie reposant sur une nouvelle hiérarchie de valeurs sans se demander si ces réformes juridiques portent ou non atteintes à la liberté de conscience.
En Italie, c'est une véritable fronde menée par un collectif de 67 professeurs de sciences et de quelques centaines d'étudiants anticléricaux, qui a obligé en janvier 2008 le pape Benoit XVI à renoncer à sa visite à l'Université de la Sapienza.
En novembre 2009, la Cour européenne des droits de l'Homme demande au gouvernement italien de retirer les crucifix de ses salles de classe. L'État italien, pour ne pas évoquer de motif religieux, s'en tirera en affirmant que le crucifix est en Italie un symbole national et non religieux. L'affaire se terminera bien : le 18 mars dernier, la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l'homme a finalement donné raison aux autorités italiennes, après des mois de discussion et l'intervention de nombreuses ONG. Signe qu'une mobilisation cohérente peut faire basculer la décision des juges européens.
Par 15 voix contre 2, la Cour a jugé que la présence de crucifix dans les salles de classe des écoles publiques ne contredit pas la Convention européenne des droits de l'homme sur la liberté de conscience. Dans son communiqué de presse, les juges déclarent que la réglementation italienne donne à la religion majoritaire du pays une visibilité prépondérante dans l'environnement scolaire [...] ne suffit pas pour caractériser une démarche d'endoctrinement de la part de l'Italie et pour établir un manquement aux prescriptions de la Convention . Précisément, au regard de la place prépondérante d'une religion dans l'histoire d'un pays, le fait qu'une part plus large que les autres religions lui soit accordée dans les programmes scolaires ne s'analyse pas en soi en en une démarche d'endoctrinement .
Signalons qu'en Autriche, la justice s'est prononcée dans le même sens : dans une décision rendue le 16 mars, la Cour constitutionnelle (VfGH) a jugé que la présence d'une croix au mur d'une classe quand la majorité des élèves est chrétienne n'est pas contraire à la Constitution. La VfGH a estimé que la présence du symbole chrétien ne signifiait pas une préférence de l'État pour une religion ou une conviction religieuse particulière dans le contexte de la séparation de l'Église et de l'État en vigueur dans le pays. Les juges soulignent que la loi incriminée fixe explicitement comme objectif pédagogique de favoriser chez les enfants la tolérance envers toutes les religions.
Seulement chez vous
Comme l'a rappelé un des intervenants, le cardinal Newman décrit très bien la nature de cette intolérance dans son fameux Biglietto. Il compare en effet le christianisme toléré à l'alcoolisme : vous êtes libres de le pratiquer seulement chez vous. Or cette situation incombe en partie à la responsabilité des chrétiens eux-mêmes. Ils ont intériorisé la mentalité laïque. Pour eux, la religion devient une affaire privée. En outre, ils portent, à tort, la lourde culpabilité de leur passé. Le christianisme est souvent associé à un certain antisémitisme. De nombreuses personnes ont également mal vécu leur enfance et portent une haine envers le christianisme. Cette culpabilité est d'autant plus importante que l'ignorance sur le christianisme est abyssale, particulièrement dans le monde catholique et protestant, et que la nouvelle génération n'est pas formée à la religion.
De son côté, Massimo Introvigne, représentant de l'OSCE pour la lutte contre l'intolérance des chrétiens en Europe, voit trois explications à ce phénomène de discrimination : premièrement une mécompréhension des chrétiens sur l'enjeu que représente la liberté religieuse en Europe qu'il caractérise par la liberté de prosélytisme, de publication, de contacts, de critiques et la possibilité d'intervenir dans les débats publics sans être pour autant attaqué. Deuxièmement, une poussée des fondamentalismes qui véhiculent des idéologies religieuses agressives à l'égard des chrétiens ; troisièmement, l'humanisme séculier qui ne tolère les chrétiens que dans les églises, favorisant leur marginalisation.
