LIBERTE POLITIQUE n° 41, été 2008.
Par Tugdual Derville. AVEC 19 000 NOUVEAU-NES PAR AN, soit 2,4 % du total des naissances, l'assistance médicale à la procréation (AMP) est devenue le point de passage de la plupart des couples confrontés à un problème d'infertilité.
Les conceptions par AMP recouvrent cependant des réalités diverses. L'insémination artificielle fait naître 6 000 enfants alors que 13 000 bébés sont issus de fécondation in vitro (FIV). Désormais, une nette majorité des FIV (58 %) utilise la technique de l'ICSI (injection d'un seul spermatozoïde dans l'ovocyte).
Sur l'ensemble des 19 000 enfants nés d'AMP, 1 300 seulement ont été conçus avec l'aide des gamètes d'un donneur (fécondation hétérologue), les autres – la grande majorité – ayant bénéficié des gamètes des deux membres du couple demandeur. Précisons que le don d'ovocyte est rare (100 naissances annuellement) et que le don d'embryon reste exceptionnel (moins de vingt naissances).
Cause de l'une des controverses bioéthiques les plus médiatisées, du fait de sa composante eugéniste, le diagnostic préimplantatoire (ou DPI) est quantitativement marginal, même s'il a tendance à se développer : 39 naissances par an pour 200 embryons diagnostiqués. La pratique du bébé médicament au centre du débat lors des dernières lois bioéthique reste rarissime. En revanche le stock d'embryons surnuméraires congelés, objet de convoitises et de débats, est considérable : 141 460 embryons sont conservés dans l'azote liquide, dont 40 % ne feraient plus l'objet d'un projet parental. C'est ceux-là qui peuvent être donnés à la recherche par leurs parents. L'ensemble de ces chiffres correspondent à l'année 2005. Ils ont été produits par l'Agence de biomédecine en 2008.
Le nombre d'enfants nés par AMP à l'issue de fécondation in vitro ne rend qu'imparfaitement compte de l'ampleur quantitative de ce mode de procréation puisqu'en 2004, il avait fallu concevoir 221 800 embryons pour faire naître 10 450 enfants (FIV intra conjugale). Près de 20 embryons étaient donc, d'une façon ou d'une autre sacrifiés pour que naisse un enfant : 40 % des embryons ont été détruits après leur conception, n'ayant pas de chance suffisante de développement ; 21 % ont été congelés (soit 48 706) ; 39 % seulement étaient transférés (soit 88 025). Le faible taux de réussite de ces implantations explique qu'on n'aboutisse qu'à un peu plus de 10 000 naissances. 300 réductions embryonnaires sont par ailleurs opérées (avortements partiels pour réduire les grossesses multiples) ; ces réductions occasionnent une trentaine de fausses-couches involontaires des embryons restants. Signalons par ailleurs que 25 % de la grande prématurité (cause fréquente de survenue de handicaps) est attribuée à l'AMP, essentiellement due aux grossesses multiples.
À l'issue des quatre tentatives remboursées, environ un couple sur deux verra naître un enfant, l'autre couple en échec se tournant éventuellement vers l'adoption, non sans avoir perdu un temps parfois précieux.
Selon qu'on considère l'embryon comme un produit pour fabriquer un être humain ou comme un être humain déjà respectable, le regard porté sur la fécondation in vitro sera radicalement différent : si l'on met à part la question de l'interposition d'une tierce personne dans la relation entre conjoints et celle de l'origine des gamètes, la plupart des observateurs applaudissent des prouesses techniques qui donnent la vie tandis que nous sommes obligés de déplorer qu'on sacrifie des êtres humains – en si grand nombre – pour en produire d'autres.
Il convient de réexaminer le contexte de l'assistance médicale à la procréation dès son origine (I) avant d'examiner les débats qui mobilisent aujourd'hui experts et médias en perspective d'une seconde révision des lois de bioéthique de 2004 (II).
I - RETOUR SUR UNE TRANSGRESSION ORIGINELLE
L'assistance médicale à la procréation a germé des souffrances humaines profondes et primitives attachées depuis la nuit des temps à la stérilité. Ne pas donner la vie est l'un des drames existentiels les plus cruels qui soient. Il inflige le sentiment d'être exclu de la chaîne des générations. Pourquoi moi ? , peut ressasser indéfiniment celui ou celle qui a l'impression de subir une malédiction.
Par instinct de conservation, bien des animaux sont prêts à sacrifier leur propre vie pour se reproduire. Les êtres humains se montrent quant à eux enclins à oublier, sans toujours s'en rendre compte, les repères éthiques les plus intangibles pour que leur désir d'enfant soit exaucé. Ils le font avec la même passion que celle qui leur fait prendre soin de leurs enfants malades. Donner la vie (comme la protéger) semble s'inscrire dans une pulsion sacrée, presque irrépressible. C'est par raison d'État que Napoléon 1er répudiera sa femme stérile mais c'est la souffrance conjugale de la stérilité qui avait conduit Sarah à pousser son mari Abraham dans la couche de sa servante...
