Des effets néfastes des gratte-ciel

Source [netji.fr] Les architectes stars et les maires de grandes villes aiment répéter que l’histoire est vivante, qu’une ville qui n’évolue pas se transformera fatalement en un musée sans vie.

 

 

Interdire la construction de gratte-ciel reviendrait ainsi à refuser toute modernité. Le journal Le Monde comparait en 2014 les choix en matière d’urbanisme des villes de Londres et Paris de la manière suivante :« Villes modernes et mouvantes contre villes classiques et pétrifiées, le débat est lancé. Faire évoluer, quitte à choquer, ou conserver, quitte à étouffer ? »

Dans ce même article Jean Nouvel, aujourd’hui 74 ans, expliquait à quel point la construction de tours est extraordinaire :  « Cette façon de bousculer la ville historique, de donner une nouvelle skyline, apporte une énorme énergieLondres est en train de réussir son pari urbain à la City. La logique des dirigeants consiste à dire que l’histoire est vivante et que l’architecture doit évoluer. C’est le contraire d’une politique de conservation, qui place des quartiers entiers dans le formol. »

Toujours en 2014, suite au rejet par le Conseil de Paris du projet de la tour Triangle à la porte de Versailles, Guy Burgel – 80 ans et ancien professeur de géographie urbaine à l’université Paris Ouest-Nanterre – déclarait : « cette décision est dramatique pour l’avenir de la capitale. Une ville qui ne change pas est une ville qui meurt ».

Par le vocabulaire employé, on comprend rapidement que les partisans des tours réduisent le débat à l’éternelle querelle des anciens contre les modernes. Dans cette vision manichéenne, les anciens sont évidemment de dangereux réactionnaires passéistes, et les modernes de gentils progressistes œuvrant pour un futur radieux.

Je me demande parfois qui a inventé cette idée qu’une ville moderne se devait d’avoir des gratte-ciel ? Georges Pompidou avec sa tour Montparnasse ? Peut-être … En tout cas, la modernité a parfois le parfum du passé, ou plus précisément celui des années 60-70.

Mais une fois mis de côté tous ces éléments de langage et ces jugements de valeur, qu’en est-il des véritables avantages et inconvénients de ce type de constructions ? Quelles conséquences peuvent avoir de tels édifices sur nos villes ?  Pour tenter d’y répondre, nous allons étudier le cas de la City de Londres, régulièrement cité comme étant l’exemple absolu à suivre par les partisans des tours de grande hauteur.

Construire en hauteur pour économiser l’espace au sol

C’est l’argument que l’on entend le plus souvent en faveur de la construction de tours pour de grandes villes comme Paris. Comme la capitale française est densément bâtie et le foncier complètement saturé, il faudrait donc aller en hauteur, notamment pour offrir de nouveaux logements dont la ville manque cruellement et ainsi éviter l’étalement urbain qui contraint les habitants à des temps de trajet de plus en plus longs.

Mais avec d’importants surcoûts de construction et de maintenance, seuls aujourd’hui les projets immobiliers de luxe peuvent financer la construction de tels édifices.

C’est le cas du plus haut gratte-ciel de la capitale britannique The Shard. Haut de 304 mètres et conçu par le célèbre architecte Renzo Piano, il est à Londres un des rares bâtiments de grande hauteur à proposer des logements, mais les prix débutent à €35 millions et atteignent pour les appartements les plus hauts de la tour €60 millions.

On le comprend très bien, the Shard n’a jamais eu pour but de réduire le problème du logement dans la ville. Il ne s’adresse qu’à une élite fortunée qui au contraire est la grande gagnante de la bulle immobilière londonienne.

Zoning

Si les grandes tours ne sont pas une solution au manque de logements à cause de leur coût, elles sont cependant depuis longtemps utilisées en tant qu’immeubles de bureaux. Et cela pour deux raisons, la première est technique, la seconde urbanistique.

La raison technique remonte à l’émergence après-guerre de grandes entreprises et de multinationales qui souhaitaient regrouper sur un même site l’ensemble des employés de leurs sièges sociaux. Cette centralisation permettait de faciliter les échanges et télécommunications entre les différents services. Être regroupé dans un seul et unique endroit offrait la possibilité d’avoir un système téléphonique interne gratuit, d’échanger rapidement des documents à une époque où ceux-ci étaient tous en papier, et d’installer de volumineuses archives accessibles à tous.

En 2020, à l’ère d’internet, du tout numérique, du télétravail et des communications unifiées, cette nécessité a complètement disparu.

La raison urbanistique quant à elle, est la conséquence de la politique du zoning (zonage en français) qui consiste à imposer un usage exclusif pour chaque zone de la métropole. Dans ce modèle, le quartier dédié au monde du travail doit être connecté à l’ensemble des autres quartiers à usage d’habitation. Il se retrouve ainsi généralement dans le centre géographique de la ville, à l’endroit où convergent les réseaux de transports. C’est le fameux modèle anglo-saxon du CBD entouré de ses immenses banlieues dortoirs.

Le CBD étant géographiquement limité au centre de la ville, il ne peut se développer qu’en hauteur afin de concentrer le plus d’emplois possible dans un espace restreint. De l’autre côté de la manche, cette logique du zoning encourage la construction de tours de bureaux toujours plus hautes alors même que leurs conséquences en termes d’urbanisme et de transports sont catastrophiques.

Une utilisation absurde des transports en commun

La population de la City était en 2016 de 9 400 habitants – contre 132 000 habitants en 1851. Le quartier est relativement peu habité, avec  une densité de 3200 hab./km2 (en comparaison, le 3ème et 4ème arrondissements de Paris comptent respectivement 30 872 hab./km2 et 17 429 hab./km2).

Si depuis le 19ème siècle, la population de la City s’est effondrée, le nombre d’emplois a lui explosé. Aujourd’hui ce sont plus d’un demi-million de personnes qui travaillent quotidiennement dans le quartier.

Cette très forte concentration d’emplois dans une zone sans habitants a de lourdes conséquences sur les transports en commun. Les nombreux travailleurs utilisant les trains de banlieues se rendent dans le quartier d’affaires depuis l’est par le terminus de Fenchurch Street, depuis le nord par le terminus de Liverpool Street et depuis le sud par le terminus de London Bridge station.

Le département britannique des transports a publié durant l’été 2017, de très intéressants graphiques représentant les départs et arrivées dans ces terminus selon l’horaire.

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