TRES SAINT-PERE, votre ministère sur le trône de saint Pierre a pris fin.

Avec émotion, nous voulons vous remercier avec toute la gratitude de notre cœur, dans le Christ que vous avez servi tout au long de votre vie avec intelligence, courage et humilité. C'est lui qui vous a appelé à la vie de la grâce, le jour même de votre naissance, et qui vous a toujours accompagné dans les grandes décisions de votre existence. C'est lui qui a fait de vous un prêtre de son Église, puis un archevêque et un cardinal, et enfin le successeur de Pierre.

Dans un esprit de total abandon

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« L'humble serviteur dans la vigne du Seigneur », comme vous vous désigniez alors, a accepté cette lourde charge qu'il n'avait pas désirée dans un esprit de total abandon à la providence.

Pendant huit ans vous avez mené la barque de l'Église, cette barque dont vous disiez, peu avant votre élection qu'elle était battue par les flots et par moments prête à couler, salie par tant d'infidélités et de péchés de la part de ceux qui auraient dû en être les meilleurs serviteurs. Vous l'avez conduite, cette barque, à travers toutes les tempêtes que le Prince de ce monde n'a pas manqué de soulever contre elle.

Mais vous saviez, et vous l'avez redit place Saint-Pierre, fort de  cette foi « plus précieuse que l'or que l'on passe au creuset », que cette barque ne vous appartenait pas, qu'elle n'appartenait à personne d'autre qu'au Christ et que le Christ jamais ne la laisserait chavirer.

Le 11 février dernier, à la stupeur de nous tous, qui vous suivions d'autant plus volontiers que nous vous aimions, vous avez jugé que le moment était venu de laisser à un autre barre et gouvernail. Vous saviez que vous feriez de nous des orphelins. En cette année de la foi, vous nous invitiez donc à un sursaut de foi, en nous faisant attendre dans l'espérance celui que le Saint-Esprit nous désignerait comme votre successeur.

Avec sagesse et fermeté

Aujourd’hui, nous voulons rendre grâce à Dieu pour le pasteur et pour le théologien que vous avez été pour nous.

Pasteur, vous l'avez été pendant huit années sur la chaire de Pierre. Vous avez guidé l'Église avec sagesse et fermeté dans le sillage de votre prédécesseur tout en lui imprimant votre marque personnelle.

L'année de votre élection, 40e anniversaire de la clôture du concile de Vatican II, vous nous indiquiez comment interpréter cet événement : non pas dans un esprit de rupture et de discontinuité qui ferait de la tradition millénaire de l'Église un passé dont il faudrait s'éloigner, mais dans un esprit de renouveau et de continuité où les textes doivent être lus à la lumière de la Tradition pour en même temps l'actualiser. Vous nous indiquiez ainsi ce que devait être la juste réception du Concile.

La passion de l’unité

Vous avez eu la passion de l'unité pour la Catholica, l'Église du Christ qui vous a été confiée. Vous n'avez eu de cesse de ramener à l'unité les frères éloignés depuis peu ou depuis plus longtemps. Ad extra, en facilitant la réintégration de pans entiers de l'anglicanisme et en favorisant un dialogue exigeant et sans concessions avec les autres, orthodoxes ou protestants. Ad intra, en multipliant les gestes de bonne volonté envers ceux qui s'étaient écartés de la pleine communion de l'Église. Vous vous êtes ainsi patiemment efforcé de recoudre la tunique déchirée du Christ en nous invitant tous à regarder plus haut, vers le Seigneur, cœur de notre foi. Et cela aussi par votre lumineux magistère ordinaire, tant par vos catéchèses du mercredi que par vos encycliques, nous pressant tous à la conversion.

Maître spirituel

Vous avez redonné le goût d'une liturgie noble et sacrée, en insistant sur l'orientation de la messe, la dignité de la communion eucharistique, la beauté des ornements et des chants. Par le motu proprio Summorum Pontificum, vous avez redonné toute sa place à l'ancienne liturgie, en laquelle vous reconnaissiez depuis longtemps une source toujours actuelle de grâces.

