Le pape François a déclaré « bienheureux » Paul VI, pionnier du renouveau

Le pape François a procédé à la béatification de son illustre prédécesseur Paul VI ce dimanche 19 octobre à Rome, à l’issue de la session préparatoire du synode extraordinaire sur la Famille. Un synode qui a provoqué des dissensions assez comparables à celles qui avaient éclaté à l’époque du concile Vatican II au cœur même du corps épiscopal.

COMME dans les années 1960 et 1970, ces divergences entre évêques ont été à nouveau amplifiées et instrumentalisées par certains médias trop contents de nuire à l’unité de l’Église et à l’efficacité de sa réflexion pastorale. Toutefois, la figure lumineuse et novatrice de Paul VI a pu être évoquée cette fois-ci comme une solide référence spirituelle et intellectuelle, précieuse dans un contexte où la fidélité doit se conjuguer avec l’esprit d’ouverture indispensable à la conversion des peuples.

Lors de son pèlerinage en Terre sainte en janvier 1964, signe prophétique de l’indispensable réconciliation des chrétiens, c’était la rencontre fraternelle de Paul VI avec le Patriarche orthodoxe Athénagoras au sommet du Mont des Oliviers et la fête de l’Epiphanie… Paul VI déclarait : « Notre salut aujourd’hui ne peut connaître de limites ; il surmonte toutes les barrières et veut atteindre tous les hommes de bonne volonté ».

Le 6 août, jour de la Transfiguration, il publiait sa première encyclique, Ecclesiam suam, sur le dialogue de l’Église avec le monde. On y a vu « un vaste tableau de la Civilisation de l’amour »... Quatorze ans plus tard, le jour de la Transfiguration de 1978, Paul VI mourra « épuisé, sa tâche accomplie » malgré des oppositions souvent cruelles. Peu après avoir désigné la Vierge Marie « Mère de l’Église » comme la réalisation de « l’idéal fascinant d’un christianisme plénier ».

En 1965, Paul VI se rend au siège des Nations-unies, présentant l’Église comme « experte en humanité », envoyée du Christ au service de la paix : il propose d’agir à partir des principes suivants, « les uns avec les autres, pas l’un au-dessus de l’autre, jamais plus les uns au-dessus des autres, les uns pour les autres, avec les droits et les devoirs de l’homme » sur des fondements spirituels.

Dans sa lettre pastorale de février 1963 comme archevêque de Milan sur « le chrétien et le bien-être temporel », le cardinal Montini, futur Pape Paul VI, déclarait déjà que « seule la religion est à même de donner au fait économique son équilibre salutaire », d’où la nécessité de répondre à la question sociale. À la lumière de l’amour du prochain, il constatait qu’ici le christianisme « apparaît à cet égard encore inachevé, et pour ainsi dire encore au début d’un nouveau et long chemin »… Sa pensée rejoignait l’intuition du prêtre orthodoxe russe Alexandre Men déclarant que le christianisme « ne fait que commencer »… !

Aujourd’hui, le pape François appelle à aborder les « périphéries existentielles » dans un esprit d’apostolat hérité de Paul VI.

Contre ceux qui oublient l’autorité de l’Église

Cependant, à peine le concile Vatican II achevé, de graves difficultés internes se sont manifestées dans l’Église : Paul VI a alors critiqué à la fois « une certaine intolérance » et un « esprit d’indiscipline », et récusé une fausse interprétation du Concile, disant : « Certains ont voulu y voir une modification radicale du rapport entre autorité et obéissance,… une orientation pour ainsi dire horizontale de l’Église comme si la vie intérieure représentait une étape dépassée ».

Dès 1969 Paul VI dénonce un faux prophétisme et débusque « l’intention tacite de s’affranchir du magistère de l’Église qui bénéficie pourtant de l’assistance de l’Esprit Saint ». En 1974, il récuse « l’audace tapageuse de contestations injustifiées et souvent inattendues de la part de fidèles catholiques, parfois même de la part de ceux qui doivent enseigner la doctrine. Comme si le concile avait constitué pour l’histoire et la vie de l’Église une nouveauté telle qu’elle disqualifiait le passé », et « qu’elle autorisait une transformation des lois et des mœurs ». En la fête des saints Pierre et Paul du 29 juin 1972, ce pape pourtant peu porté aux cris d’alarme avait déjà observé que « la fumée de Satan est entrée dans le peuple de Dieu »… !

