Le 17 mars, le gouvernement français engagera sa responsabilité sur le retour de la France dans l'OTAN (Organisation du Traité de l'Atlantique Nord) : depuis 1966, on joue en France sur la distinction entre Alliance Atlantique et OTAN. Quelques précisions sont donc nécessaires !

 

 Nous n'avons jamais quitté l'Alliance Atlantique, traité signé en 1949. En 1965, De Gaulle a décidé :

  1. le départ des forces américaines et canadiennes stationnées en France depuis 1944, y compris leurs armes nucléaires ;
  2. le départ des états-majors de l'OTAN implantées en France ;
  3. le départ des militaires français des structures militaires — dites structures intégrées — de l'OTAN (NATO en anglais – North Atlantic Treaty Organisation).

Cela dit, des missions de liaison furent placées auprès de tous les états-majors de l'OTAN qui pouvaient présenter un intérêt pour la défense de la France, et elles y sont encore.

Ce retrait ne chagrina pas outre mesure les États-Unis, car il permettait de récupérer pour le conflit indochinois des effectifs dont les armées américaines avaient le plus grand besoin !

Les origines du traité
Rappelons les origines du traité. En 1948, le coup de Prague affola les Européens qui sollicitèrent un engagement américain pour muscler leur défense face à la menace soviétique. Le 4 avril 1949 fut signé le traité de l'Alliance atlantique : son article V laisse à chaque État le choix des moyens à engager en cas d'agression. Initialement, le traité fut ratifié par les États-Unis, le Canada, la Belgique, le Danemark, la France, les Pays-Bas, l'Islande, l'Italie, le Luxembourg, la Norvège, le Royaume-Uni et le Portugal.

Depuis, plusieurs États ont rejoint l'Alliance atlantique : Grèce et Turquie en 1952, l'Allemagne de l'Ouest en 1955, l'Espagne en 1982.

Après la chute du mur de Berlin et la réunification allemande, ce furent, en 1999, la Hongrie, la Pologne et la République tchèque. Le 29 mars 2004, une fournée d'anciens satellites de l'URSS suivit le mouvement : Estonie, Lettonie, Lituanie, Bulgarie, Roumanie, Slovaquie, Slovénie.

Géorgie et Ukraine auraient bien voulu les imiter, mais les réticences des Alliés se sont multipliées depuis août 2008...

Une organisation complexe sous tutelle américaine
Il est inutile d'évoquer tous les avatars de l'Alliance et de l'OTAN depuis 1949.
Actuellement, le siège de l'Alliance est à Bruxelles. On y trouve le Conseil de l'Atlantique Nord, où les ambassadeurs des différents pays membres assurent la direction générale de l'Alliance, avec un secrétariat permanent et une assemblée parlementaire de l'OTAN. L'Alliance ne se préoccupe pas seulement des affaires militaires, mais aussi de l'économie, des finances, etc.

Dans le domaine militaire sont subordonnés au secrétariat permanent :

  1. un comité des plans de défense, qui prépare les opérations alliées ;
  2. un comité des plans nucléaires ;
  3. un comité militaire, qui propose les méthodes et moyens jugés nécessaires.


Le commandement suprême de l'Alliance (SHAPE) se trouve à Mons en Belgique. Les principaux commandements interarmées sont à Brunsum aux Pays-Bas, à Oeiras au Portugal (banlieue de Lisbonne)et à Naples en Italie. Les commandements des forces aériennes sont à Izmir en Turquie et à Ramstein en Allemagne. Les commandements des forces terrestres sont à Heidelberg en Allemagne et Madrid en Espagne. Les commandements navals sont à Northwood au Royaume-Uni et à Naples.

À Norfolk aux États-Unis se trouve un commandement chargé d'organiser les changements stratégiques et d'organisation : Allied Command for Transformation.

Parmi les organismes qui dépendent du secrétariat permanent citons :

  • NSA-NATO Standardisation Agency, chargée de la normalisation ;
  • RTA-Research and Technology Agency, chargée de la recherche appliquée ;
  • CNAD-Conference of National Armament Directors, chargé de la coordination des programmes d'armement;
  • NURC-NATO Undersea Research Agency, chargée de la recherche dans le domaine sous-marin ;
  • CEPMA-Central Europe Pipeline Management Agency, chargé du contrôle des oléoducs alliés ;
  • NACMA-NATO Air Command and Control Agency, chargée du contrôle de l'espace aérien allié ;
  • NCSA-NATO Command Service Agency, chargée de l'informatique, etc.

Dans toutes ces instances, les décisions se prennent par consensus.
D'emblée, les États-Unis imposèrent que le commandant des forces américaines en Europe soit aussi le chef suprême de la coalition. C'est essentiellement Eisenhower, premier commandant en chef, qui mit en place l'organisation de la défense atlantique (NATO-North Atlantic Treaty Organisation). Dans la foulée, les Américains monopolisèrent les filières responsables du stockage et des plans d'emploi des armes nucléaires, et les Britanniques, les filières du renseignement.
Les principales opérations menées par l'OTAN eurent des fortunes diverses :

  • Bosnie–Herzégovine1995-2004, avec l'IFOR, la SFOR, puis prise en main par l'Union européenne ;
  • Albanie 1999 ;
  • Kosovo 1999, qui provoqua l'ire de la Russie, et dont l'avenir est loin d'être assuré ;
  • Macédoine 2001-2003 ;
  • Afghanistan et Irak depuis 2003 : les résultats de ces opérations sont loin d'être probants.