Dans toute votre action pastorale, et en particulier dans les douloureuses affaires disciplinaires dont vous avez eu à connaître, vous vous êtes laissé guider par le souci de la vérité et vous n'avez cessé de la défendre à temps et à contretemps, devant tous les aréopages, qu'ils soient universitaires comme à Ratisbonne, votre ancienne alma mater, culturels comme à Paris, ou politiques comme à Londres ou à Berlin.

Vous avez osé résister avec fermeté et douceur aux déchaînements périodiques du pouvoir médiatique, agité par d'obscurs intérêts, et d'autant plus prompt à s'indigner qu'il l'est moins à se convertir. Durant ces huit années, où vous n'avez pas hésité vous non plus à parcourir le monde, vous n'avez cessé de nous indiquer le visage de Celui qui est au cœur de notre foi.

Vous nous avez patiemment introduits de votre parole douce et habitée dans son intimité. Vous vous êtes révélé le maître spirituel dont nous avions aussi besoin.

Le théologien

Et en cela, Très saint Père, nous nous souvenons aussi du théologien que vous n'avez jamais cessé d'être, étant chez lui dans la Parole de Dieu, comme en ont témoigné les pages de votre Jésus de Nazareth.

Nous nous souvenons aussi du préfet du Saint-Office qui éclaira les points obscurs de la doctrine et synthétisa la Tradition dans le Catéchisme de l'Église catholique, qui mit fin à certaines dérives hétérodoxes par des instructions opportunes, qui défendit la foi des petits contre l'arrogance de théologiens aux doctrines aventureuses et soutenus par les médias. Nous nous souvenons du grand prélat qui osa un jour dire ce qu'il pensait des années qui suivirent le Concile et ainsi qui rendit courage à tous ceux qui ressentaient le même malaise.

Nous nous souvenons du professeur qui ne cessa de défendre et d'expliciter le dogme dans de multiples cours, conférences, articles et livres, et qui en particulier ne cessa d'un côté de dénoncer le rétrécissement de la raison moderne à ce qu'elle peut manipuler, le quantifiable, la rendant vulnérable à toutes les manipulations, et de l'autre de promouvoir le sain usage de cette même raison dans la religion pour en préciser la doctrine et pour en purifier les agissements. Nous nous souvenons du fin liturge qui contemplait dans la célébration de la messe l'union du ciel et de la terre, de la liturgie céleste et du chant du cosmos.

Par vos multiples écrits, vous nous laissez une somme que des années d'étude ne sauraient épuiser.

Très saint Père, alors que vous avez quitté le Palais apostolique, nous savons que vous ne nous abandonnez pas. Vous l'avez dit lors de votre dernière audience publique : « Celui qui assume le ministère pétrinien n'a plus jamais de vie privée. Il appartient toujours et totalement à tous, à toute l'Église. » Et vous précisiez : « Ma décision de renoncer à l'exercice actif du ministère ne change pas cela. Je n'abandonne pas la croix mais je reste d'une façon nouvelle près du Seigneur crucifié. »

Comme les moines d'autrefois, dans l'esprit de la Règle de saint Benoît, vous allez vous enfoncer dans le désert, dans la solitude du cœur à cœur avec le Christ pour son Église ; comme Moïse sur la montagne, vous allez élever les bras vers le ciel tandis que l'Église sous son nouveau chef visible combattra dans la plaine ; comme Elie au torrent de Carith, de charité, vous allez vous abreuver des eaux vivifiantes du salut jusqu'à ce que les ombres se dissipent et que celui que vous avez tant cherché par l'étude, tant illustré par l'enseignement, tant servi par le ministère, tant aimé dans le secret de votre cœur, lève le voile et vous dise : « Entre, bon et fidèle serviteur. Reçois l'héritage incorruptible, sans souillure ni flétrissure, qui t'est réservé dans les cieux. »

Très saint Père, dans votre ermitage romain nous ne vous oublierons pas. Nous nous confions à votre prière et, comme vous nous l'avez demandé, nous vous assurons de la nôtre. Malgré votre fragilité, vous demeurez la pierre sur laquelle le Christ continue de bâtir son Église.

Abbé Éric Iborra