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Anne-Marie Le Pourhiet, professeur de droit public à l’Université Rennes 1 et vice-présidente de l’Association française de droit constitutionnel, livre son analyse du pacte budgétaire à libertepolitique.com.

Dans une interview au Figaro, vous expliquiez que le principe de la règle d’or est une « extension du modèle allemand » au reste de l’Europe. Dans quelle mesure ?

Tout État ou tout père de famille peut tenir son budget en équilibre sans avoir besoin de l’écrire dans un texte, c’est une question d’auto-discipline et de volonté ! Mais il existe une tradition allemande que de tout écrire dans la Constitution. Lisez la Loi fondamentale et vous verrez sa longueur et sa précision : tout y est écrit dans le moindre détail, l’État de droit y est obsessionnel. Il y a une culture normative très poussée outre-Rhin que l’on ne retrouve pas dans les pays latins y compris en France où pourtant l’on aime bien la loi. Cette idée d’inscrire la discipline dans la Constitution est typiquement germanique.

Le fait que la règle d’or ne soit finalement pas inscrite dans la Constitution mais dans une loi organique ne la rend-elle pas moins nocive ?

L’objectif d’équilibre des comptes des administrations publiques est déjà écrit dans la Constitution française depuis 2008. Ce n’est jamais la « règle d’or » elle-même, c’est-à-dire le montant précis des déficits autorisés et le détail des trajectoires, qui est inscrite dans la Constitution mais la compétence du législateur pour prescrire le dispositif d’équilibre. Cette compétence aura un fondement organique au lieu d’un fondement constitutionnel, mais nous avons bien compris qu’elle a surtout un fondement « externe » domicilié à Berlin. 

Justement, quelle sera la conséquence de l’instauration d’une règle d’or sur notre souveraineté ?

Notre souveraineté sera évidemment encore davantage amputée puisque chacun sait que le budget est l’un des éléments fondamentaux de la souveraineté d’un État et que le consentement des citoyens à l’impôt fût historiquement le cœur de la démocratie. L’article 1er du projet de loi organique déposé par le gouvernement se réfère immédiatement, dès la première phrase, au pacte budgétaire européen signifiant ainsi clairement l’allégeance du législateur français à la puissance dominante, à travers un traité dont pas une virgule n’a été renégociée par François Hollande.

Comment expliquez-vous, dès lors, que le Conseil constitutionnel n’ait pas jugé nécessaire de modifier la Loi fondamentale ?

Je ne suis pas dans les secrets des délibérations du Conseil constitutionnel mais j’avoue avoir été très surprise car il s’agit tout de même, concrètement, d’aboutir au même résultat que celui que souhaitait obtenir Nicolas Sarkozy en 2011 quand il a proposé de réviser la Constitution pour créer des lois-cadres d’équilibre des finances publiques qui s’imposeraient aux lois de finances et de financement de la sécurité sociale. À l’époque, il avait été jugé par les experts, et notamment le rapport Camdessus, que l’on ne pouvait pas réaliser un dispositif obligatoire à droit constitutionnel constant et qu’il fallait donc bien réviser notamment les articles 34, 47 et 47-1 et même 61 (sur le contrôle du Conseil constitutionnel) de la Constitution.

Dans sa décision, le Conseil constitutionnel a été d’un flou magistral, notamment en recourant à ce que vous appelez « l’interprétation neutralisante ». De quoi s’agit-il ?

Le Conseil s’est appuyé sur la rédaction ambigüe d’une phrase du pacte budgétaire indiquant  que les dispositions instituant la «  règle d’or »  prennent effet dans le droit national, soit « au moyen de dispositions contraignantes et permanentes, de préférence constitutionnelles », soit au moyen de dispositions « dont le plein respect et la stricte observance tout au long des processus budgétaires nationaux sont garantis de quelque autre façon », pour en déduire que si le gouvernement français faisait le second choix prétendument « non contraignant » il ne serait pas nécessaire de réviser la Constitution. Selon lui,  l’on pourrait simplement se servir, dans ce cas,  des lois de programmation déjà mentionnées à l’article 34 de la Constitution en  adoptant simplement une loi organique d’encadrement. De cette façon, il « neutralise » le traité et évite au gouvernement une révision constitutionnelle. Ce n’est pas tout à fait convaincant car la loi organique, elle, aura bien une valeur contraignante et l’on voit bien aujourd’hui, en lisant le projet, que les dispositions des lois de programmation seront bel et bien aussi obligatoires même si, en effet, il n’est pas expressément prévu qu’elles s’imposent aux lois de finances et de financement de la sécurité sociale.

On arrive finalement à une situation paradoxale : le projet Sarkozy proposait de réviser la Constitution alors même qu’il ne s’agissait pas, alors, de se plier aux exigences d’un traité, en revanche, maintenant, on ne révise plus la Constitution pour arriver au même résultat mais en application d’un traité qui nous oblige ! 

La ratification du traité ouvrira-t-elle une nouvelle étape dans la crise de l’euro, et plus généralement dans le dysfonctionnement de l’Europe ? 

N’en demandez pas trop au constitutionaliste ... Je constate simplement que ce traité ne suffit évidemment pas encore et que voici venir l’Union bancaire dont on annonce déjà qu’elle devra impérativement être suivie de l’Union politique, il fallait s’y attendre.  M. Barroso nous ressert bien sûr sa « fédération démocratique d’États-nations ». Errare humanum est, perseverare diabolicum est !

Propos recueillis par Laurent Ottavi.