Pour une poignée de scientifiques français, la libéralisation de la recherche sur l'embryon est la mère de toutes les batailles. Marc Peschanski est de ceux-là. L'homme a décidé de passer à l'offensive en présentant le 31 mars, à grands renforts de publicité, les résultats d'une étude qu'il qualifie de  première scientifique obtenue grâce à des cellules souches issues d'un diagnostic préimplantatoire [1] .

Le directeur scientifique de l'Institut I-Stem d'Evry – un des plus grands complexes de recherche sur l'embryon en Europe financé en partie par le Téléthon – dit être parvenu à identifier à partir de cellules embryonnaires humaines les mécanismes jusqu'alors inconnus de la dystrophie myotonique de Steinert, une maladie neuromusculaire d'origine génétique, ainsi que deux composés pharmacologiques potentiellement utiles dans son traitement.

Prouesse scientifique ou nouvel effet d'annonce pour forcer la main des sénateurs qui vont entamer à leur tour l'examen du projet de loi relatif à la bioéthique ? Essayons de lever un coin du voile.

Eugénisme et utilitarisme

Ce que Peschanski ne dit pas vraiment, c'est qu'il s'est en fait servi d'embryons humains malades qu'il a ensuite détruits pour dériver les lignées de cellules souches porteuses de la mutation dont il avait besoin. Opérant ainsi une double transgression. Car non seulement les embryons fabriqués par fécondation in vitro et suspects d'avoir le défaut génétique recherché sont écartés après le tri du diagnostic préimplantatoire (DPI) mais ils sont en outre transformés en matière première au bénéfice des chercheurs. Mentalité eugéniste d'un côté, logique utilitariste d'exploitation par la science d'un être humain malade réduit à un vulgaire matériau de laboratoire de l'autre.

La présence lors de la conférence de presse de Laurence Tiennot-Herment, présidente de l'Association française contre les myopathies (AFM) est éloquente. Les dirigeants de l'AFM n'ont ménagé aucun effort dans les années 90 pour que la France autorise in extremis le diagnostic préimplantatoire. Ils ont encore usé de toute leur influence en 2004 pour que notre pays ouvre une brèche dans l'interdit de la recherche sur l'embryon.

Il est donc parfaitement logique que l'AFM via le Téléthon finance aujourd'hui à hauteur de 50% les travaux de Marc Peschanski qui se targue d'être le spécialiste français de la culture de cellules souches issues d'embryons rejetés après DPI.

D'autre part, les expériences en question nous semblent tout à fait contraires à l'esprit de la loi quand bien même l'objectif d'étudier à l'échelon cellulaire le processus d'une maladie et de tester des molécules susceptibles d'avoir un potentiel thérapeutique est en soi légitime. En effet, ce n'est qu'à titre exceptionnel que le législateur a accepté en 2004 de déroger à l'interdit de la recherche sur l'embryon, notamment à la condition stricte qu'il n'existe aucune méthode équivalente.

Or, de l'avis unanime de la communauté scientifiques internationale, la modélisation d'une pathologie ainsi que le criblage de molécules d'intérêt pharmacologique nécessaire à la création d'un futur médicament sont l'indication numéro un des fameuses cellules souches induites dites iPS découvertes par Yamanaka en 2006. Pour avoir mis au point la technique de reprogrammation d'une cellule adulte en cellule souche, qualifiée par la prestigieuse revue Science de  tournant éthique et politique majeur permettant de s'affranchir de l'embryon , le professeur japonais vient de se voir décerner le Prix 2011 de la recherche biomédicale aux Etats-Unis (Washington Post, 16 mars 2011 révélé par Genethique cette semaine).

L'intérêt de ces cellules taillées sur mesure est bien sûr considérable. Nous avions fait état ici même (cf. LP.com du 1er décembre 2010) d'un accord stratégique signé entre la firme française Cellectis et le Centre nippon de recherche et d'application des iPS du professeur Yamanaka dans le but de produire des lignées d'iPS de façon industrielle pour constituer des banques de cellules souches induites issues de patients porteurs de différentes pathologies génétiques ou chromosomiques.

Le biologiste Jacques Testard a redit sans la moindre ambiguïté le 12 janvier dernier devant la commission parlementaire spéciale que les  iPS constituent bien une méthode alternative d'efficacité comparable en l'état des connaissances scientifiques [...] et permettent d'obtenir un bien plus grand nombre de lignées, beaucoup plus diverses que les cellules embryonnaires, ce qui devrait permettre de répondre aux enjeux économiques des tests de toxicité des molécules pharmacologiques .

Point de vue partagé par le professeur Alain Privat auditionné à l'Assemblée nationale le même jour :  Une équipe de l'université du Connecticut a pu, à partir de cellules prélevées chez des patients atteints du syndrome d'Angelman ou du syndrome de Prader-Wili, obtenir des cellules nerveuses différenciées et commencer à tester des stratégies thérapeutiques sur celles-ci. Les cellules iPS permettent non seulement de modéliser mais d'être directement au contact d'une pathologie .

Faire sauter l'interdit de principe

Peu importe que la science avance, Marc Peschanski et ses sponsors ont tout misé sur la technologie très lucrative du  criblage à haut débit  sur cellules souches embryonnaires humaines. Un article des Echos nous apprenait en juin 2009 que le labo français avait reçu  7,5 millions d'euros du groupe pharmaceutique suisse Roche pour initier ses équipes à cette technique [2] . Au vu des sommes colossales brassées et du marché juteux qui est en jeu, il n'est guère surprenant qu'I-Stem et l'AFM soient peu enclins à se remettre en cause au nom de principes éthiques qui sont le cadet de leurs soucis.

L'annonce de Peschanski concomitante de la reprise mardi 5 avril du débat bioéthique au Palais du Luxembourg relève en outre d'un "plan com'" savamment orchestré, lequel vise à  encourager  les sénateurs les plus libéraux, qu'ils soient de droite ou de gauche, à supprimer purement et simplement l'interdit de principe de la recherche sur l'embryon reconduit il y a quelques semaines par les députés.

D'ores et déjà, Alain Milon (UMP) a obtenu que la commission des affaires sociales dont il est le rapporteur se rallie à sa proposition de passer d'un système d'interdiction avec dérogation à un régime d'autorisation de la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires humaines. Un revirement contre son propre camp extrêmement inquiétant avant l'ouverture de la discussion publique au Sénat la semaine prochaine.

 

 

 

[1]  Nouvelle première scientifique grâce aux cellules souches embryonnaires humaines , I-Stem, Inserm, AFM, 31 mars 2011.
[2] Catherine Ducruet,  Roche s'initie aux cellules souches avec un labo français , Les Echos, 29 juin 2009.