Le marché du désir
Les apprentis procréateurs ont joué de façon ambivalente avec le déchirement intime qui afflige les couples infertiles. N'est-ce pas dans ce désir frustré qu'ils ont assouvi leur propre soif de chercher, trouver et sauver ? Car la posture prométhéenne qu'ils ont prise résolument est bien celle de sauveurs. René Frydman, auteur d'un livre supposé apprendre à Devenir père (Marabout, 2007), en est l'archétype. Ne va-t-il pas jusqu'à justifier, dans sa révélatrice Lettre à une mère (LGF, 2005) l'élimination d'un embryon suspecté au microscope d'être porteur d'une anomalie par la parole du Christ Lève toi et marche ? N'avoue-t-il pas dans le même livre qu'il manipule le désir ? Celui qu'on présente comme le père d'Amandine , premier bébé-éprouvette français , née en 1978, a beau affirmer aussi ailleurs : Je m'interdis d'entrer dans ce qui fait le désir d'enfant (La Croix, 29 janvier 2008), ce sont bien les nouvelles propositions médicales en matière de procréation qui ont mis le feu aux poudres au point de provoquer une explosion des demandes d'assistance à la procréation de ceux qui s'orientaient jusqu'alors vers l'adoption pour devenir parents, ou qui y renonçaient, par obligation.
C'est à partir du moment où l'on a laissé une tierce personne s'interposer dans la relation conjugale, se faisant véhicule des gamètes – spermatozoïdes ou ovocytes – et des embryons conçus manuellement, et non plus par le rapprochement des sexes, que tout est devenu possible. Fécondation in vitro, congélation d'embryons, dons de gamètes ou d'embryons, diagnostic préimplantatoire, maternité de substitution, procréation homosexuelle , et même recherche sur l'embryon : aucune des dérives qui sont aujourd'hui en exercice ou en débat ne serait advenue sans cette transgression originelle.
Procréation par substitution
Il faut rappeler que Louise Brown (en Grande-Bretagne) puis Amandine, en France, sont nées après une période de troubles expérimentations, les chercheurs utilisant leur propre semence pour féconder les ovocytes prélevés sur des femmes auxquelles ils avaient fait subir une ligature des trompes (intervention à l'époque illégale). Ces enfants nés par fécondation artificielle sont issus d'une culture de la transgression qui explique encore la psychologie des pionniers de la procréation médicalement assistée (PMA) devenue assistance médicale à la procréation (AMP). Mgr Jean-Louis Bruguès préfère la nommer substitution pour manifester que le point de départ de ces transgressions éthiques n'est pas le recours à la médecine pour pallier la stérilité, mais bien la dissociation opérée entre l'acte sexuel et celui de concevoir. On était fous à l'époque... On voulait que ça réussisse à tout prix a raconté au Journal du Dimanche (20/04/2008) Violaine Kerbrat, sage-femme de l'hôpital Antoine-Béclère ayant participé à la conception d'Amandine. Ses échanges avec Annie (la mère du bébé-éprouvette ) sont révélateurs : Je lui demandais "Et l'adoption, vous y avez pensé ?" Je n'arrivais pas à comprendre pourquoi elle se battait si fort. Qu'est-ce que ça change d'avoir un enfant qui soit génétiquement le sien ou pas ? Mais Annie ne concevait pas autre chose. Elle voulait être mère, mère biologique.
L'emballement actuel entre le réalisable et le réalisé qui entretient toujours le débat bioéthique, ne peut-être analysé sans revenir à ce point de départ – la transgression originelle – même si la dialectique du fait accompli semble étouffer la remise en cause de l'AMP. Sur France Culture, Jean-Yves Nau, journaliste du Monde et médecin, qui est d'ailleurs l'un des observateurs les plus avisés des dérives eugénistes hexagonales, m'a affirmé en substance que le million d'enfants déjà nés d'AMP sur la planète interdisait désormais la contestation de ces techniques (c'était début 2007). J'ai répondu qu'une fois conçus, ils étaient les bienvenus sur Terre, mais que cela ne nous empêchait aucunement de considérer leur mode de conception comme indigne, et, surtout, d'honorer la mémoire des millions d'embryons – leurs frères ou sœurs – créés et détruits, à mes yeux injustement, pour que ceux-là voient le jour. Lors d'une autre émission j'ai osé dire, aux côtés du professeur Testard (autre père d'Amandine) : Ma conviction profonde c'est que je ne pèse pas plus lourd qu'un embryon : je ne suis ni plus digne ni plus respectable que lui. L'animateur est resté ébahi.
Rapports de force et biopolitique
Pourquoi rappeler ces débats ? Parce que l'essentiel des lois bioéthiques résulte aujourd'hui, non pas de raisonnements strictement scientifiques – et encore moins de considérations morales sur le bien et le mal – mais d'un rapport de forces, un bras de fer politique où les faibles – ceux qui n'ont ni visage, ni voix – sont incapables de se défendre sans avocats désintéressés. Ils sont tout simplement victimes de cette raison du plus fort, non pas forgée par ce qu'inspire la réalité, mais née du désir d'avoir raison, par intérêt.
La question centrale que l'on doit se poser en matière de procréation artificielle c'est : La fin justifie-t-elle les moyens ? La sagesse populaire répond non . Mais nos lois bioéthiques hésitent et tergiversent, et nos cœurs aussi. Sans l'avouer, nous nous surprenons à répondre oui selon une fragile balance entre, d'une part, le poids du désir, de la souffrance et de l'émotion et, d'autre part, celui des principes, de la morale, de la résistance à la transgression.
