Au moment où ces lignes sont écrites, les lecteurs de Liberté politique prennent connaissance, comme tous les Français, des bulletins de vote que leurs mairies leur ont envoyés. Je leur propose de réfléchir quelques instants à la nature du choix que nous sommes appelés à faire. Il a une signification plus profonde qu’un regard rapide peut le laisser croire.
EN GLISSANT un bulletin dans l’enveloppe officielle, nous acceptons de nous soumettre à une contrainte qui est si bien entrée dans les mœurs qu’elle nous paraît naturelle. Mais elle ne va pas de soi dans son principe : nous limitons notre liberté de citoyens au choix d’une liste de noms dont nous ne pouvons changer ni la composition ni l’ordre de présentation. Peu importe que le premier de cette liste nous séduise mais que le second nous paraisse un incapable et le troisième un inconnu. Le groupe strictement fermé et hiérarchisé qui nous est présenté est à prendre ou à laisser.
Il n’en a pas toujours été ainsi. Jusqu’il y a trente ans, les lois de la République donnaient aux électeurs le droit de sélectionner chaque homme et chaque femme qu’ils voulaient porter au conseil municipal. Ils pouvaient rayer les noms des candidats qui leur paraissaient indignes de la charge, composer l’assemblée communale selon leur propre idée par la méthode du « panachage » des listes rivales et même ajouter les noms de personnes qui n’avaient pas fait acte de candidature. La responsabilité civique des Français n’était pas un vain mot. Nos législateurs ne nous accordent plus tant de confiance. Notre liberté de citoyen est bien plus réduite que celle de nos pères.
Égalité artificielle
Ce n’est pas tout. Les listes qui nous sont proposées sont toutes construites selon le principe dit du millefeuille : après un homme vient une femme et réciproquement. Comme chacun sait, il s’agit d’une obligation légale dont l’objet est de promouvoir la « parité des sexes » dans les activités politiques. En soi, stimuler la présence féminine dans les postes publics est louable. Mais imposer d’en haut une égalité uniforme et rigide, conduit, dans la variété de nos 36.000 communes, à des promotions artificielles quand elles ne sont pas injustes ou ridicules.
On aurait pu penser que les électeurs — et plus encore les électrices — de chaque collectivité locale étaient plus qualifiés que quiconque pour décider de la place à confier aux candidates dans les affaires municipales. Nos législateurs estiment en savoir plus qu’eux. Ils semblent soupçonner l’ensemble des Français — et des Françaises — d’être des misogynes invétérés. Rien, sauf la contrainte, ne peut les arracher à leurs funestes préjugés. À nouveau notre liberté de citoyen est sévèrement bornée.
Le pouvoir est ailleurs
Enfin, les lecteurs de Liberté politique qui s’intéresseront aux conséquences de leurs votes, constateront, dans les semaines qui viennent, que le verdict des électeurs n’aura pas changé grand-chose au cours de la vie dans leurs communes. S’ils cherchent à comprendre pourquoi, ils apprendront que les décisions importantes et les options essentielles se prennent aujourd’hui dans d’autres instances qui portent les noms anodins de « communautés de communes » ou « communautés urbaines » ou autres. La distribution des responsabilités y est obscure, le contrôle des électeurs inexistant et le lien avec les administrés si mou qu’il répond rarement aux sollicitations.
Mais nos législateurs n’en ont cure. L’important pour eux, c’est d’adapter les collectivités locales à ce qu’ils pensent être les exigences de la Modernité, de l’Europe et de la mondialisation. Notre liberté citoyenne y perd mais on estime en haut lieu que c’est pour notre bien.
Des initiés sans citoyens
Qui recueille la puissance politique qui nous est retirée ? Je le résumerai en un mot : des initiés. Parfois ceux-ci sont des politiciens malins qui ont compris que ce système leur permettait de mieux asseoir leur pouvoir et leur influence ; parfois, des technocrates irresponsables mais persuadés de mieux savoir que quiconque où est le bien commun ; parfois encore des groupes de pression très minoritaires mais astucieusement placés ; le plus souvent, une coalition de ces trois familles. Elles ont le trait commun de se méfier de la liberté citoyenne ; elles la repoussent à leur profit dans des canaux le plus étroit possible.
Nos dirigeants proclament volontiers leur adhésion à une « démocratie participative » en train de s’épanouir. Les chefs de partis nous affirment qu’ils travaillent à « rendre le pouvoir aux gens ». Même les commissaires de Bruxelles se joignent au chœur public en promettant de réduire le « déficit démocratique » qui afflige l’Union européenne.
Mais la réalité de notre temps nous dirige à l’opposé : pas à pas et en silence le peuple est dépouillé de sa souveraineté. Ce que j’ai montré pour les affaires municipales se manifeste, sous d’autres formes, dans les élections nationales et les scrutins européens. Le choix des électeurs est canalisé, amorti, réduit quand il n’est pas violé. Le référendum de mai 2005 sur la constitution européenne en est l’exemple le plus visible. Les gagnants sont des initiés qui savent profiter de leurs positions dans les réseaux de pouvoir.
Revenir au peuple
Ne soyons pas surpris d’apprendre que les grandes organisations qui encadrent notre vie politique et sociale — les partis, les syndicats, les médias — sont tombés dans des abîmes de défiance citoyenne : ils ne défendent plus les volontés populaires mais les intérêts particuliers de divers groupes de pression.
Ne soyons pas davantage surpris si les prochaines élections municipales s’illustrent par un nombre record d’abstentions et une poussée des partis contestant l’ordre établi.
Le peuple manifeste son attachement à sa souveraineté par les moyens de protestation encore à sa disposition. Qui lui rendra ce qui lui appartient ?
M. P.
Sur ce sujet :
Municipales 2014, 18 propositions, par Fr. Billot de Lochner
Municipales : Voter en prudence pour le bien commun, par la Fondation de Service politique
Municipales 2014 : le vote juste, un discernement, par Thibaud Collin
Elections 2014 ; "Choisir avec clairvoyance", par Mgr Dominique Rey
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