Nos coups de coeur

Le pays où la vie est plus dure

Le pays où la vie est plus dure
  • Auteur : Philippe Manière
  • Editeur : Grasset
  • Année : 2012
  • Nombre de pages : 301
  • Prix : 18,00 €

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Titre : Une volonté française

Auteur : Albert Salon

Editions : Glyphe

Nombre de pages : 284

Prix : 20,00 €

«Bon sang, mais c’est bien sûr !» Ce n’est qu’après moult ruminations que nous sommes parvenus à nous extraire de l’impression bizarre dans laquelle nous avait plongé le dernier livre en date de l’ancien journaliste et directeur de cette fameuse société de pensée qu’est l’Institut Montaigne. Le jeune Philippe Manière, aujourd’hui et comme tant d’autres, de son acabit ou non, institué ‘‘consultant’’, fournit en ce Pays une contribution supplémentaire à la pensée dominante, - la fameuse «pensée unique» - qui nous prescrit de réformer encore plus, croyant avoir à bon escient diagnostiqué que tous nos maux provenaient d’un immobilisme bien à la française. On voit, n’est-ce pas, que ce livre s’inscrit tout à fait dans la lignée des derniers essais de Roland Hureaux [1], de Philippe Muray ou Régis Debray pour rester dans la rime. L’impression bizarre à laquelle il est fait allusion plus haut naît qu’on ne parvient à cerner d’emblée la ligne éditoriale directrice qui guide l’auteur tant les observations justes touchant aux rouages administratifs grippés, aux syndicats etc sont toutes placées sous les auspices du «Dieu se rit des hommes qui déplorent les maux dont ils louent la cause», formule que Bossuet et les critiques contemporains de l’ère post-moderne ne se lassent jamais d’ériger en formule explicative de toutes nos contradictions ignorées. Philippe Manière lève donc le masque page 261 : «La Révolution française s’est, surtout, inconsciemment moulée dans les structures préexistantes, substituant l’Etat au Roi, l’élection à l’onction et la raison à la tradition.» Hormis par sa langue, qui est correcte, Manière est ainsi un post-moderne, un docte représentant et défenseur de ce que Jean-François Mattéi préfère appeler la Modernité tardive (ce qui n’est pas très gentil pour la modernité).

Un dominicain, le frère Thierry-Dominique Humbrecht, nous a récemment caractérisé à la télévision le post-moderne lambda. Le Moderne, lui, conteste, mais de manière argumentée, - sujet, verbe, complément -, il va opposer une raison particulière à la Raison ; c’est, avec lui, système contre système, et, pour ainsi dire, avec lui, on reste en bonne compagnie. Le ‘‘post-moderne’’, lui, entend tout d’une autre oreille. Tant dans la forme que dans le fond, son propos est déstructuré : on ne cerne ni d’où il part, ni où il en veut en venir, si ce n’est à lui-même et à sa bulle. Notre dominicain ajoutait qu’un rictus énervé assombrissait plus encore son visage lorsque vous employiez un mot compliqué. Bref, il est très difficile de discuter avec lui, c’est-à-dire avec tous, puisque, post-moderne, peu ou prou, tous dans notre entourage le sont, fusse à l’insu de leur plein gré.

Au dessus de la brume des Everglades, un avion se rapproche dangereusement d’un sol fait d’herbes coupantes et d’alligators. Turn left, right now crie le contrôleur aérien dans l’oreille du pilote. Que pensez-vous qu’il en fut ? La langue anglaise serait-elle une langue bête ? Ou, au contraire, d’une subtilité ignorée ? En tous cas, Claude Hagège [2] rappelle que même, en tant que langue véhiculaire de la planète entière, elle n’est pas forcément la plus adaptée. Et qu’elle n’a pas, loin s’en faut, fait ses preuves en tant que langue d’usage dans le contrôle aérien puisque son imprécision, comme le montre l’exemple ci-dessus, fut à l’origine de plusieurs catastrophes. La langue chemine avec son véhicule, qui est un homme, un homme qui est d’un pays, d’un pays qui, s’il est une démocratie, dispose (et peut donc le déposer) d’un souverain, d’une souveraineté indivisible qui ne saurait, à moins de s’annuler, se transférer (mais seulement se déléguer provisoirement), d’une souveraineté dont l’un des bras armés est sa monnaie. Comme le roi, le Président de la République doit être «empereur en son royaume», les pouvoirs des parlements et des Conseils devant être modulés en fonction du degré de « centralité » du pouvoir. Bref, c’est toute à une éthique propre à l’Ancien Régime (lequel s’est poursuivi à un certain degré dans certaines des Républiques françaises) que nous conseille de revenir Albert Salon, grand politologue de la langue française auprès de qui les Encrevé, Rey et autres lexicographes permissifs devraient se ranger (comme on le dirait d’une dame qui a beaucoup vécu et qui, âgée, s’assagirait). Salon montre l’unité de toutes les fonctions quasi-sacerdotales propres à chaque langue, particulièrement à la langue de France, qui, comme cette dernière, a reçu un baptême aux promesses desquelles, la paresse aidant, elle tend ces temps-ci à se montrer de plus en plus infidèles. Si l’on doit tant tenir à bien parler, c’est que cette qualité commande notre bien-pensée. Sujet-verbe-compliment. On n’en sort pas. Vous ferez du dernier Salon votre bréviaire et le havre de vos devoirs de vacances. Ainsi par exemple, pour compléter cette recension, commencerez-vous par établir le catalogue de toutes les erreurs que ne manqueraient pas de commettre les dirigeants politiques qui refuseraient d’ériger Une volonté française de facture gaullo-capétienne au cœur et au principe du Pays où la vie est plus dure.

Hubert de Champris

[1] voir dans cette rubrique la critique de La grande démolition.

[2] voir dans cette rubrique et en Fil la critique de Contre la pensée unique.


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