C'est pire après coup : que nous soyons tous, peu ou prou, voleurs, menteurs et violents ne nous empêche ni ne nous dispense de chercher et professer la justice, la vérité et la douceur, et d'éprouver du remords en cas de transgression ; mais quand c'est la vie humaine qui résulte d'une violence et d'une manipulation, il devient difficile de regretter. Voilà pourquoi la procréation médicalement assistée avance par effet cliquet , de points qui semblent de non-retour en nouveaux points de non-retour également. Que les couples parentaux de Louise ou d'Amandine se soient fracturés est à noter. Mais cela n'enlève rien à la dignité des deux premières femmes issues de fécondation in vitro en Europe. Faudrait-il leur dire, droit dans les yeux, qu'aux nôtres, il aurait mieux valu qu'elles ne soient pas conçues ? La dissociation entre le jugement sur l'acte et l'être est indispensable pour persister à considérer la conception injuste (comme est injuste toute conception violente) sans pour autant que le fruit de la conception ait à être marqué d'opprobre. Il faudrait distinguer regrets et remords. Le remords est légitime voire nécessaire : les conséquences positives d'une faute ne la justifient pas. Les regrets sont toutefois inutiles : on ne peut revenir en arrière. Ce qui est fait est fait. À quoi sert de regretter puisque le temps s'écoule inexorablement ?
Du Pourquoi moi ? au Pourquoi pas ?
Prenons conscience nous-mêmes que, si notre raison seule peut déduire l'évidence du respect absolu que mérite tout être humain déjà conçu, notre psychologie a énormément de mal à attribuer la même valeur à l'embryon qu'à une personne déjà née. On le vérifie en comparant l'impact d'une fausse-couche précoce à celle de la mort d'un enfant nouveau-né ou d'un enfant plus âgé : le degré d'affection des siens grandit chez l'homme par l'expérience de la vie en commun, sans que change la dignité de son sujet.
C'est pourquoi le secours de la foi, aucunement indispensable pour adhérer à la réalité de l'humanité de l'embryon (c'est la science qui donne la clé de nos arguments) reste précieux : la foi encourage la vertu nécessaire pour respecter cet embryon que notre aveuglement, pour ne pas dire notre obscurantisme, nous inciterait à juger sans grande valeur. Elle favorise une certaine humilité devant la vérité scientifique. Bien des couples y puisent un réel héroïsme. De même les scientifiques qui renoncent à transgresser. Reconnaître la dignité de l'embryon implique des sacrifices.
Voilà l'essentiel des débats posés. Des couples ou des personnes en souffrance, éperdument désireux de donner la vie : là où la nature ou la société répondait jusqu'ici impossible , au point que les personnes ainsi frustrées s'en faisaient une raison et s'orientaient plus vite vers la découverte d'une autre fécondité, la science, désormais, leur répond : Pourquoi pas ? Conjoints frappés d'infertilité pathologique, mais aussi femmes ménopausées, vieillards, célibataires, personnes homosexuelles... Et chacun de sentir se réveiller en lui le désir de devenir parent à mesure qu'émerge le possible correspondant. Tout en contestant épisodiquement certaines des demandes qu'ils jugent outrancières – selon un air du temps changeant – les procréateurs artificiels trouvent là de quoi alimenter leurs propres impulsions à aller toujours plus loin. L'aiguillon de la concurrence entre pairs, notamment internationale, achève d'étouffer les scrupules résiduels. Du côté du public – celui qui observe la course aux premières par médias interposés – on est d'abord stupéfait et choqué, avant de s'habituer. Et les lois successives avalisent des dérives, entrouvrent prudemment des portes avant de les laisser grandes battantes, tandis que le même fait encoure, chez les mêmes personnalités sages et savantes, des jugements évolutifs et contradictoires, généralement de plus en plus laxistes.
L'avortement en garde-fou
La loi de 1975 joue en cette matière un rôle de réassurance. Elle permet de supprimer l'embryon déjà conçu jusqu'à 12 semaines de grossesse, désormais sans aucun autre critère que la volonté maternelle. Elle est politiquement sacralisée au point que la tendance européenne est d'inscrire un droit à l'avortement parmi les droits de l'homme. Les velléités de prise de conscience des dérives bioéthiques se heurtent souvent à cette logique : puisque l'être humain dans le sein maternel est sans protection, au nom de quoi devrait-on protéger celui qui n'est pas encore implanté ? Même ceux qui contesteront certaines dérives bioéthiques prendront soin, préalablement, de faire allégeance à la loi de dépénalisation de l'avortement. Pour être entendus.
Telles sont les bases psycho-politiques de notre bioéthique. Elles ne sont pas très différentes de celles de l'esclavage quand notre société en vivait, avant qu'une prise de conscience humanise notre regard sur le travail forcé. Toutes les bonnes raisons invoquées (scientifiques, économiques, sociales, politiques) se révélaient soudain mauvaises. Elles l'étaient.
II - DEBATTRE DANS LES SABLES MOUVANTS FRANÇAIS
Une fois rappelé ce qui fonde notre opposition à la procréation par substitution, il nous faut donc discuter au milieu du gué, pour éviter une évolution plus dramatique, en prenant en compte la spécificité française en matière de mentalités et de lois, et les menaces et opportunités induites.
