La réception de l'Instruction de la Congrégation romaine pour l'éducation catholique est un cas d'école pour manifester les contradictions internes au " monde " (Évangile selon saint Jean) et les illusions qui l'habitent dans son regard sur l'Église.
Sans vouloir généraliser, on peut noter que de nombreux commentateurs ont reproché au texte d'être une nouvelle fois le symptôme de " l'homophobie " catholique. Une fois de plus, l'Église n'aurait rien compris aux revendications d'égalité et de non-discrimination animant une bonne partie de la vie démocratique actuelle.
Faut-il le rappeler : l'Église ne se voit pas comme une démocratie mais se reconnaît de constitution divine ? Le Magistère ne peut ainsi modifier arbitrairement la doctrine catholique selon les valeurs du temps. Ce texte, qui est certes disciplinaire, doit être lu en lien avec la totalité des textes de la tradition sur le sacerdoce, la formation des séminaristes et enfin la sexualité humaine.
Ainsi, comme toujours, l'interprétation d'un texte ecclésial mobilise de proche en proche l'ensemble de la doctrine et de la vie catholiques et ceux qui le lisent en fonction d'un critère extérieur ou en faisant abstraction, ne font que projeter leur propre ressentiment et leur ignorance sur l'Église. Ou bien leur mauvaise foi. Ainsi sans doute le père Michel Kubler quand il affirme, dans son éditorial de La Croix (24 novembre), que cette instruction " considère la question de l'homosexualité en dehors de la problématique globale de la formation des prêtres".
Une affaire de contexte
Cela dit, ce texte est publié dans un contexte bien particulier ; il s'agit de comprendre la manière dont il veut agir sur celui-ci. Là encore certains commentateurs l'ont vu, de manière juste, comme une réponse aux scandales en série de prêtres pédophiles, principalement aux États-Unis. Mais pour aussitôt dénoncer l'amalgame entre pédophilie et homosexualité.
On touche là un point particulièrement sensible de la mentalité actuelle. Alors que dans les années 70, l'homosexualité et la pédophilie étaient des revendications le plus souvent communes, depuis les années 90 les deux sont présentées comme totalement différentes. Comme si la permissivité sexuelle s'étendant, la normativité en la matière devait se concentrer sur un seul type de comportement en le criminalisant (vases communiquant).
L'accusation d'amalgame fait à l'Église repose sur deux erreurs majeures.
La première erreur apparaît en considérant les faits, par eux-mêmes éclairants. Dans l'enquête qu'il a effectué sur mandat de la Conférence épiscopale américaine, John Jay, de l'université de New York, note que :
- 6700 plaintes ont été déposées mettant en cause 4392 prêtres, soit 4% des prêtres américains ;
- les trois quarts des abus sexuels se sont déroulés entre 1960 et 1984 ;
- 81 % des victimes sont de sexe masculin ;
- la moitié d'entre elles étaient âgées de 11 à 14 ans à l'époque des faits et 27 % de 15 à 17 ans.
À la lumière de ces chiffres, qui peut encore soutenir que l'orientation homosexuelle n'est pour rien dans ces scandales ? On parle bien de pédophilie car les victimes sont mineures, mais on est bien là devant un phénomène de pédérastie, puisqu'il concerne massivement des adolescents. De plus, l'acmé du phénomène se situe dans les années 70, en pleine révolution sexuelle.
On peut certes en conclure des défaillances graves sur le fonctionnement des séminaires concernant la formation et le discernement. Mais c'est justement la finalité de l'Instruction que d'y remédier ! Que ceux donc qui sont à juste titre scandalisés par les agissements coupables de prêtres se réjouissent que le Vatican se préoccupe de fournir des normes claires pour le discernement.
Mais finalement pourquoi ce texte est si mal reçu ?
C'est ici la deuxième erreur sous-jacente à l'amalgame et au faux procès d'intolérance fait à l'Église. Certains, à l'extérieur et à l'intérieur de l'Église, ont voulu se servir des scandales pour faire avancer leurs " revendications " concernant le mariage des prêtres, voire l'ordination de femmes.
Or un des fondements de cette Instruction est la doctrine catholique sur le sens de la sexualité humaine. Ainsi lorsqu'elle rappelle que l'homosexualité est " objectivement désordonnée ", elle peut s'appuyer sur le riche développement doctrinal de Jean-Paul II concernant le corps sexué. La sexualité humaine reçoit sa signification fondamentale de son ordination à la communion des personnes. Cette signification se déploie selon deux modes : le mariage et la virginité. Le prêtre n'est pas celui qui nie sa sexualité ; c'est celui qui assumant pleinement son identité masculine peut vivre jusqu'au bout sa configuration au Christ, époux de l'Église. La vie sacerdotale, parce que liée à la virginité du Christ, implique l'accès plénier à la différence des sexes.
Cette Instruction doit donc être vue comme un nouvel appel et une nouvelle occasion de se plonger dans la doctrine de l'Église sur la sexualité et ses dimensions humaines et spirituelles ; un appel adressé au-delà des séminaristes à tous les fidèles laïcs.
*Thibaud Collin est philosophe. Il a publié le Mariage gay, les enjeux d'une revendication (Eyrolles, 2005), en vente sur notre site : cliquez ici
Voir aussi :
Le texte de l'Instruction
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