En 1968, Humanae Vitae, encyclique difficile à comprendre et à admettre mais prophétique, avait été mal accueillie, y compris de la part de fidèles catholiques et même au sein du clergé… Mais son but réel était à la fois de « protéger l’amour conjugal » et le fondement de la nature humaine. Sa démarche annonçait à l’avance la « théologie du corps » de Jean-Paul II et le grand courant d’ « écologie humaine » qui se manifeste en Occident en ce moment même. Elle remettait déjà en cause un esprit « contraceptif » anticonceptionnel dans ses racines hélas abortives. L’intuition fondamentale de Paul VI est que la chimie ne saurait faire le bonheur de l’humanité en anéantissant des germes de vie…

Paul VI se rend en Ouganda cet été 1969 : c’est la première fois qu’un Pape se rend en Afrique. En 1970, il ira aussi en Extrême-Orient, à Manille, parmi cinq millions de pèlerins. Il trace déjà les chemins du futur Jean-Paul II, le cardinal polonais Wojtyla, en qui il discerne en 1976 un apôtre d’une envergure internationale…

Quand l’annonce de la « mort de Dieu » provoque la mort de l’homme…

En novembre 1968, évoquant le thème de la « mort de Dieu », une « triste prophétie qui ne nous fait pas peur », Paul VI y voyait l’écueil d’une « mort de l’homme »… Dans « notre monde moderne qui établit sa domination sur les choses, mais en est lourdement l’esclave »… Mais au nom du Christ, il affirmait le rôle de la conscience « qui n’est pas arbitre de la valeur morale des actions », mais « l’interprète d’une loi intérieure et supérieure qu’elle ne crée pas elle-même ».

Dans son exhortation apostolique Evangelii nuntiandi sur l’évangélisation dans le monde moderne du 8 décembre 1975 », rapport de la IIIe Assemblée générale du synode des évêques, Paul VI précisait que l’évangélisation n’est pas simplement un objectif d’extension géographique, mais consiste à « bouleverser par la force de l’Évangile les critères de jugement, les valeurs déterminantes, les points d’intérêt, les lignes de pensée, les sources inspiratrices et les modèles de vie de l’humanité qui sont en contraste avec la Parole de Dieu et le dessein du salut ».

La civilisation de l’amour « s’oppose à la contestation, au matérialisme et au conformisme qui est une conséquence de la peur », souligne un grand expert de la pensée de Paul VI, le Père Patrick de Laubier, théologien et sociologue qui observe que c’est « une réalité non pas utopique, mais surnaturelle ». Paul VI remarque en effet que « souvent, un humanisme bien intentionné, mais sans racines profondes, sans la garantie d’une motivation consistante et supérieure » découvrant « la présence du Christ », en reste alors « à un humanisme débile, incomplet, ambigu, purement formel, quand il n’est pas faussé ».

En revanche, la civilisation de l’amour « est peut-être sans défense, mais elle est invincible », dira ce Pape peu avant sa mort en 1978. Paul VI la conçoit à la lumière de l’idéal évangélique des Béatitudes, des « paroles semées au milieu d’une société fondée sur la force, sur la puissance, sur la richesse, sur la violence, sur les abus », et qui « pouvaient être interprétées comme un programme de lâcheté, d’aboulie, indignes de l’homme », mais dont « les valeurs », vécues par « les pauvres d’esprit, les affligés, les pacifiques, les affamés, les assoiffés de justice, les miséricordieux, les gens au cœur pur, les artisans de paix, les persécutés, les insultés », des valeurs « que l’intelligence obtuse de l’homme méconnaissait et dédaignait » étaient en réalité « des instruments de rédemption, de libération et de salut ».

En déclarant le pape Paul VI bienheureux, après avoir procédé à la canonisation des deux autres grands papes du renouveau de l’Église catholique Jean XXIII et Jean-Paul II, le pape François a placé la réflexion des catholiques et des hommes de bonne volonté d’aujourd’hui sous le signe d’une pensée puissante, à la fois profondément novatrice et empreinte d’une sage prudence. Il apporte ainsi une référence qui va s’avérer précieuse dans les débats de l’année qui vient sur la pastorale des fidèles, en particulier dans la vie des familles confrontées aux défis multiples du monde contemporain.

D. L.

 

PVI-Laubier

Patrick de Laubier
 La Civilisation de l’amour selon Paul VI
 Frédéric-Aimard Éditeur, 2013
 109 pages, 13 €

 

 

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