Le corps inaliénable
La France résiste encore et toujours à certaines dérives anglo-saxonnes qui la rebutent : elle refuse surtout la marchandisation des produits du corps humain qu'on observe dans d'autres pays : banques de sperme ou d'ovocytes avec données parentales nominatives, locations d'utérus, etc. Cette aversion explique que la France défende encore le principe de l'anonymat et de la gratuité du don de gamète et n'ait pas – encore ? – admis le système de la maternité pour autrui ou mères porteuses (ce sera vraisemblablement l'un des enjeux de la révision des lois bioéthiques en 2009). C'est aussi ce qui explique certaines limites opposées à des demandes particulières (célibataires, personnes homosexuelles) qui feraient sortir l'AMP de la réponse à l'infertilité médicalement constatée dans le cadre familial, pour en faire un service de convenance personnelle.
Encadrement et pratiques sauvages
L'AMP à la française s'inscrit dans le cadre de son État providence , qu'on sait unique au monde. Les tentatives de procréation financées par les deniers publics sont, contrepartie logique, encadrées par la loi. Du moins en principe. René Frydman, jouant le justicier, a jeté un pavé dans la mare en dénonçant les dérives d'un système qu'il estime incontrôlé (Le Point 22/11/2008). Après avoir vanté l'hôpital public dans lequel il pratique, il accuse pêle-mêle les demandeurs ( Pour certains couples [l'accès aux tentatives d'AMP] est devenu un droit ), la Sécurité sociale ( Il est difficile de refuser un traitement remboursé ) et ses collègues du privé qui font marcher le tiroir-caisse . Ces dérives expliqueraient selon lui le faible taux de réussite de l'AMP française par rapport au reste de l'Europe. En passant d'un centre à l'autre, des couples obtiennent des tentatives alors que leur physiologie leur donne de très faibles chances de réussite et déjouent même les limites légales en obtenant de subir bien plus que les quatre tentatives remboursées.
La symbolique forte de l'enfant inespéré vient en tous cas occulter les coûts multiples de l'AMP : financiers (un milliard d'euros en Europe chaque année), psychologiques et surtout moraux. En France, aujourd'hui, l'AMP parait inattaquable, alors que déçus et victimes se multiplient. Le slogan Un enfant si je veux, quand je veux devrait être complété d'un humble ...si je peux estime par exemple docteur Sylvie Epelboim, gynécologue spécialisée dans la fécondation in vitro, qui constate que de nombreux couples se bercent d'illusion en se tournant trop tard vers l'AMP. À 42 ans, une femme n'a plus que 2 % de chance d'obtenir une grossesse avec l'assistance médicale à la procréation du fait du vieillissement ovarien.
L'attrait de l'étranger
Les contraintes légales françaises génèrent cependant l'émergence de ce que l'on a nommé le tourisme procréatif . Tentation naturelle : ceux qui se considèrent frustrés par les lois françaises vont chercher satisfaction ailleurs, quitte à importer ensuite le débat dans l'hexagone.
C'est ce que font certaines femmes homosexuelles tentant d'obtenir des droits paternels (congés parentaux) après que leur compagne a obtenu une insémination en Belgique ou aux Pays-Bas (on parle de bébés Thalys, du nom du train international qu'elles empruntent). D'autres femmes se fournissent en ovocytes en Espagne. Certains couples reviennent des États-Unis avec des enfants obtenus par des mères porteuses et qui veulent régulariser ces enfants à l'état-civil. Les uns et les autres mettent en demeure leur pays de valider leurs choix a posteriori. Pour ce faire, ils utilisent les enfants comme des arguments émotionnels : ne pas reconnaître les liens de filiation revendiqués serait leur faire subir une discrimination injuste. Et puisqu'ils les élèvent, il est difficile de résister à cette pression du fait accompli .
Bioéthique et homosexualité
Le débat bioéthique est entré en collusion avec le débat sur le statut de l'homosexualité : depuis plusieurs années, le lobby homosexuel se fait de plus en plus revendicatif en ce domaine. Le temps est loin où les promoteurs du PaCS juraient qu'ils n'avaient aucunement en tête les questions d'adoption et de procréation.
De multiples arguties juridiques permettent à certaines femmes de faire rebondir le débat sur l'homoparentalité médicalement assistée, des tribunaux de première instance se laissant convaincre d'accorder aux compagnes certains droits. Fin décembre 2007, le tribunal de grande instance de Lille a accordé l'autorité parentale croisée à deux femmes homosexuelles vivant en couple et ayant eu chacune un enfant par insémination artificielle. L'intérêt supérieur des enfants – cet intérêt qui avait été singulièrement occulté au moment de leur conception – est invoqué par les plaignantes et reconnu par les juges, pour officialiser les liens de chacun des deux enfants avec la compagne de leur mère. Pour celles qui aspirent à la reconnaissance complète d'une filiation homosexuelle , ce n'est qu'une victoire d'étape, car il ne s'agit pas d'une adoption, ni même d'une adoption simple. Même si le partage de l'autorité parentale, dispositif originellement conçu pour des personnes de la famille élargie, n'instaure ni lien de filiation, ni conséquence successorale, cette évolution du droit, influencée par la Cour européenne des droits de l'homme, constitue un encouragement à la pratique de l'AMP par les personnes homosexuelles.