Le problème français
D'emblée, la décision du général de Gaulle de quitter les structures militaires de l'Alliance et de l'OTAN a provoqué un séisme politique, qui traversa la plupart des partis, à l'exception du Parti communiste français, qui approuva totalement ce départ. Depuis 1965, dans tous les autres partis, et dans nos armées, on trouve des partisans du statu quo et des partisans du retour...
Depuis 1966, la France s'est constamment montrée une alliée fidèle de l'Alliance et de l'OTAN. En particulier, nous avons participé sans restriction aux affaires des Balkans,
Nous avons refusé de participer à l'aventure irakienne, mais nous nous sommes engagés aux côtés des Américains en Afghanistan, dans un conflit qui ébranle la stabilité de l'Asie centrale. La stratégie conduite par les Américains dans la région laisse les spécialistes perplexes et il n'y a aucune perspective de fin rapide de ce conflit...À l'exception d'Alexandre le Grand, tous ceux qui tentèrent de se mêler des affaires afghanes subirent de cuisants échecs...
Les arguments en présence
Pour les partisans du retour dans toutes les structures de l'OTAN, Nicolas Sarkozy tient une promesse électorale, et il nous avait prévenus. Il faut d'abord tenir compte de la puissance militaire américaine, de son poids économique et diplomatique : la Grande-Bretagne a choisi depuis 1943 d'être le brillant second des États-Unis et s'en féliciterait. En rejoignant l'OTAN, nous aurions plus de poids qu'en restant dehors. Nous aurions notre mot à dire sur toutes les crises et conflits du monde.
En particulier, notre Président et son équipe assurent que nous aurions plus de capacités à convaincre nos alliés de la nécessité d'un pilier européen de l'Alliance, voire de l'européaniser. Le cas échéant, nous pourrions plus facilement emprunter des moyens de l'Alliance ou des États-Unis pour les opérations françaises, en particulier en Afrique.
Comme récompense de notre bonne volonté, les Américains seraient prêts à nous accorder des commandements importants, on parle du Portugal et de Norfolk. Pour les militaires français, être chargés de transmettre des ordres du Pentagone ne sera pas très valorisant. De toute façon, nous travaillons avec les Américains de manière efficace et cordiale depuis la première guerre du Golfe (1991) au moins...
Pour les adversaires de ce retour, il convient de rappeler le poids écrasant des État-Unis : comme dans les entreprises, l'on pèse en fonction des moyens financiers et militaires que l'on apporte. Les Américains utilisent une formule imagée : beans count, le décompte des haricots. Disons que la réduction actuelle des forces armées françaises ne facilitera pas nos prétentions... le nombre de nos haricots a trop diminué... Nous risquons de n'être qu'une force d'appoint, voire de la chair à canons pour les États-Unis.
Nos alliés européens, en dehors de la Grande-Bretagne, refusent tout effort militaire sérieux, qu'il soit budgétaire, en moyens ou en engagement auprès des Américains. Être sous le protectorat américain leur convient fort bien, et ce que recherchent clairement les anciens satellites de l'URSS.
En dehors de nous, qui parle, qui veut d'une Europe puissance ? Peut-on croire que nos alliés vont mieux nous écouter parce que quelques officiers français serviront dans les états-majors otaniens ? Quelle influence pourrons-nous avoir sur les stratégies décidées par les Américains ? En Afghanistan, nous avons accru notre engagement sans exiger la moindre modification tactique ou stratégique. Pourrait-il en être autrement ailleurs ?
Un symbole qui a du poids
Bien sûr, ce retour est de l'ordre du symbole. Mais les symboles ont leur poids, et les Italiens ne s'y sont pas trompés. Dans la Rivista Marittima de novembre 2008 (revue officielle du ministère de la Défense italien), on peut lire sous la plume de Renato Giocondo, que l'on sent jubiler en étudiant notre Livre blanc de 2008 :

Le Livre blanc change en profondeur la traditionnelle approche française d'autonomie du pays... Nicolas Sarkozy n'a plus les moyens de l'action unilatérale, ni ceux de maintenir l'exigence française d'autonomie militaire et les marges de manœuvre pour affaiblir le traditionnel lien euro-atlantique... Dans l'immédiat on doit constater l'intime conviction du Président de faire des choses utiles, même si cela contrarie l'opinion. Il est clair, pour Nicolas Sarkozy, que se baser sur le passé n'est plus possible et que, de toutes façons, il est préférable d'avoir un modèle de défense moins ambitieux sur le plan international et plus efficace, plutôt qu'un modèle avec trop d'hommes, peu formés et mal équipés.

* Jean-Germain Salvan est général (2e section), 7 mars 2009.

 

 

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