Édito. Les élections présidentielle et législatives, qui ont vu la victoire du “macronisme”, révèlent l’apparition de trois courants psychologiques et idéologiques, dont celui d’une droite alternative, analyse le docteur en histoire du droit et des institutions, et maître de conférences à l’Institut catholique d’études supérieures (ICES), Guillaume Bernard.
L’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République (PS et LR ayant été éliminés du second tour) a enclenché la décomposition du spectre politique. Aux élections législatives, l’habituel phénomène majoritaire a été renforcé par le spectre large de la grande coalition macronienne (ce qui d’ailleurs la fragilise) et décuplé par la forte abstention. Ces éléments manifestent plus un rejet des vieux partis qu’une authentique adhésion au macronisme. En tout cas, avec la déconfiture piteuse des uns et la victoire insolente des autres, la recomposition de la vie politique ne peut qu’en être accélérée : le positionnement d’Emmanuel Macron favorise la clarification idéologique.
L’ambiguïté du PS mitterrandien, combinant socialisme officiel et social-démocratie officieuse, lui a permis d’être doublement siphonné : d’un côté, par le courant social-libéral macronien et, de l’autre, par le socialisme affirmé d’un Jean-Luc Mélenchon. Ce dernier a progressé par un jeu de vases communicants entre son électorat et celui de Benoît Hamon. Mais il n’a pas augmenté l’audience des idées socialistes. Preuve en est : l’affaissement de La France insoumise aux législatives. L’échec LR tient essentiellement à l’incohérence de son discours tant stratégique (appeler à faire élire Macron à la présidentielle) que doctrinal. La combinaison du libéralisme et du conservatisme peut, de prime abord, apparaître séduisante : le libéralisme pour l’économie, le conservatisme pour la société. Mais c’est méconnaître la doctrine libérale qui s’appuie sur l’individualisme et le subjectivisme. C’est en soi et par soi que chacun détermine le bien. Il n’existe pas de valeur objective mais uniquement des consensus issus de la rencontre de volontés. Le libéralisme porte en lui la destruction des traditions sociales alors qu’il n’est nullement nécessaire de s’y adonner pour combattre la spoliation fiscale des familles et des entreprises. De même, le rejet du libéralisme n’implique aucunement de préconiser des mesures néojacobines. Quant au FN, il a, tout en progressant, laissé passer sa chance en s’enfermant dans une campagne portant sur les questions économiques au lieu de faire valoir son discours civilisationnel sur l’immigration et l’insécurité. Il a perdu de vue que le patrimoine est l’un des principaux facteurs explicatifs du vote. Or, celui-ci n’est pas seulement matériel mais aussi culturel. Ce parti avait donc la possibilité de coaguler l’électorat populaire avec les classes moyennes enclines à voter pour la droite modérée. Mais il a préféré se focaliser sur l’espoir de réunir à son profit les opposants de 2005 au traité établissant une Constitution pour l’Europe alors que leurs motivations avaient été contradictoires et inconciliables. C’est donc l’incohérence des positionnements LR et FN qui explique avant tout leurs échecs. Leurs électorats ont été déboussolés à la présidentielle et démobilisés aux législatives.
À l’inverse, outre qu’il répond à un besoin d’optimisme, Emmanuel Macron a su prendre un positionnement idéologiquement homogène. Il a incarné la réunification du libéralisme sociétal (resté à gauche) et du libéralisme économique qui avait glissé sur la droite du spectre politique par l’expansion du socialisme mais qui a désormais pris le chemin inverse. Il incarne la grande coalition à l’allemande de la droite et de la gauche modérées et table, pour pérenniser son pouvoir, sur l’incapacité des extrêmes à s’entendre. Il réactive l’orléanisme qui, avec Valéry Giscard d’Estaing, se situait au centre droit et qui, désormais, retourne à gauche.
L’émergence du macronisme illustre parfaitement le mouvement dextrogyre. Depuis la Révolution, la vie politique a été marquée par le “sinistrisme” : les nouvelles idées sont apparues par la gauche et ont repoussé sur la droite celles qui étaient nées antérieurement. Or, l’effondrement de l’URSS l’a brutalement stoppé. Avec le changement de contexte (mondialisation incontrôlée, construction européenne sans repères, financiarisation du capitalisme), c’est désormais par la droite que se réalise une progression électorale et idéologique (euroscepticisme, populisme). Certes, la gauche est encore médiatiquement dominante, mais ses idées d’aujourd’hui (multiculturalisme, gender) ont été produites dans les années 1970 et sont déjà datées. À partir de la décennie 1990, l’horizon de la marche des idées s’est donc inversé. Le mouvement dextrogyre consiste en deux choses : d’une part, le glissement des idées de la droite vers la gauche (c’est le cas du libéralisme) par le redéploiement des idées ontologiquement de droite (l’organicisme social) et, d’autre part, la radicalisation de l’électorat de droite (encore minoritaire) qui redevient plus ferme sur ses valeurs (La Manif pour tous). Ainsi, certains courants qui se sont affrontés par le passé peuvent-ils désormais s’entendre : gaullisme et nationalisme se rejoignent dans le souverainisme, le conservatisme se colore d’idées réactionnaires.
L’élection de Macron, si elle frustre la droite (mais laquelle ? ) d’une victoire met en exergue les proximités doctrinales réelles. La principale ligne de fracture passe au sein du camp classé à droite entre la droite authentique (philosophiquement classique) et la droite situationnelle (idéologiquement moderne). La pensée classique défend la sociabilité naturelle tandis que l’idéologie moderne fait l’apologie de la sociabilité artificielle. Or, qu’il s’agisse de la nation (identitarisme contre multiculturalisme), de l’Europe (souverainisme contre fédéralisme), des moeurs et de la bioéthique (conservatisme contre progressisme) ou encore des relations internationales (réalisme contre idéalisme), c’est le même clivage doctrinal. Par l’addition des deux versions (libérale et socialiste) du contractualisme social, la modernité est électoralement majoritaire. Développée depuis quatre siècles, elle ne peut être renversée en quelques années. Mais, le mouvement dextrogyre permet à ce qui est réellement de droite, c’est-à-dire classique, de se réaffirmer et favorise sa reconquête des esprits.
Aujourd’hui trois blocs psychologiques et idéologiques se dessinent : la gauche socialiste, la grande coalition centriste libérale et, enfin, la droite alternative. L’affirmation concrète de cette dernière (décloisonnement partisan puis refondation) suppose une analyse sereine des raisons des contre-performances des Républicains et du FN, une prise de conscience des enjeux doctrinaux et l’affirmation d’un discours rigoureux et positif combinant l’identitarisme, le souverainisme, le subsidiarisme et le conservatisme.
La guerre à droite aura bien lieu, le mouvement dextrogyre, de Guillaume Bernard, DDB, 400 pages, 2016.