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Les médias arabes

Les médias arabes
  • Auteur : Tourya Guaaybess
  • Editeur : CNRS éditions
  • Année : 2011
  • Nombre de pages : 234
  • Prix : 25,00 €

« Confluence et dynamique sociale », tel est le sous-titre du livre très complet de ce sociologue de l’usage des nouveaux moyens de communication dans la sphère arabo-musulmane. Par-delà l’engouement, voire la fascination bien compréhensible que ces nouveaux outils peuvent exercer dans la jeunesse de ces pays, on répondra qu’il se pourrait que le lieu vers lequel précisément ‘‘confluent’’ ces nouveaux médiums (pour reprendre le fameux vocable inventé par Mac Luhan) ne soit à terme que l’anglo-américain, ce «globish» à quoi finirait de s’assimiler sans même qu’il ne s’en rende compte le meilleur de la civilisation arabo-musulmane, précision faite que le propre de celle-ci est, justement, d’embrasser d’un même geste la religion, le droit et tout ce qui, chez elle, s’ensuit par principe. La dynamique qui en résulterait tendrait d’autre part à araser culturellement les couches sociales, les particularités culturelles propres à chacune se noyant petit à petit dans un étourdissement de variétés, réceptacle (et, qui sait, un jour derniers vestiges) des spectacles, des jeux qui avaient contribué à abêtir les masses des contrées de l’Occident. En ce sens, les nouvelles techniques mises au service des médias des Proche et Moyen Orients n’auraient alors contribué qu’à propager le pire de la culture mondialisée,- cette aporie. 

Ce danger n’est pas seulement théorique. Il est aussi pratique ainsi que le relève le linguiste Claude Hagège : «On s’est plu à souligner le rôle essentiel joué par ces produits américains vendus en anglais, par ces modes de communication (comme Facebook, Twitter et Youtube) dans les révolutions qui ont secoué, dès le début de l’année 2011, plusieurs pouvoirs despotiques jugulant jusque-là les populations de pays arabes. Ces modes de communication appartiennent à des sociétés privées, dont les propriétaires sont, en principe, indépendants du gouvernement américain, avec lequel ils peuvent même entrer en conflit, comme on l’a vu dans l’affaire Wikileaks lorsque Facebook s’est solidarisé avec ce site et a refusé, en fin 2010, de censurer ses comptes. Facebook et Twitter ont reçu de procureurs fédéraux diverses injonctions les sommant de livrer les informations qu’ils détiennent. S’ils perdaient les procès qu’ils ont engagés pour défendre leur indépendance, alors les révolutionnaires et rebelles du tiers-monde seraient exposés, malgré la confidentialité qui leur est garantie, à l’éventualité d’un accès direct de l’administration américaine à leurs messages privés» [1].

A y bien regarder, les médias arabes audiovisuels (dans lesquels nous incluons la téléphonie mobile) sont donc au milieu du gué. Soit se vérifiera la thèse qui soutient l’incompatibilité des principes, mœurs, coutumes et croyances propres au monde musulman avec la civilisation occidentale judéo-chrétienne et, alors, le progrès des techniques de communication (celle-ci fusse-t-elle opérée en langue arabo-globish), d’origine européenne ou américaine n’aura été qu’au service de la perpétuation des premiers (que l’observateur occidental, de son point de vue, la juge pour le meilleur ou pour le pire) ; soit les télévisions et la téléphonie de la péninsule arabique et de ses satellites sunnites n’auront eu, historiquement, de fait, pour objet que d’assimiler (c’est-à-dire en l’occurrence moderniser en uniformisant) à longue échéance au(x) canon(s) de l’Occident américano-démocrate des populations – un peuple, le peuple arabe – qui aurait perdu tout son sel.

Il se peut que ce soit là la morale implicite de cet ouvrage fouillé qui doit de plus fort nous inciter à nous arrimer à l’écrit. Les futurs aurores de l’Arabie heureuse ne se lèveront peut-être pas du sein des nouveaux médias arabes mais de la bonne vieille presse transfusée en partie d’un sang nouveau. En un mot, L’Orient-Le Jour dirait-on à Beyrouth. N’est-ce pas Alexandre Najjar ? [2].    

Hubert de Champris

[1] Claude Hagège, Contre la pensée unique, Odile Jacob.

[2] Lire aux éditions Actes Sud sa biographie de Kadhafi.


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