Il y a quelques jours, on apprenait que le Conseil d'administration de la CNAF a été saisi d'un projet de décret limitant à 1 % la revalorisation des prestations familiales au 1er janvier prochain.

Cette instance s'est heureusement prononcée majoritairement [1] contre ce taux d'une modestie surprenante étant donné les hausses de prix en cours, mais cela ne changera rien, le Gouvernement considérant cette consultation comme une pure formalité. La lettre hebdomadaire Protection sociale informations (PSI) du 14 novembre apporte des précisions qui éclairent cette décision gouvernementale.

La branche famille devrait redevenir excédentaire (de 300 millions) en 2008 ; ses excédents pourraient atteindre 3 milliards en 2010, et peut-être 5 milliards en 2012. Que faire de ces sommes ? Le sénateur André Lardeux, rapporteur sur ce qui concerne la famille dans le Projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2008, s'est prononcé sur leur usage : il a déclaré à PSI que les excédents pourraient servir à l'instauration du droit opposable à un mode de garde et au développement de nouveaux modes d'accueil , ainsi qu'à l'attribution des allocations familiales dès le premier enfant [2], même si, à titre personnel, je préfèrerais accroître celles des familles de trois enfants et plus. Il est vrai que cet honorable parlementaire envisage aussi une baisse de cotisations patronales , à condition que cela ne porte pas atteinte à l'autonomie de la branche , ce qui brouille son message. Du moins la commission des Affaires sociales du Sénat, par sa voix, se soucie-t-elle de profiter de cette occasion pour améliorer les prestations familiales.

Côté gouvernemental, le son de cloche est tout à fait différent. Le ministre des comptes publics (chargé à la fois du budget de l'État et de celui de la Sécurité sociale, ce qui revient à mettre le loup et l'agneau dans le même enclos) n'y est pas allé par quatre chemins : vendredi 9 novembre, au Sénat, il a prévenu en substance la branche famille de ne surtout pas compter sur ces subsides supplémentaires , écrit LSI. Voici ses propos tels que les rapporte LSI : Le rythme de croissance des recettes de la branche famille est structurellement supérieur à celui de ses dépenses, mais il faut se garder d'en profiter pour faire de nouvelles dépenses. Etudions plutôt la mise en jeu d'une solidarité au sein du régime général, en concertation avec les partenaires sociaux et les associations familiales. On pourrait, par exemple, envisager un transfert de cotisations en direction de la branche vieillesse. Une branche dont les dépenses ont augmenté au troisième trimestre de 6,7 % par rapport à la même période de 2006, chiffre qui confirme malheureusement notre diagnostic concernant les effets de la loi retraites de 2003 : présentée comme une loi destinée à faire des économies, elle accroît en réalité les dépenses[3].

On remarquera au passage l'appel à la solidarité : il est classique d'invoquer celle-ci pour dorer la pilule à ceux qu'il s'agit de dépouiller. On remarquera surtout une nouvelle illustration du mécanisme que je dénonce depuis un quart de siècle : dès que la branche famille est excédentaire, on ponctionne ses ressources au profit d'une autre branche ; il est alors facile de dire que les prestations ne peuvent pas être augmentées puisque malheureusement la situation financière ne le permet pas. Quelques années d'austérité remettent la branche à flot, et on opère une nouvelle ponction, qui rend sa situation financière fragile : on est reparti pour un tour de manège.

En même temps qu'il impose ce régime minceur en matière de prestations, l'État fait preuve d'une véritable boulimie de modifications et de complications, si bien que la qualité des services rendus par les CAF s'en ressent. Commentaire de LSI : La conjonction des obligations liées à la Convention d'objectifs et de gestion, notamment en termes de réductions d'emplois, et de la frénésie législative et réglementaire à laquelle les CAF sont confrontées, crée des étincelles.

Non seulement la branche famille est régulièrement pillée au profit des autres branches, mais de plus les pouvoirs publics, faute de balayer devant leur porte, la découragent dans les efforts qu'elle fait pour améliorer son fonctionnement. C'est ce que l'on appelle, en France, faire de la politique familiale une grande priorité nationale.

Jacques Bichot est économiste, professeur à l'Université Lyon III, auteur avec Denis Lensel de Atout famille (Presses de la Renaissance, 2007)

[1] On remarquera que les représentants de l'Union nationale des Associations familiales à ce conseil ne se sont pas associés à cet acte de résistance à la décision gouvernementale : ils ont pris acte . No comment !

[2] Il s'agit là d'une des promesses faites par Nicolas Sarkozy quand il était candidat à la présidence de la République.

[3] Pour les années 2001, 2002 et 2003, l'augmentation des dépenses des régimes de base fut en moyenne de 2,8 % ; pour 2004 (première année d'application de la loi), 2005 et 2006, l'augmentation est passée à 4,9 % en moyenne. Et pour 2007 il semblerait que l'on doive dépasser nettement les 6 %.

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