Nos coups de coeur
L’anarchisme fascine et repousse à la fois. Pas étonnant qu’il attire les catholiques volontiers rebelles, en mal de révolte contre le règne de l’argent et le conformisme des puissants.
Falk Van Gaver et Jacques de Guillebon reconnaissent dès le début de leur livre les limites de leur démarche. « Si l’on y voit des erreurs et des manques, écrivent-ils, il n’en faudra attribuer la responsabilité qu’aux ombres de la forêt obscure dans laquelle nous errons toujours. » Le christianisme n’est-il pas tout sauf un désordre, bien éloigné de l’anarchie ? Si l’on en croit Proudhon, « l’anarchie, c’est l’ordre sans le pouvoir ». Anarchisme et catholicisme seraient-ils donc compatibles ? L’alternative proposée par Léon Bloy laisse peu planer le doute : « La minute est infiniment prochaine où les enfants même du peuple écriront sur les murs croulants de Sodome, ces simples mots : Le catholicisme ou le pétard ! Choisissez donc une bonne fois, si vous n’êtes pas des morts. »
L’anarchiste, comme le chrétien n’acceptent pas la servitude. Bernanos le rappelle : « Ce n’est pas la servitude qui fait l’esclave, c’est l’acceptation de la servitude. Et il y a une chose, pire que l’acceptation de la servitude, c’est d’y conformer sa vie au point d’y trouver ses aises, et, finalement, de l’ignorer. »
Radicalité
Le catholique a beaucoup à apprendre de l’anarchiste et de sa radicalité. Le refus de « la toute-puissance de l’État moderne », du « capital prédateur », causes de biens des maux actuels, n’a en effet pas été intégré par la plupart des disciples du Christ. Lesquels se contentent le plus souvent de mener une petite vie bien rangée et de voter à droite, sans faire trop de remous. Ni se remettre en question.
Or, c’est bien vers une remise en question que nous amène « l’anarchrisme », comme les auteurs désignent l’anarchisme chrétien. Convoquant avec profusion des auteurs variés (Tolstoï, Thibon, Proudhon, Jünger, Rimbaud…), ce recueil de textes stimulants proposé par Van Gaver et Guillebon nous pousse dans nos retranchements. Ils nous disent : « Si vous êtes pour “une société libre, digne, décente, juste, humaine, communautaire, familiale, locale, villageoise, amicale, une vie libre, simple, naturelle, décente et digne d’être vécue”, alors vous êtes anarchistes. » Quel chrétien, alors, ne serait pas anarchiste ?
C’est peut-être là que le bât blesse. Dans leur volonté louable de bousculer les paralysés de la remise en question, les auteurs se lancent en désordre dans la bataille. Le refus de donner une « définition doctrinale » de l’anarchie est commode, car il permet d’élargir sans limites le territoire des anarchistes chrétiens. Mais si tout le monde est anarchiste, personne ne l’est vraiment. Peut-être est-ce volontaire, mais à trop vouloir brouiller les pistes, on risque de s’y perdre soi-même…
Conversion
En lisant ce livre, on pourrait avoir l’impression que nos deux « anarchristes » ne croient pas vraiment à ce qu’ils écrivent. Non que cela ne soit pas pensé ni mûri, mais cela semble frôler la posture, dans le sillage de la vigoureuse tradition des anars de droite. Posture qui permet de fustiger le bourgeois, ce dont, certes, on ne saurait trop se priver. Non ! l’enjeu est à mille lieues de l’esthétique. Il est d’abord intérieur. Quand Jésus dit être « venu en ce monde pour une remise en question » (Jn, 9, 1), sa révolution commence par une vraie conversion personnelle qui ne joue pas sur les mots.
Il reste que cet ouvrage est un monument d’érudition qui bouscule. Le chrétien réticent à se convertir à l’anarchisme y trouvera, malgré lui sans doute, des maîtres pour se convertir dans la recherche du bien commun, « pour la reconquête de nos dignités et de nos libertés ». Creuser ce qui unit les hommes de bonne volonté est finalement la plus grande intuition d’AnarChrist.
François de Lens
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