Même si de nombreux députés européens dénoncent la tendance des institutions européennes à limiter la liberté religieuse dans les pays de l'Union, les remises en question de ce droit fondamental sont donc de plus en plus fréquentes. Ainsi, en octobre 2010, le rapport Mc Cafferty intitulé L'accès des femmes aux soins médicaux légaux: le problème de l'utilisation non réglementée de l'objection de conscience n a été rejeté qu'à une très petite majorité au Conseil de l'Europe. Selon Gudrun Kugler, l'Agence européenne des droits fondamentaux (FRA) ne s'intéresse pas assez à la liberté de culte. Cette marginalisation des chrétiens, qui va jusqu'à prendre parfois des allures de persécution, s'exerce à deux niveaux : lorsque l'Église prend la parole sur des sujets de société et lorsque les chrétiens parlent au nom de la raison.
Ces limitations juridiques significatives envers les chrétiens ne peuvent laisser les chrétiens indifférents. Il est nécessaire de trouver une manière de coexister avec d'autres sensibilités religieuses sans pour autant que la liberté de conscience et la liberté de culte soient restreintes pour les chrétiens eux-mêmes. Le député européen polonais Jan Olbrycht (PPE), modérateur du séminaire, a appelé les chrétiens de toute l'Europe à être plus actifs dans la lutte contre l'intolérance et la discrimination dont ils sont victimes. Selon lui, on ne les entend pas assez dans les institutions européennes, où se déroulent fréquemment des débats sur des questions qui concernent directement ou indirectement la liberté de religion.
Quant à Gudrun Kugler, elle invite les parlementaires européens à prendre des initiatives législatives et à garder à l'esprit que la liberté religieuse est un des droits fondamentaux de la personne. Une visibilité politique plus grande de la part des chrétiens aurait un impact d'autant plus significatif que les directives européennes doivent être transcrites dans les législations nationales.
De nombreuses questions
Les débats ont aussi permis de soulever de nombreuses questions pratiques : Quelles sont les contraintes que les chrétiens peuvent accepter ? Jusqu'où peuvent-ils tolérer dans des sociétés très sécularisées des limitations à leur liberté de culte ? Parler en termes d'intolérance et de discrimination, est-il la meilleure façon de faire prendre conscience à l'opinion de la gravité de ce phénomène ? Pour l'Institut britannique Thomas-More, la démocratie libérale est de plus en plus oppressive pour les chrétiens car l'Église déstabilise la pensée relativiste morale omniprésente en Europe. Sa conception du péché et de l'immoralité est loin d'être comprise et acceptée. La position de l'Église sur l'avortement et l'homosexualité font du christianisme un courant religieux non fréquentable par les médias dont la culture est le plus souvent laïciste et libertaire. Dans quelle mesure ses membres peuvent-ils bénéficier du droit à l'objection de conscience ?
Autre question : Comment s'informer ? Les chrétiens, à tous les niveaux, ont un besoin crucial d'arguments et ignorent trop souvent la loi. Comment leur apprendre à plaider leur cause de manière courtoise et ferme ? Par quels vecteurs leur prodiguer des conseils juridiques appropriés pour se faire respecter ?
Comme le note le philosophe libéral américain John Rawls, cette intolérance qui se développe contre les chrétiens en Europe invite à défendre l'Église, à parler au nom de la raison et à participer aux débats publics.
Une analyse qui rejoint largement celle de Benoît XVI, rappelée sans répit, en particulier dans ses messages au monde politique, comme par exemple le Message pour la Paix prononcé devant la Curie romaine le 20 décembre 2010, les Vœux au corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège le 10 janvier dernier, et celui au président Italien, à l'occasion du 150e anniversaire de l'unité italienne.
Le 4 mai prochain à Rome, l'OSCE tiendra un nouveau séminaire sur l'intolérance et la discrimination contre les chrétiens auquel participera la Fondation de Service politique. Les chrétiens doivent occuper toute leur place pour défendre le droit fondamental à la liberté religieuse, un droit antérieur au droit positif des États.
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