La législation française réserve pour le moment l'accès à l'AMP aux couples composés de deux personnes de sexes complémentaires en âge de procréer, mariés ou susceptibles d'apporter la preuve d'une vie commune d'au moins deux ans . Mais la candidate socialiste à la dernière élection présidentielle avait promis d'ouvrir l'AMP aux personnes homosexuelles.
La maternité éclatée
En ce qui concerne le système des mères porteuses qu'on préfèrera nommer maternité éclatée , la cour d'appel de Paris a ainsi fini par reconnaître dans l'intérêt de l'enfant la filiation légale de deux personnes ayant ramené de Californie des jumelles obtenues d'une mère porteuse américaine. Un groupe de travail a été aussitôt créé au Sénat, que préside la socialiste Michèle André. Le revirement de nombre d'experts jusqu'ici hostiles à ces techniques fait craindre la légalisation de cette pratique, même si les situations dont la presse fait régulièrement état émanent de quelques personnes particulièrement opiniâtres (association Maïa principalement). Trois cas de figure sont possibles : gamètes des deux membres du couple demandeur (quand la femme n'a pas d'utérus mais des ovaires), ovocyte d'une donneuse (il y aura alors une maternité partagée entre trois femmes), ovocyte de la mère porteuse... Les experts argumentent à partir de ces situations, à l'instar du professeur Israël Nisand qui, renvoyant dos à dos un autoritarisme dogmatique et religieux (sic) et un laxisme total et absolu , récuse seulement la troisième situation qui, selon lui, relève de l'abandon ou de l'achat d'enfant .
Il faut noter que la question des mères porteuses interfère avec celle de l'anonymat en matière d'AMP : en Grande-Bretagne, les porteuses sont dans la moitié des cas les sœurs des bénéficiaires. Si Marie-Françoise Colombani, du magazine Elle, s'affirme pour l'autorisation des mères porteuses, c'est afin d' encadrer dans nos frontières une pratique qu'elle craint de voir se répandre sauvagement à l'étranger comme une nouvelle forme de prostitution (Elle, 19/11/2007).
La gestation pour autrui fait peu de cas des interactions entre la femme enceinte et l'enfant qu'elle porte. On a beau évoquer un attachement qui ne naîtrait qu'après la naissance, parler d'un abandon préparé d'un enfant qui n'est pas investi , etc., ce sont autant d'élucubrations justificatrices sur lesquelles des enfants victimes – devenus adultes – seraient en droit de demander des comptes à leurs parents comme à la société. Au-delà de son caractère pratique, un enjeu idéologique est sous-jacent à ce débat : le statut de la maternité qu'on voudrait débarrasser de son caractère naturel et affectif, pour ne pas dire sacré, au risque de ravaler la femme enceinte en vulgaire productrice d'un simple produit.
L'anonymat sur la sellette
La question de l'anonymat du don de gamètes (voire d'embryons) fait aujourd'hui débat en France alors que de nombreux pays ont inscrit dans leur droit positif, d'une manière ou d'une autre sa levée (Norvège, Finlande, Suède, Autriche, Grande-Bretagne) voire un droit d'accès aux origines biologiques (Allemagne, Suisse). Mis en œuvre comme une façon de protéger les liens familiaux entre les parents bénéficiaires du don , le principe de l'anonymat (qu'on rapproche souvent de l'accouchement sous X, alors que ce dernier est le palliatif d'une situation établie) instaure une culture du secret et de l'incertitude qui pèse sur de nombreuses personnes nées de ces dons anonymes. Certaines voix commencent à le contester.
Arthur Kermalvezen, lui-même conçu d'IAD (insémination avec donneur), encouragé par ses parents, a écrit un livre, Né de spermatozoïde inconnu (Presses de la Renaissance, 2008). Il entend participer au débat sur la révision des lois bioéthiques, en obtenant un système de levée, au moins partielle, de l'anonymat, sous la forme d'un dossier librement consultable à 18 ans où figureraient des données sur la motivation et le parcours du donneur. Sans remettre en cause le principe de la fécondation in vitro, son livre constitue un réquisitoire contre l'anonymat du don de gamète qui prive injustement les personnes ainsi conçues de toute référence à leur filiation biologique paternelle (maternelle en cas de don d'ovocyte). Cette privation conduit à des souffrances existentielles profondes qui s'expriment dans des domaines variés : Qui était mon père ? Me ressemblait-il ? L'ai-je rencontré ? Ai-je hérité de maladies génétiquement transmissibles ? La peur de l'inceste est exprimée. La loi autorise à donner naissance à dix enfants à partir des gamètes d'un même donneur : les enfants nés de cette manière se demandent souvent s'ils ne vont pas rencontrer un frère ou une sœur sans jamais le savoir. Le retour de bâton était logique : ceux qui étaient sans-voix ont désormais la parole. Ils revendiquent la levée – au moins partielle – de l'anonymat alors que la culture du secret – voire du mensonge – marque profondément la pratique de l'AMP avec donneur anonyme. On cache à beaucoup d'enfants la façon particulière dont ils ont été conçus. Certains ne l'apprendront qu'à l'âge adulte, de façon traumatisante, après avoir en général senti leur différence dans l'enfance. Seuls dépositaires du lourd secret, les parents sont livrés à eux-mêmes en la matière. Personne ne les avait sérieusement préparés à gérer les suites psychologiques de l'AMP. Un livre vient cependant d'être écrit à l'intention de leurs enfants pour les aider dans cette tâche : Le Mystère des graines à bébé, par Serge Tisseron (Albin Michel Jeunesse, 2008). On ne saurait dire si les explications données sont susceptibles d'éclairer les enfants ou d'aggraver leur confusion.
