Régionales 2015 : 21 avril 2002, bis repetita, les Français méprisés

Le concert de lamentations et de déclarations indignées, qui a suivi l'annonce des bons résultats du Front national au premier tour (et même au second, bien qu'il n'ait remporté aucune région) des élections régionales de décembre 2015 nous a fait revivre avec peu de changements le scénario qui avait suivi le fameux 21 avril 2002 où Jean-Marie Le Pen avait pu être présent au second tour de l'élection présidentielle.

PREMIER THEME : comment cela a-t-il été possible ? Comment en est-on arrivé là ? Une question qui, chez certains éditorialistes, du seul fait qu'ils la posent, témoigne d'une singulière méconnaissance de l'immense souffrance du peuple français.

La souffrance des Français

Une souffrance qui ne se résume pas à l'immigration et à la délinquance comme l'imaginent ceux qui, précisément, se contentent de clichés au lieu de faire l'effort de comprendre de l'intérieur cette souffrance. Clichés dont le Front national lui-même n'est pas exempt.

Le département de la Haute-Saône est un de ceux qui, dans l'Est, ont voté le plus pour le parti de Marine Le Pen : 38,5 %. Le FN ne fait mieux, dans cette partie de la France, que dans deux autres départements ruraux, la Meuse et les Vosges. Que la Haute-Saône soit aussi le département où le foncier a le plus baissé depuis dix ans (et donc où l'activité économique est tombée le plus bas) n'est sans doute pas un hasard.

Dans ce département rural, ce sont les villes qui ont le mieux résisté à la vague bleu-marine, soit au bénéfice des Républicains (Vesoul) soit du PS (Héricourt) alors que la plupart des communes rurales ont mis le Front national en tête.

Or les immigrés sont concentrés dans les villes et peu présents dans les campagnes. Mais ces campagnes sont composées de près de 600 petites communes, vieilles de mille ou deux mille ans et promises selon le discours officiel de la droite comme de la gauche de gouvernement, à la disparition. Les cantons ruraux ont été regroupés, la région Franche-Comté et la région Bourgogne, deux vieilles régions historiques aux caractères très différents ont été fusionnées. Les communautés de communes sont poussées à se regrouper, le département est remis en cause, etc.

La mort du repère territorial

Bref les gens sont « paumés » et gravement. Le repère territorial, une des structures anthropologiques les plus fondamentales de l'homme, est sans cesse bousculé, sur fond de crise de l'agriculture et de l'industrie. Depuis des temps immémoriaux, des repères stables sont nécessaires à l'homme. Il ne fallait pas moins que ces bouleversements pour désespérer les gens.

Or aucune de ces réformes n'est utile. Aucune économie n'est à en attendre, au contraire. Les réformes menées en matière d'école, de justice, d'administration de l'État sont aussi destructrices. Dire cela n'a rien de politiquement incorrect. Tous ceux qui n'ont pas mesuré à quel point notre pays est pris d'un mouvement de folie ne peuvent rien comprendre à la souffrance de nos compatriotes.

La bête immonde, prétexte à l’inaction

Le deuxième thème : « Maintenant il faut nous reprendre, si nous ne devenons pas enfin sérieux pour saisir à bras le corps les problèmes que les gens se posent, la “bête immonde” l'emportera, le Front national sera au pouvoir. »

Déjà nous avions entendu cette antienne en 2001. Et rien ne fut fait.

Pour résoudre les problèmes des Français, le couple Chirac-Raffarin ne trouva rien de mieux qu'une nouvelle couche de décentralisation, soit un peu plus de pouvoir et de prébendes à des élus déjà honnis ! Exactement le contraire de ce qu'il fallait faire.

Et cette fois ? Non sans une pointe d'ironie, le journal Le Monde annonce clairement la couleur : « François Hollande ne change rien malgré le choc des régionales. » Que le Front national n'ait finalement gagné aucune région peut hélas servir d'alibi à cette inertie.

Prisonniers du texte

Comportement prévisible : François Hollande est, comme le Parti socialiste dans son ensemble, entièrement prisonnier des logiques idéologiques. Or le propre de l'idéologie est la mise entre parenthèses du réel pour suivre la logique, une logique folle. Le vote du peuple français, expression intermittente de son état d'esprit, c'est le réel. L'idéologie n'en a cure. Nous ne disons pas les idéologues mais bien l'idéologie car, en la matière, l'acteur est prisonnier de son texte. C'est, pour parler comme les structuralistes, le texte idéologique qui littéralement « possède » la classe politique et non l'inverse. Une possession au sens fort du terme.

Or pour véritablement aller à la rencontre des Français qui ont voté FN ou qui se sont abstenus, il faudrait prendre à bras le corps toute une série de problèmes lourds qui sont la cause de leur souffrance : le chômage, l'immigration, mais aussi la justice (et par là la sécurité), l'école, les abus du système social ressentis comme injuste, une administration pléthorique (et qui croît encore : 40 000 fonctionnaires de plus en 2015), des impôts écrasants, etc.

Or si on prend ces problèmes un par un, les solutions qui permettraient de les résoudre ont presque toutes la caractéristique d'être politiquement incorrectes, c'est-à-dire d'aller à l'encontre de l'idéologie dominante. Le contrôle de l'immigration contre l'universalisme, l'amélioration de l’école contre le pédagogisme, la réforme de la justice contre la culture de l'excuse, expression d'une philosophe déterministe négatrice de la liberté, etc. Dans des sujets apparemment neutres, comme l'administration territoriale, s'opposer aux politiques officielles ne fait certes pas courir le risque de l'infamie, mais tout de même celui de la marginalisation ou de l'insignifiance : « Comment, vous voulez garder 36 000 communes ? Mais pourquoi donc ? Ne voyez bien que c'est complètement archaïque ? »

Briser les tabous

Pour aller enfin à la rencontre des attentes des Français, il n'y a pas d'autre solution que de briser toute une série de tabous entretenus par la plupart des médias, ce à quoi se refusent les partis qui se qualifient de républicains — on se demanda pourquoi d'ailleurs, la République n'ayant rien à voir avec tout cela, bien au contraire : elle commanderait plutôt le maintien de sa cellule fondamentale, qui est la commune ou du département créé de 1789, le contrôle des frontières, une école qui ressemble un peu plus à celle de Jules Ferry, un code pénal qui soit appliqué…

Et bien entendu nous ne parlons pas de l'euro et d'autres contraintes européennes qui ne sont sans doute pas étrangers eux non plus au désespoir de nos compatriotes.

Il y a hélas tout à parier que rien ne change, que l'avertissement des élections de décembre n'ait pas plus d'effet que n'en eurent les premières émeutes révolutionnaires sur le petit monde festif de Versailles et que nous soyons partis pour attendre, après le premier avertissement, puis le second, le troisième s'il y a un troisième.

 

Roland Hureaux

 

 

Illustration : FR3 Franche-Comté, dans un village de Haute-Saône.

 

 

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