Retour sur la politique française en Afrique

En réponse à une attaque du Monde, par la voix d'un ancien ambassadeur, Olivier Hanne, maître de conférences (qualifié), chercheur-associé à l’université d’Aix-Marseille, co-auteur de Jihâh au Sahel, Menaces, opération Barkhane, coopération régionale, Giovanangeli Editeur, Paris, 2015, entend défendre la position française passée au Mali.

Le site Le Monde publiait le 26 juillet dernier un article de Nicolas Normand, ancien ambassadeur de France au Mali, intitulé « Au Mali, le chaos résulte d’une succession de faux pas de la diplomatie française ».  Cet article s’inscrit dans une récente série d’analyses de nombreux médias pointant du doigt l’opération française, ainsi que le G5-Sahel et la Force conjointe, accusés d’être des acteurs du chaos au Sahel (1). L’idée sous-jacente est toujours la même : la France poursuit au Mali une politique néo-coloniale qui ne se dit pas, afin d’assurer ses intérêts géopolitiques, gaziers, nucléaires, protéger ses amis dictateurs, etc…

Les « faux pas de la diplomatie française » seraient : la distinction entre groupes armés et terroristes, entre Touareg sécessionnistes et les autres communautés du Nord-Mali, l’instrumentalisation de Barkhane dans les luttes intertouareg, le mauvais accord de paix passé avec des groupes armés sous l’égide d’Alger, le phénomène de lutte interethnique dans le centre, les fragilités de l’État malien… On s’étonne qu’un diplomate ayant vécu sur place et ancien direction-adjoint de l’IHEDN puisse aligner autant d’approximations pour justifier son propos.

Barkhane n’est pas sans défauts, loin s’en faut. J’en avais moi-même identifié quelques-uns (2). La montée des tensions interethniques dans le centre du Mali montre que cette opération est insuffisante à garantir la stabilité, laquelle ne se gagne pas seulement par l’action militaire. On ne peut pourtant lui imputer la responsabilité du chaos actuel, ni à la diplomatie française, qui a suivi – pour une fois – une ligne directrice cohérente depuis 2012.

Si Paris a distingué les groupes armés c’est parce que le MNLA a renoncé en octobre 2012 à son alliance avec les groupes djihadistes et a accepté de négocier. Sans ce retournement, l’opération Serval aurait été beaucoup plus compliquée et meurtrière. Ce mouvement refuse toujours de rendre les armes au profit de Bamako, raison pour laquelle la pression internationale et celle de Barkhane doit aboutir à faire respecter l’accord d’Alger. On ne peut par la seule force briser la résistance du MNLA, qui est l’acteur politique majeur dans le Nord-Mali depuis trente ans. N’en déplaise à l’ambassadeur, il faut de la diplomatie et du temps…

La France n’a nullement choisi de soutenir les Touareg sécessionnistes contre les Imghad du GATIA et du général Gamou. L’opération Barkhane n’est réalisable qu’avec l’accord des pays impliqués, c’est dire que rien de ce qui se passe au Mali n’est possible sans le soutien explicite des autorités de Bamako. Pour gagner la paix, la France – et ses alliés, car elle n’agit pas seule – maintient les négociations avec les groupes qui participent aux accord de Ouagadougou (juin 2013) et d’Alger (juin 2015), tout en les frappant lorsqu’ils mènent des opérations militaires contre les FAMA (Forces armées maliennes) (3). Jamais Paris n’a évoqué l’idée d’une partition ou même d’une autonomie de l’Azawad. Quant au général Gamou, dès lors que ce dernier a été réintégré dans les FAMA la France a travaillé avec lui, comme avec les autres autorités militaires, mais le GATIA joue lui aussi régulièrement contre l’intégrité de l’État malien (4).