Pour assouplir le principe de l'anonymat sans le supprimer, l'actuel ministre de la Recherche, Valérie Pécresse, avait proposé en conclusion de sa Mission parlementaire d'information sur la famille un système de double-guichet , à l'image de ce qui se fait en Belgique. Il permettrait de préserver le droit de certains donneurs à l'anonymat, mais de proposer à d'autres de laisser certaines données. Le Comité consultatif national d'éthique se montre cependant réservé : L'existence d'enfants informés et non informés en fonction du seul souhait des parents est une question éthique dans la mesure où elle privilégie la liberté des parents et non celle des enfants et où elle crée nécessairement une discrimination. Ce système engendrerait [...] une discrimination entre les personnes nées de donneurs dans la mesure où ils n'auraient pas la même chance d'accéder à leur origine .
Aux États-Unis, le caractère nominatif – et rémunéré – du don provoque d'autres difficultés : certains hommes qui ont financé leurs études en vendant leur sperme se retrouvent recherchés par plusieurs dizaines d'enfants biologiques... Sans pouvoir ignorer la revendication des nés de parents anonymes , les praticiens français de l'AMP savent que la levée de l'anonymat conduirait à une baisse des dons. Or il y a déjà pénurie. Des voix réclament qu'on dédommage la démarche, pour les dons d'ovocytes. L'Agence de biomédecine lance deux campagnes de promotion du geste généreux (don de spermes ou d'ovocytes). D'autres regrettent que les dons d'ovocytes soient très réglementés en France. Certains avancent que 1 000 françaises se rendraient chaque année en Espagne en quête d'ovocyte : les donneuses y sont rémunérées et n'ont pas besoin d'avoir déjà enfanté... Rappelons que c'est le principe même du don de gamètes qui pose problème. Anonyme, il provoque une grave injustice. Nominatif, il permet une sélection du donneur, avec le risque de critères flirtant avec le racisme et l'eugénisme, les parents demandeurs étant logiquement enclins à revendiquer des gamètes de haute qualité (en termes d'esthétique et de compétences intellectuelles).
Victimes de la FIV ?
De façon encore peu médiatique, l'impact des modes de conception artificiels sur les personnes conçues in vitro commence à être révélé. Le psychiatre Benoît Bayle parle d' identité conceptionnelle en montrant que ce qui se passe autour de la conception n'est pas sans conséquence sur la suite de l'existence (L'Enfant à naître, Eres, 2005). On évoque un risque de syndrome du survivant , lié à la sélection et à la congélation des embryons. L'enfant pourra se sentir investi par ses parents comme ayant traversé avec succès une épreuve qui exige de lui de la performance. Il pourra se sentir coupable de vivre.
La technique de l'ICSI (choix d'un unique spermatozoïde, voire d'un spermatide – cellule sexuelle immature – dont on force la fusion avec l'ovule) fait craindre des stérilités masculines héréditaires mais aussi une proportion croissante d'anomalies que la sélection naturelle des spermatozoïdes prévient. Paradoxalement, Jacques Testard, qui a développé cette technique et qui fut très critiqué pour s'être passé de l'expérimentation animale – est aussi celui qui proteste le plus vigoureusement contre le risque du développement sauvage du diagnostic préimplantatoire (DPI) qui fait planer le spectre du meilleur des mondes , autrement dit le mythe de l'enfant parfait.
Embryons en stock
Contrairement à l'Allemagne qui a évité la congélation des embryons dits surnuméraires , la France a laissé se constituer leur stock. La seconde loi bioéthique a ouvert la porte à leur utilisation à des fins de recherche. En ce qui concerne la procréation, il est possible pour les parents de ces embryons qui renonceraient à leur projet parental de les donner... Cette pratique demeure marginale. Mais elle fait peser sur les parents qui ont des embryons en stock des décisions lourdes, auxquelles, tout à leur projet parental, ils n'avaient pas songé lors des tentatives.
Sans que cela n'ait plus de lien direct avec la procréation, rappelons que ce sont ces embryons surnuméraires qui constituent aujourd'hui la première catégorie d'êtres humains vivants susceptibles de faire l'objet de recherches. C'est à partir des dérives de l'AMP qu'un dilemme éthique impossible est posé, et qu'on a entrouvert la porte qu'on entend désormais ouvrir tout à fait. Ces embryons cobayes sont aussi le fruit de parents cobayes.
Feu d'artifices
Les limites imposées dans l'accès à l'AMP étant arbitraires, n'importe quelle personne peut logiquement réclamer qu'elles évoluent pour répondre à son cas particulier. Que répondre aux personnes célibataires, aux veufs, aux personnes homosexuelles, à celles qui sont trop âgées pour procréer naturellement, et qui ont beau jeu de poindre les caprices des couples autorisés à recourir à l'AMP ? Certains septuagénaires ont réclamé la congélation de leur sperme avant une intervention à la prostate parce qu'ils voulaient se garder la possibilité de donner un enfant à une nouvelle compagne... Les praticiens de l'AMP se disent démunis. L'opinion hésite. D'après les sondages, elle est encore hostile à 55 % à la fécondation in vitro pour les personnes homosexuelles et à 62 % pour les femmes célibataires mais déjà 53 % de Français se disent favorables à la légalisation du système des mères porteuses. Le législateur voit poindre le risque que l'AMP devienne non plus un substitut à la stérilité, mais un nouveau mode de procréation. A posteriori, l'Église voit ses prises de position confirmées par le désordre des revendications. Soufflant sur les braises, les pseudo-experts comme la psychanalyste Geneviève Delaisi de Parceval demandent qu'on en finisse avec le paternalisme en récusant le vieux modèle familial pour que tous les couples aient enfin accès à l'AMP. Elle fait partie des rares psychanalystes qui militent en faveur de la maternité pour autrui.
Adversaires de la procréation artificielles et partisans de son extension s'appuient les uns comme les autres sur la situation existante pour faire valoir leur point de vue. Un même fait, comme l'utilisation précipitée de l'AMP par des couples qui n'ont pas eu le temps de vérifier leur infertilité, est dénoncé par les premiers tandis que les seconds en concluent que les personnes homosexuelles devraient bénéficier à leur tour de ces techniques puisqu'elles ne visent plus à pallier des stérilités avérées. Pour appuyer le recours aux mères porteuses on va jusqu'à prétendre que la différence physiologique entre les genres désavantage injustement les femmes : elles ont besoin d'un utérus personnel pour devenir mères alors que leurs compagnons s'en passent (il leur suffit de disposer de gamètes pour devenir pères) ; les femmes qui ont des ovaires mais pas d'utérus souffriraient donc d'une discrimination sexiste si on leur interdit de faire appel à une mère porteuse ! Mais on peut aussi utiliser cet argument dans l'autre sens, pour aller toujours plus loin : de même que le don de sperme a donné à certaines femmes homosexuelles l'idée de la maternité jusqu'ici inenvisageable, de même le système des mères porteuses change la donne pour des hommes homosexuels en mal de paternité. Dans les deux cas, il devient possible de se procurer une descendance biologique sans recours à la relation sexuelle.
Ainsi s'articule une surenchère d'artifices dans la fabrication d'êtres humains, au mépris de leur droit élémentaire d'être conçus d'une relation sexuelle entre un homme et une femme.
Procréation artificielle et eugénisme
Au sens large du mot eugénisme, la procréation artificielle a instauré une logique eugéniste à partir du moment où il a fallu noter et sélectionner les embryons conçus in vitro, détruire les moins aptes, et éventuellement sélectionner les donneurs des gamètes utilisés, sur des critères de qualité toujours risqués quand il s'agit d'êtres humains.
Puis le diagnostic préimplantatoire a constitué une étape de plus dans le processus, puisque la fécondation in vitro devenait un moyen en tant que tel pour éviter, par le tri embryonnaire, la naissance d'enfants non-conformes.
La légalisation des bébés médicaments (ou du double-espoir ) en 2004 a constitué un échelon de plus dans la transgression puisqu'on sélectionnait un enfant, non plus pour lui-même, mais dans le but de servir à un autre, déjà né.
Ces pratiques à forte portée symbolique restent pour le moment peu développées quantitativement, mais on observe la tendance à élargir les mobiles du DPI. C'est un pot aux roses qu'on a découvert en octobre 2006 lorsque des équipes de Strasbourg ont révélé qu'elles l'utilisaient, non plus pour déceler des handicaps certains mais des prédispositions à certains cancers familiaux dits prédictifs . Un champ nouveau s'était ouvert insidieusement où eugénisme et procréation artificielle étaient à nouveau entrés en synergie. Il ne s'agissait plus d'éviter des handicaps incurables et décelés à coup sûr, mais d'éviter la naissance d'enfants ayant, à terme, 70 à 80 % de déclarer une maladie grave, pas forcément incurable. L'Agence de biomédecine vient pourtant d'apporter son soutien aux conclusions d'un rapport de l'Institut national du cancer (rendu public le 9 avril 2008) qui préconise l'élargissement du DPI sans, affirme-t-on, que la loi ait à être modifiée. Pourtant, les 22 DPI réalisés pour des cancers prédictifs (du côlon, du sein et de l'ovaire) semblent l'avoir été en violation de la loi bioéthique.
C'est une tendance à ne pas négliger en matière de dérives éthiques : on les réalise entre pairs, avec la bénédiction des sociétés savantes et des organismes parapublics sur lesquels le législateur tend à se défausser. Le ministre de la Santé a cependant indiqué que la question serait intégrée aux États généraux de la bioéthique annoncés pour 2009. Si l'AMP devenait un mode de procréation de convenance, la notion du risque individuel de développer une maladie pourrait changer considérablement le rapport de l'être humain à sa descendance, induisant des peurs nouvelles, des devoirs nouveaux et de nouvelles exclusions.