Nicolas Normand assure que la France a été instrumentalisée par les Touareg ; c’est pourtant l’inverse que l’on raconte à Bamako ! Quant à l’opportunisme d’Alger, que pouvait faire Paris ? Refuser l’immixion de l’Algérie dans la résolution du problème malien, lequel concerne toute la sous-région ? L’Algérie est l’une des clés de la pacification au Sahel. Comment refuser sa présence ? Alger ayant apporté son soutien au Haut Conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA), réunion des groupes touareg non djihadistes, pouvait-on balayer le HCUA des négociations ? Le Maroc est lui aussi intervenu au pire moment, en janvier 2014, lorsque les FAMA furent chassées de certaines villes du nord par le MNLA : le roi du Maroc invita le chef de ce groupe, Billal Ag Cherif, à prier avec lui à Marrakech. Croire que Bamako et Paris peuvent ignorer ces intrusions diplomatiques relève de la naïveté…

Quant aux tensions interethniques dans la région de Mopti, celles-ci ont commencé dès 2015 : certaines populations peules ont adhéré à un mouvement ethnico-islamiste, mené par le Front de Libération du Macina (FLM) qui joue sur la stigmatisation des Peuls dans la zone et prétend restaurer la fierté peule, en s’inspirant du djihadisme. En 2016, les ethnies qui se sentent menacées se sont armées : Peuls et Touareg contre Subsahariens, Touareg entre eux, montée vers l’islamisme. L’année suivante, un phénomène de milicianisation a commencé à échapper au contrôle de l’armée et de Bamako.

La France n’a aucune responsabilité dans ces récents développements : nos forces sont absentes du centre où agit essentiellement la MINUSMA pour garantir une certaine stabilité sociale. Pour le moment, Bamako n’a demandé aucune intervention internationale autour de Mopti, la France se garde donc de toute ingérence. Les tensions interethniques ont pour facteurs principaux les questions de droit à la terre, de paturage des Peuls, d’islamisation subventionnée par le wahhabisme et de terrorisme organisé par le FLM. Affirmer que Paris et l’armée française seraient des facteurs – même indirects – de tels phénomènes est un mensonge.

En conclusion, l’instabilité sous-régionale dépasse le cadre d’analyse étroit que propose Nicolas Normand. Il ne suffit pas de pointer du doigt la France pour prétendre identifier des responsables. La diplomatie française est prise entre une multitude d’acteurs locaux (Bamako, Touareg, Imghad, Subsahariens, etc) et internationaux (ONU, Union européenne, Algérie, Maroc, etc…) qu’elle ne peut négliger si l’on veut construire une paix durable. Quant à l’armée elle-même, toutes ses opérations sont menées en partenariat avec le G5-Sahel et la Force conjointe ; leurs objectifs sont militaires et non politiques. Il n’y a là aucun néo-colonialisme, aucune défense d’intérêts économiques privés, aucun machiavélisme…

 

NOTES

1. Même analyse dans OrientXXI (https://orientxxi.info/magazine/le-chaos-constructif-s-etend-dans-le-sahel,2126) ou sur des sites africains (ex. : http://niarela.net/nord-mali/nord-du-mali-la-france-ou-le-chaos), ou encore : http://www.leblogfinance.com/2015/08/mali-la-strategie-du-chaos-pour-la-main-mise-de-luranium-du-gaz-et-du-petrole.html

2. http://resmilitaris.net/ressources/10249/29/res_militaris_article_hanne_succes_et_limites_de_l_operation_barkhane.pdf

3. Le 15 janvier 2015, vingt civils et sept Casques bleus sont tués à Tabankort. En réaction, un hélicoptère de la MINUSMA frappe le MNLA et tue six de ses membres.

4. Son communiqué du 15 septembre 2016 montre que le GATIA mène des patrouilles en toute autonomie et organise sa diplomatie parallèle. Il en appelle toutefois lui aussi à respecter les accords d’Alger.

Retrouvez l'article sur http://www.geoculture.org/pages/afrique/barkhane-et-la-diplomatie-francaise-responsables-du-chaos.html