C'est dans ce contexte d'aggravation que des voix se sont élevées pour protester. C'est le cas du scénariste Nicolas Journet. Victime du syndrome de Mafran, comme quelques grands noms de la musique (Mendelssohn, Paganini) ou de la vie politique (Lincoln) il publie un éloge de l'impureté génétique (Génétiquement incorrect, Alter, 2007). Le professeur Didier Sicard, alors président du comité national consultatif d'éthique, avait osé alerter dans un entretien au Monde du 5 février 2007, quelques mois après le débat sur le Téléthon, contre l'eugénisme avec lequel la France serait un des pays qui flirte le plus, au risque d'indisposer nombre de ses pairs.
Perspectives
Trois grandes vagues de revendications pèsent sur la révision des lois bioéthiques en matière d'AMP qui risquent de se combiner en tsunami déstructurant au cours de prochaines années : une maîtrise accrue de la qualité des bébés conçus, un accès élargi à l'AMP pour des personnes ne constituant pas de véritables familles et la légitimation de la maternité éclatée. La révision des prochaines lois bioéthiques risque de nous faire franchir une étape de plus dans ces trois axes, selon des dispositions qu'on présentera comme exceptionnelles et solidement encadrées .
Cependant une double prise de conscience, déjà entamée, pourrait progressivement réorienter le débat bioéthique dans le bon sens : 1/ naître d'AMP, qui plus est avec donneur, et davantage encore si le donneur est anonyme n'a rien d'anodin ; 2/ l'eugénisme menace de plus en plus notre société ; il est plus répandu en France que dans la plupart des autres pays démocratiques, non pas du fait d'une mentalité plus sélective, mais à cause d'un système de protection sociale qui a automatisé la sélection.
Il reste que la perspective de demande d'AMP est jugée croissante : les médias le déduisent de l'augmentation de l'infertilité des couples. Estimée à + 15 % en un demi-siècle, l'infertilité augmenterait dans les mêmes proportions dans les quatre décennies à venir. Deux facteurs sont en cause : une moindre densité en spermatozoïdes du sperme des Occidentaux qu'on associe à la pollution, aux pesticides, au tabagisme et à la sédentarité, mais aussi l'augmentation de l'âge de la maternité (en France, on approche pour le premier enfant de la barre des 30 ans). Selon les épidémiologistes et démographes de l'Inserm, Henri Léridon et Rémy Slama, un couple sur cinq serait à terme concerné par la stérilité contre un sur dix actuellement. On peut s'étonner de ne pas lire parmi les hypothèses de ces mutations, tant physiologiques que sociales, la généralisation de la contraception ces dernières décennies. Quoi qu'il en soit, ces constats font prédire de beaux jours pour l'AMP, dont la demande pourrait augmenter jusqu'à 80 %... Ceci sans compter les nouvelles populations susceptibles d'en revendiquer l'accès...
Même si 50 % des actuels candidats à la procréation artificielle ressortent déçus de ce qu'on n'hésite plus à nommer leur parcours du combattant , ce taux pourrait baisser. D'une part la surenchère technologique promet des améliorations : on vient d'identifier un marqueur biologique permettant de sélectionner les ovocytes les plus aptes à faire réussir l'implantation du futur embryon. D'autre part, si l'AMP servait de moyen de procréation pour des personnes n'ayant pas de problème de fertilité, les taux de réussite augmenteraient...
Quelle alternative à l'AMP ? L'adoption internationale est en panne. Dans l'hexagone 25 000 couples sont demandeurs contre 1 000 enfants adoptables en France chaque année... Pour le moment, la coexistence de l'infertilité croissante et de 220 000 avortements par an officiellement recensés ne fait pas scandale. Il faudrait cependant s'interroger sur l'énergie et l'argent dépensés d'un côté pour ne pas engendrer ou laisser naître, et, de l'autre, pour forcer le destin et faire naître, en fermant des deux côtés les yeux sur les transgressions induites.
Même si de nouvelles catégories réclament l'accès à l'AMP, même si quelques scientifiques vont jusqu'à prédire, voire souhaiter, l'utérus artificiel , à l'image du professeur Henri Atlan dans son livre éponyme (Seuil, 2005), même si les exemples de dérives à l'étranger fragilisent les résistances hexagonales, des voix s'élèvent pour stigmatiser un acharnement procréatif croissant. Il conduit de nombreux couples à se précipiter dans un processus artificiel sans avoir laissé à la nature le temps de répondre à leur attente et d'autres à s'entêter dans ces lourds processus malgré les limites imposée par leur nature (âge, santé) ou leur mode de vie (célibataires, personnes homosexuelles).
La voix des enfants victimes des bricolages procréatifs et la confirmation par la science de l'humanité de l'embryon finiront peut-être par s'allier à la fibre écologique qui marque l'humanité en ce début de millénaire. Reconnaîtra-t-on enfin que tout être humain est l'un des nôtres dès sa conception ? On reviendrait alors à une idée simple pour procréer : faire l'amour plutôt que la guerre... à l'embryon. Mais cela supposerait aussi – au-delà des efforts à poursuivre pour remédier véritablement à la stérilité pathologique – de consentir à la frustration de désirs pourtant naturels, voire légitimes. Faire accepter pareille frustration nécessite une bonne dose de lucidité, de courage et de vertu, autant de qualités attendues de tout législateur.
T. D.*
*Délégué général de l'Alliance pour les droits de la vie.